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Mes bouquins refermés - Page 124

  • L'art de battre les édredons

    Resté seul notre ami contempla son lit avec satisfaction... Celui-ci montait presque jusqu'au plafond, car Fétinia s'entendait particulièrement à battre les édredons. Pavel Ivanovitch dut monter sur une chaise pour entrer dans son lit, mais lorsqu'il s'étendit il tomba lentement presque jusqu'à terre, tandis que les plumes tournoyaient autour de lui.

    (Gogol - Les Ames mortes, trad. Marc Séménoff)

  • Orfeo

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    Au théâtre Dom Casmurro proposait  de représenter les pièces en commençant par la fin. Pour l'Orfeo de Monteverdi, cela débuterait par les lamentations du héros (Echo cachée au fond de l'espace lui répond et fait entendre le vide, le désert et la solitude dans une salle pleine comme un oeuf) et cela finirait, opportunément, par une aimable pastorale où Orphée chante les épreuves surmontées. (Mais comme on sait, Orphée n'a pas le droit de se retourner).

  • Hier

    Chaque nation a quelques noms qui se prennent, je ne sçay comment, en mauvaise part : et à nous Jehan, Guillaume, Benoist.

    Item, il semble y avoir en la genealogie des Princes, certains noms fatalement affectez : comme des Ptolomées à ceux d'Aegypte, des Henrys en Angleterre, Charles en France, Baudoins en Flandres, et en nostre ancienne Aquitaine des Guillaumes, d'où l'on dit que le nom de Guienne est venu : par un froid rencontre, s'il n'y en avait d'aussi cruds dans Platon mesme.

    Item, c'est une chose legere, mais toutefois digne de memoire pour son estrangeté, et escripte par tesmoin oculaire, que Henry Duc de Normandie, fils de Henry second Roy d'Angleterre, faisant un festin en France, l'assemblée de la noblesse y fut si grande, que pour passe-temps, s'estant divisée en bandes par la ressemblance des noms : en la premiere troupe qui fut des Guillaumes, il se trouva cent dix Chevaliers assis à table portans ce nom, sans mettre en compte les simples gentils-hommes et serviteurs.

    (Montaigne - Les Essais, livre 1, chapitre 46 - Des noms)

  • Après coup

    Au chapitre 18 de Silas Marner de George Eliot (le dénouement est proche), Godfrey rentre chez lui et annonce en tremblant à sa femme : "It's Dunstan -- my brother Dunstan, that we lost sight of sixteen years ago. We've found him -- found his body -- his skeleton."

    Nous étions sans nouvelle de Dunstan depuis le chapitre 4. Relue après coup, la dernière phrase de ce chapitre prend des sens nouveaux. "So he stepped forward into the darkness" : les ténèbres qui engloutissent Dunstan ne sont pas uniquement la nuit obscure, mais aussi le signe de l'éclipse du personnage dans la suite du récit, ou, au sens propre, le gouffre accidentel et la mort (peut-être encore l'enfer qu'il a mérité par la noirceur de ses actions).

    Il y a dans le roman des collisions entre le présent et un passé lointain. Les personnages découvrent à cette occasion que le temps a bouleversé (par des transitions invisibles) les termes d'un problème qui était resté sans changement dans leur mémoire et au cœur de leurs préoccupations. Godfrey comprend qu'il ne peut plus ravoir sa fille abandonnée il y a seize ans. Revenu dans sa ville natale, Silas constate la disparition complète de la communauté religieuse qu'il avait fuie pour une vie d'exil. (Ce passage est cité par Proust ; de là à dire que l'idée anticipe sur le Temps retrouvé...)

  • Rétrospective 2005

    A défaut d'établir un classement des films sortis en 2005, les premiers jours de 2006 ont au moins été l'occasion retardée d'en voir deux (dont on a parlé) : A History of violence de Cronenberg et Caché de Haneke.

    Si on va au cinéma pour avoir peur, le gagnant est le Haneke (en l'occurrence la mise en scène de Cronenberg provoque comme toujours une parfaite anesthésie).

    Car le sentiment de culpabilité (le moteur de Caché) est un puissant ressort de la terreur (qu'on le vive en victime, dans l'expiation, comme l'orphelin, fils d'immigrés, joué par Bénichou ou en bourreau, dans le refoulement, comme la vedette de télévision jouée par Auteuil). Cauchemar de l'un et suicide de l'autre : voilà la fin du processus implacable (pas de conciliation, sauf peut-être la rencontre entraperçue, dans la scène finale, entre les deux (petits-)fils.) Logique de tragédie malgré des milieux et des personnages décrits et incarnés de façon hyperréaliste (les beaux quartiers et les HLM de Paris, la télévision, l'histoire contemporaine). Réalisme tordu par un dispositif quasi-fantastique (qui demeure en tout cas inexpliqué et sans justification) : les vidéos énigmatiques que reçoit le couple Auteuil/Binoche ; classiquement la mauvaise conscience sous la forme d'un regard pointé sur soi, muet, fixe, incorporel, impossible à fuir.

  • Métaphore de rien (pour recommencer)

    Je suis dans le métro au Japon. Matin ou soir ; beaucoup somnolent. Moi, debout, loin du soleil et pas à l'heure d'ici, je lis pour ne pas m'endormir. Il y a d'autres lecteurs dans le wagon mais je suis seul à tourner les pages de droite à gauche (les livres ici se parcourent dans l'autre sens). Sauf à me regarder dans le miroir que font les vitres contre l'obscurité du tunnel.

  • L'Amour des trois oranges

    A l'opéra Bastille.

    Avis des habitués : ça a coûté très cher mais, pour une fois, ça se voit - et c'est réussi.

    Le meilleur de la fête vient (sans doute) de la comédie de Gozzi où, après un commencement d'allégorie (le trône convoité du Roi de Trèfle, Pierrot prince mélancolique pour avoir avalé trop de mauvais vers), la malédiction de la terrible fée Fata Morgana verse le spectacle dans le conte : sans logique, un vent merveilleux, une cuisinière plus terrible que Fafner - mais coquette (ça la perdra) - et trois oranges qui sont trois princesses qui meurent de soif.