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Mes bouquins refermés - Page 119

  • Grand Hôtel

    Hélas, le vent de la mer, une heure plus tard, dans la grande salle à manger, (...) il parut cruel à ma grand-mère de n'en pas sentir le souffle vivifiant à cause du châssis transparent mais clos qui, comme une vitrine, nous séparait de la plage tout en nous la laissant entièrement voir et dans lequel le ciel entrait si complètement que son azur avait l'air d'être de la couleur des fenêtres et ses nuages blancs un défaut du verre. Me persuadant que j'étais « assis sur le môle » ou au fond du boudoir dont parle Baudelaire, je me demandais si « son soleil rayonnant sur la mer » ce n'était pas – bien différent du rayon du soir, simple et superficiel comme un trait doré et tremblant – celui qui en ce moment brûlait la mer comme une topaze, la faisait fermenter, devenir blonde et laiteuse comme de la bière, écumante comme du lait, tandis que par moments s'y promenaient çà et là de grandes ombres bleues, que quelque dieu semblait s'amuser à déplacer, en bougeant un miroir dans le ciel.

    (Il faisait nuit. Alors, c'est nous qui sommes le spectacle pour les passants dehors – et pour nous-mêmes : l'obscurité ayant posé son tain contre la vitre.)

  • Retour

    Rubens - Abraham et Melchisédech, détail.

    (Au fond, contre le bleu sombre du ciel, un homme roux reçoit à pleines mains le pain offert - mais se tourne et regarde vers son chef.)

  • Figure

    A ce point permettez-moi, cher ami, d'abandonner mes habitudes de ventriloque auxquelles je ne puis m'empêcher d'avoir recours de temps en temps, et d'interroger pour vous directement cette poupée entre mes bras qui constitue toute ma troupe. Ne commettez pas l'erreur d'essayer de vous représenter sa figure, c'est l'attitude générale seule qui importe. Quant à la figure, c'est un de ces masques vagues que la pluie forme sur la vitre d'un wagon et où les yeux ne sont une seconde réalisés qu'au détriment de la bouche.

    (Claudel - le Point de vue de Ponce Pilate, in Figures et paraboles)

  • Lecture perdue

    Musser, anhélation, lérot et prosecteur : il y avait ces mots dans le livre que je finissais hier soir. Ils sont dans le dictionnaire ; je me souviens encore de leur définition. Mais quel pouvait bien être le sens des phrases qu'ils interrompaient ?

  • Les Noces de Figaro

    A l'opéra Garnier.

    (En haut de la scène il y a une espèce de grenier, qui ne communique pas avec le seul décor où se déroule l'action. Personne ne s'y promène sauf le « récitativiste » (ce n'est pas un personnage de l'opéra, ce n'est pas un musicien, ce n'est pas un figurant) qui y vient de temps à autre en montant par les coulisses. Dans le grenier il y a des peluches ou des animaux empaillés (daims, moutons, lapins, etc.). Rien ne bouge sauf à la fin. Après le pardon chanté par la Comtesse et le oui général, dans la frénésie qui suit, le récitativiste arrange entre les bêtes un ou deux accouplements).

  • when the woods are red

    (La rougeur des arbres, dans le parc, donne aux premiers jours du printemps quelque chose de l'automne (un automne à l'envers, avec l'accrétion de l'eau en feuillages, sa condensation au lieu de leur dissolution). Elle sera l'occasion de citer les vers de Stevenson et, reflet dans un reflet, d'y lire avril.)

    In Autumn when the woods are red
    And skies are grey and clear,
    The sportsmen seek the wild fowls' bed
    Or follow down the deer;
    And Cupid hunts by haugh and head,
    By riverside and mere,
    I walk, not seeing where I tread
    And keep my heart with fear,
    Sir, have an eye, on where you tread,
    And keep your heart with fear,
    For something lingers here;
    A touch of April not yet dead,
    In Autumn when the woods are red
    And skies are grey and clear.

  • Mozart, Chostakovitch

    Concert au Théâtre des Champs-Elysées.

    C'était, ce soir-là, apparemment plutôt l'anniversaire du second (1906) que du premier (1756).

    (Dans la Symphonie concertante, il n'y avait guère que la fin du mouvement lent, quand par-dessus la sombre pulsation de l'orchestre les voix de l'alto et du violon s'affligent, trop proches pour se consoler, éprouvant sans pouvoir l'apaiser « la langueur goûtée à ce mal d'être deux ».)

    A la fin de l'entracte, le public qui regagne la salle échange des regards gourmands et des coups d’œil faussement horrifiés désignant le nombre d'instruments et de musiciens désormais massés sur la scène. Et la 4ème Symphonie de Chostakovitch tient les promesses de ce rassemblement : non seulement le volume mais la profusion sonore qui contraste avec l'abrutissement volontaire ou l'accablement et le désespoir de la 5ème. Mais le vocabulaire est le même : marches, crescendo, sifflements railleurs, fanfares ambiguës ; un suspens énigmatique fait suite à un fracas en forme de coups de butoir. Ici la fin impressionnante : après les roulements de timbales et les trombones et les trompettes (les éléphants entrent dans l'arène, ou Alexandre dans Babylone), un voile ténu tissé par les cordes et les reflets incertains du célesta