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Autre temps

  • Finisterre

    Je ne veux pas même en imagination croire à la géomancie ni employer l'épithète rebattu de magique pour qualifier le site du château de Pena. Mais il y a dans la position de cette demeure royale, d’ailleurs fort  bourgeoise,  une image qui me hante et qui donne un charme particulier à son air et à sa lumière. La réalité touche ici au rêve autant que l’autorisent les dures nécessités de l’urbanisation de la banlieue de Lisbonne.

    La route (et avec elle, le pays habité) mène, par l’Est, jusqu’au pied des collines de Sintra et on pourrait croire qu’elle ne va guère plus loin ; avec l’exception de ce maigre surgeon tordu, derrière la petite ville, qui monte en lacets jusqu’aux hauteurs où se dresse le château. Les voyageurs, à la dernière étape de leur pèlerinage, ont sans doute préféré passer la nuit en bas avant de grimper au petit matin à la dernière plate-forme. Ils ont déposé leur bagage d'expérience et de souvenirs dans les chambres du faux cloître, déjà encombrées de bibelots et de photographies anciennes... (Des grosses femmes emplumées et serrées dans des robes brillantes ; des hommes moustachus en uniforme). Il est midi. De la terrasse du château, la vue est bornée au Nord et au Sud par les sommets mais, à l’Ouest, ils découvrent pour la première fois le pays ultérieur, au pied des collines : c’est un vaste promontoire couvert de forêts où ne se devinent ni routes ni habitations. Ils savent néanmoins qu’il existe un réseau invisible de sentes qui s’entrecroisent sous les arbres. L’un de ces chemins commence au fond du parc par une petite porte dans le mur de clôture ; une allée secondaire y mène, en bas du vallon remplis de fougères arborescentes (Semblables aux fossiles d’une époque antédiluvienne, ces essences sont comme l’emblème de l’étrangeté des lieux, redoublant leur éloignement apparent dans le temps et dans l’espace). S'ils le voulaient, les visiteurs pourraient emprunter ce chemin, sans risque de se perdre, en suivant la pente. Après moins d’une journée de marche, par des sentiers qui diminuent et finissent envahis par l'herbe, ils auraient traversé l'étendue ; leurs pas s'embrouilleraient dans le sable alors qu'ils entendraient grossir une rumeur, leurs yeux verraient à la fin le rideau de la végétation s’éclaircir et se dérober, et briller derrière lui les feux du rivage au seuil de l'espace ouvert. Mais s'attardant ici, ils se contentent de regarder au loin l’écume, les vagues silencieuse et, à mesure que l’après-midi avance, l'éclat plus éblouissant du soleil reflété (qui finit par abolir, dans la réalité, les détails triviaux qui contredisent ces imaginations). Les voyageurs parvenus au terme du voyage contemplent l’océan vide de tout vaisseau et, en deçà, sans y descendre, la marge ultime et déserte de l’empire qui tourne le dos à la mer.

  • Les descendeurs de Bâle

    Le fleuve coule rapide et clair dans la ville. Les Bâlois l'été s'y baignent. Ils en remontent le cours, suivant la promenade, puis vont jusqu'à l'eau et, s'avançant sur la grève, lâchent prise pour que le courant les emporte. Le bref voyage les roule en contrebas des vieilles maisons, dessous la cathédrale rouge et par l'arche des ponts (la descente est interrompue un instant seulement quand ils se raccrochent à la poignée de fer d'un flotteur ancré dans le fleuve ; et, alors, l'eau contrariée autour d'eux se met à bruire). Ils ont serré leurs vêtements dans le baluchon du chemineau, qui flotte avec eux comme une bouée (ils gardent ainsi leur habit au sec, dans une toile imperméable, de façon à poursuivre convenablement, plus loin, leur déambulation terrestre). Quand ils reprennent pied en aval, ils peuvent croire qu'ils ont accompli un modeste saut dans le vide (ce vide que le fleuve conserve dans son élan des à-pic et des cimes dont on devine les contreforts en amont). Mais cette eau c'est le temps aussi, qui prend au ventre et lie les membres (il est impossible en nageant de rebrousser chemin, à contre-courant) ; cet autre flot ne cesse pas quand, remontés sur la rive, les corps lentement sèchent au soleil... On voit passer toute une après-midi les descendeurs du Rhin, nageurs sans effort dans la chaude journée, puis on finit par se joindre à eux.

  • Nuit d'été

    L'été, les fenêtres ouvertes ; le soir. A proportion du crépuscule, aux deux termes de l'étendue, l'arbre dans la cour et le ciel au-delà tendent vers leur figure essentielle. Comme les attributs conjoints et opposés du grand espace libre né de la saison et de l'heure : le feuillage de plus en plus noir, embrouillement de petites choses intranquilles, agitées par l'air et, derrière, le ciel toujours plus immobile, uni et lumineux.

  • Panoramas du passage

    La ville est bâtie sur des collines ; elle est prodigue en balcons et en observatoires, qu’elle dégage sur ses flancs pour elle-même, vers tel sommet, opposé, ou tel abord du fleuve. Le premier de l’an, en traversant l’estuaire, nous avons ajouté une vue, cette fois extérieure, à la collection. Sur l’autre rive, la terrasse du café-panorama est déserte. Le vent pousse les nuages et l’éclaircie court sur la ville. Elle fait briller les églises blanches et isole, comme on nomme, un quartier après l’autre. La lumière va et vient, descendant et remontant les pentes, avec le mouvement de pendule des tramways et des funiculaires. Graça, Alfama, Baixa, Chiado, Bairro Alto : nous recommençons, à distance, la promenade... Assise au bord de l’eau, la ville rappelle Rio, Bahia ou Macao ; elle devient au loin la fille de ses filles, et l’image édulcorée ou surannée d’un outremer tropical. Les palmes, l’architecture jésuite et les ascenseurs aériens ont été rapportés à la métropole par la marée des siècles. Et les brèves oscillations de l’éclairement et des machines marquent les tressaillements d’un balancier plus long, qui bat à plus lente pulsation le temps.

  • La Grande Terrasse

    La terrasse longe le  fleuve bien au-dessus de lui. Enfoui sous les arbres, il n’apparaît que par lambeaux, en contrebas, et vers l’aval : c’est là-bas une pièce d’eau bleue en avant des arches des ponts de Maisons. La terrasse est un quai idéal, enlevé dans les airs, hissé au-dessus de la masse des arbres et confronté au ciel. Et le ciel ici, au lieu d’un espace sans amont ni estuaire, sera le reflet du fleuve et s’écoulera, comme le temps, commensurable à notre promenade.

  • "Des glaciers et des pins"

    A nouveau dans le vaporetto 42. Il a plu toute la journée d’hier. Aujourd’hui, dans le ciel éclairci, les Alpes sont apparues au Nord-Ouest. Derrière la lagune, leurs sommets neigeux semblent des bouts d’air bleu blanc durci, tombés à l’horizon. Le bateau contourne San Michele, l’île cimetière ; les cimes noires des cyprès superposent aux montagnes lointaines leurs formes effilées et tordues, étonnamment semblables.  (Et ce minuscule point dans le paysage rappelle par ses couleurs l’arrière-plan de ce panneau du Louvre.)

  • Versailles

    Belle journée, dimanche, pour visiter Versailles. Ce n'est déjà plus "le premier coup de cymbale de l'automne sur la terre" mais les arbres commencent seulement à jaunir. La couleur ne précède pas l'abandon de l'hiver, ni la froide mélancolie, mais rappelle l'or des fontaines et des plafonds. Elle signale un mûrissement dont les fruits abstraits pourraient être les urnes en métal doré posées en haut des treillages dans le bosquet d'Encelade. Le jour, chaud et lumineux, appartient à un été détaché du cycle des saisons, installé dans l'éternel ; il s'accorde avec le palais, sorti de l'Histoire, ou avec les divinités antiques du parc, retraitées d'un culte disparu. Voici la capitale d'un règne détruit, magnifiquement entretenue et restaurée, avec "ses miroirs ternis et ses flammes mortes", comme la Galerie des Glaces, neuve et vieille, à nouveau visible.