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Mes bouquins refermés - Page 121

  • Août

    La première fois que je suis allé à Rome, c'était au mois d'août. Malgré la chaleur on cavalait (la ville est immense, les vacances sont courtes et nous sommes jeunes). Le soir les vêtements sont blanchis par le sel. Epuisés, on reste près des fontaines.

    La favorite est la Barcaccia, place d'Espagne. On peut s'asseoir sur la margelle ovale, tournés vers l'eau, sans parler, écouter sa conversation insaisissable, familière et bavarde. C'est le théâtre d'une seule scène : le défilé des Romains qui vont boire. La vasque a la forme d'une barque ; ils passent à la proue ou à la poupe, traversent le bassin sur une pierre. Les hommes trempent les lèvres dans le jet ou le reçoivent directement au fond du gosier, ils maîtrisent l'art de ne pas faire d'éclaboussures. Les femmes boivent dans un gobelet ou dans la paume. L'autre main est posée sur la pierre. Tiède, pleine et mate, elle contraste avec la fraîcheur pâle et poreuse du travertin.

  • Rimski-Korsakov

    Concert au Théâtre des Champs-Elysées.

    De Salieri une ouverture.
    De Mozart un concerto.
    De Rimski-Korsakov des « scènes dramatiques » tirées de Pouchkine, dont le titre reprend congrûment le nom des compositeurs joués en première partie. (Mais ça ne fait pas un programme cohérent, au contraire : après les œuvres des originaux, les personnages de Pouchkine frisent le grotesque. Salieri tire une fiole de poison de sa poche, la brandit et déclame ; plus loin Mozart s'apeure : « Mon requiem m'inquiète » ).

    (Sentiments mêlés dans l'archi-célèbre andante du 21ème concerto : plaisante promenade quelquefois envahie par une tension telle le frôlement d'une douleur insupportable).

  • The big heat

    Au cinéma, Réglement de compte, de Fritz Lang.

    Cette fois je n'ai vu que Gloria Grahame (et non Ida Lupino), véritable personnage principal du film : la vengeance de Debby accomplit celle que l'ex-policier Bannion est incapable de mener à bien (retrouver et faire arrêter les assassins de sa femme, révéler la collusion entre la pègre et la police).

    Une femme entretenue par un tueur se métamorphose et meurt en héroïne de la lutte contre le crime. Trois étapes :
    1/ Debby, moqueuse et grise, s'ennuie dans le luxueux appartement de son petit ami, Vince ; elle s'arrête devant tous les miroirs pour admirer son visage, ses bijoux, ses beaux vêtements.
    2/ Dans un club, Bannion s'en prend à Vince (à propos d'une fille que le tueur vient de blesser en la brûlant avec une cigarette). Le visage de Debby apparaît à l'arrière-plan immobile, sérieux, changé : elle a vu quelque chose (son avenir ? le sadisme et la lâcheté de Vince ? le courage et le désespoir de Bannion ?). Comme Vince décampe sans se soucier d'elle, Debby accoste Bannion (par bravade peut-être).
    3/ Debby défigurée par Vince (il lui a jeté du café brûlant au visage) a rejoint Bannion. Elle rend visite à la veuve Duncan (qui détient les preuves du complot, fait chanter la mafia et dont la disparition suffirait à tout dévoiler). Debby fait face à son double noir (« nous sommes pareilles », lui dit-elle ; « we are sisters under the mink » ; deux femmes entretenues par l'argent de la pègre). Elle tire et la tue.

  • Table et bouquet

    Demandé par Quel Fourbi !

    Sur la table basse ou à portée de main, il y avait ce week-end (de mémoire, pas de photos) : des ordonnances (de différentes mains et d'inspirations diverses) ; les médicaments correspondants (entamés, abandonnés) ; des tasses, des sachets de tisane ou de thé ; un guide bleu Rome abondamment consulté,  tranche noircie, avec encore comme marque-page des billets d'entrée libellés en lire ; d'autres livres : un dictionnaire des réalisateurs, une anthologie ancienne de la poésie de Hugo (dont Pauline Roland sans les quatre derniers vers), l'Ambition de Vermeer selon Daniel Arasse ; des disques : Bach, l'Offrande musicale (Leonhardt), l'Art de la fugue (Göbel), Debussy, les Préludes (Gieseking), Beethoven, les 4ème et 5ème concertos (Pollini, Böhm) ; un DVD avec deux films de Hitchcock dont Notorious.

    Mais sur tout cela régnait plus loin un magnifique bouquet de tulipes.

  • Des nouvelles

    (Vermeer - Jeune femme lisant une lettre, détail)

    Centre de l'attention des personnages et donc du message supposé du tableau, la lettre ne révèle pas son contenu et, sauf exception et mis à part les allusions génériques que peuvent fournir d'autres objets investis d'une signification iconographique précise, le peintre ne donne pas les moyens d'identifier ce contenu par la gestuelle ou la mimique des personnages. La lettre apparaît comme le centre de l'attention visuelle manifestée dans le tableau mais pour le spectateur ce centre demeure un centre vide (...).
    (Arasse - l'Ambition de Vermeer).

  • Boue et bottes

    Un détail en forme de scène muette, à la fin d'un chapitre des Ames mortes :

    Bientôt un grand calme se fit dans l'hôtel, les choses et les êtres furent plongés dans un profond sommeil. Seule une fenêtre demeura éclairée, c'était là qu'habitait le sous-lieutenant arrivé la veille de Riazan, grand amateur de bottes, car il en avait déjà commandé quatre paires et avait passé toute la journée à en essayer une cinquième. Il s'était approché plus d'une fois déjà de son lit pour les ôter et se coucher, mais en vain ; il s'asseyait, levait sa jambe et ne pouvait se lasser d'admirer la forme élégante de ses talons.

    Ces bottes font penser, par contraste, à un autre personnage fugace mais inoubliable du roman : Pélaguéia, la petite aux jambes noires, qui guide Tchitchikof et sa voiture à travers la campagne aux chemins brouillés par la pluie : une fillette d'une dizaine d'années qui se promenait devant le perron pieds nus ; ses jambes étaient si pleines de boue qu'on aurait pu de loin les prendre pour des bottes.

    (trad Marc Séménoff)

  • Dimanche soir

    La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison

    (Baudelaire/ Debussy - Le Balcon)

    (La musique ensemble la chambre et l'heure dites par le poème et le temps et le lieu où nous sommes).