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Images

  • Rhin et Meuse

    Que le soleil peigne d'hyacinthe et d'or les nuages noirs, cela est bien beau mais n'égale pas en grandeur le spectacle au couchant des bouches du Rhin et de la Meuse : le crépuscule des eaux froides dans le froid soir d'automne quand, roulant son corps dans le sable, le fleuve Python a étreint l'estuaire Laocoon et que l'Hydre aux dix têtes coupées enfouissant dans l'invisible son incapacité à voir plonge dans la Mer du Nord ! (doutons qu'elle meure, alors que sous les gorges décapitées continue à battre l'infime pulsation des flots).

  • Miroirs

    Chardin, Raisins et Grenades au musée du Louvre.

    (Comme souvent, dans les natures mortes de Chardin, les êtres et les objets vont par paires. Les deux verres, ou les deux fruits,  se côtoient comme s'ils étaient l'un le reflet et l'autre la chose reflétée, posée tout contre la vitre du miroir. Ce miroir imaginaire a été escamoté par la représentation mais il a laissé, dans l'espace uniforme,  un agencement propice aux métamorphoses ; il retarde ou il avance : enlevant du rouge ici, en ajoutant là, il vide le verre de vin et fait mûrir symétriquement la grenade jusqu'à ce qu'elle s'ouvre et laisse voir la chair.

    Le reflet est l'un des modes de l'atmosphère englobante qui tient toute l'étendue du tableau et réalise l'unité de ses parties. Ici le miroir est fictif, ailleurs il est matériel, comme dans le Gobelet d'argent. Le Rouge est aussi par excellence cela qui se reflète : une pomme se dédouble dans la paroi concave du gobelet. Sa forme s'altère dans la courbure du métal. A l'autre bord, la surface du bol devrait être opaque ; mais de la rencontre ressort la couleur rouge imprégnée à l'argile.)

  • Ténèbres

    Etude pour l'Extrême-Onction (série des Sacrements Chantelou), par Poussin, dans l'exposition Mariette au Louvre.

    (Il est étrange de constater combien le dessin préparatoire rappelle une période de l'histoire de l'art  plus ancienne que celle de l'oeuvre réalisée et d'avec laquelle la peinture de Poussin marque justement une rupture.  Ainsi l'étude pour l'Extrême-Onction fait penser aux ténèbres inquiètes du Maniérisme : par la perspective outrée, le foisonnement des ombres, les figures aigres et labiles et leurs mouvements exaspérés. La tenture s'affaisse au-dessus du lit d'agonie. L'angle des murs fait intrusion dans la salle. Un trait de plume heurté relève les profils retournés ; le geste du prêtre semble adresser une sommation plutôt qu'un sacrement et les flambeaux sont portés en avant au lieu de brûler au repos. Le dessin rend compte d'une image antérieure, à l'énergie aveuglante ; les gestes et les lumières sont mêlés dans la confusion préalable au travail du peintre qui assure l'équilibre des émotions et la claire séparation des attitudes selon les caractères.)

  • Apollon

    Exposition Trésor des Médicis, au musée Maillol. Dans un vitrine, qui se veut une évocation du cabinet de curiosité des souverains : la fabuleuse rencontre d’un Apollon de Jean de Boulogne et d’un manteau cérémoniel des Tupinambas du Brésil. (Devant un rideau de plumes rouges, une délicate figure rassemble ses membres déliés. L’exotisme de la parure s’accorde à l’étrangeté maniériste du bronze ; mieux, elle lui insuffle un mystère nouveau et, en suggérant l’appareil d’un culte, re-divinise l’image désacralisée du dieu.)

  • La main sur l'épaule

    P1070456.JPG(Le péché originel, Adam et Eve chassés du Paradis - chapiteau sculpté du cloître de Monreale.)

    Adam et Eve, grimaçants, vêtus de méchantes peaux, vont passer la porte du jardin d'Eden (c'est une porte de monument antique). L'ange qui les chasse ne brandit pas de glaive ; son visage est paisible. Il pose la main sur l'épaule d'Adam. Est-ce pour le repousser, alors que l'homme se retourne à-demi, ou bien est-ce, dans le geste d'adieu, une marque de consolation ?

     

  • Terraqué

    Au musée d’Orsay. Exposition de planches photographiques de Peter Henry Emerson, extraites de Life and Landscape on the Norfolk Broads [Vie et paysages dans les marais du Norfolk] (1886), ouvrage consacré à la région de l’East Anglia et à ses habitants.

    (Les rives sont incertaines, eaux et terres au même niveau.  Les hommes marchent et naviguent. Le photographe amphibie regarde le rivage depuis l’eau et son paysage a double horizon, limites du ciel et du marais (que les arbres effeuillés et les herbes hautes traversent). La terre est repoussée dans une étroite bande où la barque entre comme un coin. Les habitants des marais y moissonnent les roseaux avec de longues perches armées de faucilles. Ils fauchent les joncs, chassent les oiseaux, cueillent les nénuphars. Le soir le cuisinier fait fumer le chaudron devant sa maison sur le rivage pour que la vapeur courre sur l’eau comme une brume.)

  • La mala noche

    Exposition Goya au Petit Palais. 

    Il est frappant de constater (reconnaissant la mère après avoir croisé çà et là les enfants) combien ces images en ont engendré d'autres (comme on voit dans l'une d'elles,  fameuse, une nuée de monstres s'évader du crâne d'un homme attablé, effondré, terrassé par le sommeil). L'exposition donne quelques exemples de cette descendance ; le surréalisme pourrait sans doute y figurer largement. La coïncidence fait que je lisais il y a peu de jours ceci dans le Roi Cophetua de Gracq :

    La mala noche... le mot me traversa l'esprit et y fit tout à coup un sillage éveillé. Dans la pénombre vacillante des bougies, les images y glissaient sans résistance ; brusquement le souvenir de la gravure de Goya se referma sur moi. Sur le fond opaque, couleur de mine de plomb, de la nuit de tempête qui les apporte, on y voit deux femmes : une forme noire, une forme blanche. Que se passe-t-il sur cette lande perdue, au fond de cette nuit sans lune : sabbat - enlèvement - infanticide ? Tout le côté clandestin, litigieux, du rendez-vous de nuit s'embusque dans les lourdes jupes ballonnées de voleuse d'enfants de la silhouette noire, dans son visage ombré, mongol et clos, aux lourdes paupières obliques. Mais la lumière de chaux vive qui découpe sur la nuit la silhouette blanche, le vent fou qui retrousse jusqu'aux reins le jupon clair sur des jambes parfaites, qui fait claquer le voile comme un drapeau et dessine en les encapuchonnant les contours d'une épaule, d'une tête charmante, sont tout entier ceux du désir. Le visage enfoui, tourné du côté de la nuit, regarde quelque chose qu'on ne voit pas ; la posture est celle indifféremment de l'effroi, de la fascination ou de la stupeur. Il y a l'anonymat sauvage du désir, et il y a quelque tentation pire dans cette silhouette troussée et flagellée, où triomphe on ne sait quelle élégance perdue, dans ce vent brutal qui plaque le voile sur les yeux et la bouche et dénude les cuisses.