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La mala noche

Exposition Goya au Petit Palais. 

Il est frappant de constater (reconnaissant la mère après avoir croisé çà et là les enfants) combien ces images en ont engendré d'autres (comme on voit dans l'une d'elles,  fameuse, une nuée de monstres s'évader du crâne d'un homme attablé, effondré, terrassé par le sommeil). L'exposition donne quelques exemples de cette descendance ; le surréalisme pourrait sans doute y figurer largement. La coïncidence fait que je lisais il y a peu de jours ceci dans le Roi Cophetua de Gracq :

La mala noche... le mot me traversa l'esprit et y fit tout à coup un sillage éveillé. Dans la pénombre vacillante des bougies, les images y glissaient sans résistance ; brusquement le souvenir de la gravure de Goya se referma sur moi. Sur le fond opaque, couleur de mine de plomb, de la nuit de tempête qui les apporte, on y voit deux femmes : une forme noire, une forme blanche. Que se passe-t-il sur cette lande perdue, au fond de cette nuit sans lune : sabbat - enlèvement - infanticide ? Tout le côté clandestin, litigieux, du rendez-vous de nuit s'embusque dans les lourdes jupes ballonnées de voleuse d'enfants de la silhouette noire, dans son visage ombré, mongol et clos, aux lourdes paupières obliques. Mais la lumière de chaux vive qui découpe sur la nuit la silhouette blanche, le vent fou qui retrousse jusqu'aux reins le jupon clair sur des jambes parfaites, qui fait claquer le voile comme un drapeau et dessine en les encapuchonnant les contours d'une épaule, d'une tête charmante, sont tout entier ceux du désir. Le visage enfoui, tourné du côté de la nuit, regarde quelque chose qu'on ne voit pas ; la posture est celle indifféremment de l'effroi, de la fascination ou de la stupeur. Il y a l'anonymat sauvage du désir, et il y a quelque tentation pire dans cette silhouette troussée et flagellée, où triomphe on ne sait quelle élégance perdue, dans ce vent brutal qui plaque le voile sur les yeux et la bouche et dénude les cuisses.

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