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Mes bouquins refermés - Page 122

  • Don Giovanni

    A l'Opéra Garnier.

    (Plongé dans la pénombre, entrecoupé de silences.)

    Le finale du premier acte : une fausse fête, brutale, ratée. Personne ne danse à la musique (dans la musique) qui sonne faux, à l'écart.
    Pour la convaincre, Don Giovanni parle à Zerlina de mariage ; mais dans son récitatif, il fait précéder ironiquement ses sposar d'une pause très brève (en détachant le mot comme s'il était entre guillemets).
    Compris comme jamais la séduction du personnage (sa voix, son chant, son jeu). Le paradoxe est que malgré tout cela, à aucun moment, ni alors ni plus loin dans le cours de l'opéra, le séducteur ne parvient à ses fins (il n'y a guère que Leporello qui lui cède toujours). Prenant appui sur ce décalage, la mise en scène nous le montre démoniaque et suicidaire dans l'air du Champagne, et solitaire dans la Sérénade –  chantée pour lui-même, prostré dans l'ombre, sur la scène déserte.

  • Sourcils

    La mort est aussi terrible, qu'elle frappe un petit ou un grand homme. La veille encore le procureur allait et venait, remuait, jouait au whist, signait des papiers et se distinguait de tous par l'épaisseur des sourcils et le clignotement de son œil. Maintenant il était étendu sans vie, son œil gauche immobile, ses sourcils remontant très haut et paraissant interroger... Que demandait le mort : pourquoi avait-il vécu, pourquoi était-il mort ? Dieu seul le savait.
    (...)
    Pavel Ivanovitch (...) poussa un soupir et se dit : « Voilà ! Il a vécu le procureur... il a vécu... vécu... et il est mort ! Les journaux annonceront cette mort douloureuse pour ses subordonnés et pour l'humanité entière, diront qu'il fut un citoyen respectable, un excellent père de famille, un mari modèle... ils broderont beaucoup, ajouteront que les pleurs des veuves et des orphelins l'ont accompagné à sa dernière demeure... Et si les hommes s'en tenaient uniquement à la vérité, le procureur... le procureur ne se distinguerait que par ses sourcils épais !...»

    (Gogol - les Ames mortes, trad. Marc Séménoff)

  • Le Crépuscule des Dieux

    Au Châtelet.

    La plus longue, la plus belle, la plus désespérée des journées de l'Anneau du Nibelung : comme des sommets successifs, l'opéra culmine dans les deux blocs contraires des actes 2 et 3 (et derniers) ; l'acte 3 dans le monologue final de Brünnhilde ; et celui-ci dans l'appel funèbre : Ruhe, ruhe du Gott.

    (La dissimulation et la trahison règnent - thèmes du Tarnhelm et du philtre que je confonds.
    L'humanité tout entière en est le témoin ignorant et passif - les choeurs des deux derniers actes.
    Et malgré la Nature et l'Amour remémorés - dans le si beau chant final de Siegfried reparaissent les murmures de la forêt, l'oiseau, le réveil de Brünnhilde,
    le seul triomphe est dans la mort - marche funèbre, immolation, apocalypse par le feu/Loge et l'eau du Rhin.)

  • Métaphore maxima oxymoron

    Découvrant le pâtre promontoire et les escaliers fées de Hugo (mais que va devenir Hugo sans le Vrai Parisien ?), je me rappelle l'enseigne d'un immeuble cossu du quartier de l'Opéra, presque : BANQUE MISERE.

  • Siegfried

    Au Châtelet.

    Soufflons sur les quelques braises avant d'oublier :

    - ce que j'ai préféré : le couple Siegfried-Mime. Le premier comme un valet de jeu de cartes, d'une seule pièce, sans articulation, souriant toujours, blond, peinturluré en rose et blanc. Le second plein de grimaces, plié en deux, haussé sur la pointe des pieds, dansant et tournant. Mime a recueilli Siegfried, l'a nourri, élevé, a été père et mère pour lui ; Siegfried ne lui donne en retour que haine ou mépris ; malgré cela ne veut, ne peut pas le quitter. Parce que Siegfried est un personnage sans mémoire et que Mime détient les clés de son passé (il a deux opéras d'avance). Mime, dont toutes les astuces échouent, mélange de dissimulation et de naïveté, de mensonge et d'aveu (culminant dans la scène où Siegfried entend en même temps les pensées meutrières et les paroles mielleuses du Nibelung)

    - ce que je n'ai pas compris : le personnage du Wotan/Wanderer (comme la Fantaisie). Apparaissant dans chacun des trois actes, pour faire le malin, feignant de tirer les ficelles, et finissant à la trappe. Au premier acte, joue aux devinettes avec Mime (révision de cosmogonie-leitmotive). Au deuxième vient narguer son vieil ennemi Alberich et taquiner le dragon. Au troisième réveille Erda (pourquoi ?), accueille (ou défie ?) Siegfried (tant et si bien que j'ai raté la beauté crépusculaire de ce début de l'acte 3)

    - Wagner a placé astucieusement le réveil de Brünnhilde au milieu du troisième acte (après le beau passage où la musique raréfiée fait entendre l'arrivée de Siegfried sur les sommets), au moment où l'attention du spectateur chancèle après quelques heures de spectacle. Mais je n'aime pas tous ces cuivres ni le duo qui suit (Brünnhilde jouant les sibylles - elle a bien connu le papa et la maman de Siegfried) ; sauf la musique douce, intime, apaisée, anachronique de la Siegfried-Idyll

    - La scène de la forge : pendant que Siegfried chante sa chanson (de fer-blanc), Mime commente la préparation du poison (juxtaposition rappelant les sarcasmes de Loge au moment de l'entrée des dieux au Walhalla dans l'Or du Rhin). Art de la forge et de la cuisine mis en parallèle comme dans une Mythologique de Lévi-Strauss.

    - Et surtout : la panique de Mime ; le passage où il tente d'apprendre la peur à Siegfried et la réponse du héros (le thème du feu, qui sonne louche et mauvais chez l'un, reparaît chez l'autre clair comme le brasier qui entoure le rocher de la Walkyrie) ; les murmures de la forêt ; l'oiseau.

    (mais pendant tout l'opéra, dans les hauteurs de la salle, le bruit d'une soufflerie déchaînée ; un problème de chauffage ?)

  • Trinacrie

    Je me tourne et retourne. Comme si je cherchais à me débarrasser du nom que je répète : Pantelleria... Pantelleria... Pantelleria... J'ouvre les yeux. Je lis : 5 heures passées de quelques minutes. Pantelleria... Pantelleria... Pantelleria... Et, en guise de réponse, un mot dont je ne me souviens plus, peut-être : Panamo... Panamo... Pendant quelques secondes, une bulle croît dans le temps, c'est une éternité de ténèbres sans sommeil. C'est Pantelleria encore, et puis l'écho, et puis rien.