Fini de lire the Ebb-tide (le Reflux) de Stevenson. Dans les Mers du Sud, sur une plage, trois hommes grelottent de fièvre et de froid et rêvent de Londres (the roar of the Strand and the roar of the reef, les vagues qui se brisent sur la barrière de corail rappellent la rumeur de la ville).
Comme un roman d'aventure : une île du Pacifique ; des naufragés s'abandonnent au désespoir ; un vaisseau paraît dans la nuit. Mais le naufrage en question est moral (une faute, une lente déchéance, un vice). Quant au véhicule (douteux) du sauvetage ou de la rédemption, il porte le drapeau jaune de la quarantaine.
Mes bouquins refermés - Page 125
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On the beach
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Bleu
Les enfants progressèrent dans ce fossé jusqu'à un endroit où il s'enfonçait sous la glace. Le fossé se transformait en galerie voûtée dans laquelle ils entrèrent et continuèrent d'avancer. Sous la voûte tout était bleu, mais d'un bleu qui ne pouvait se comparer à rien au monde, bien plus profond et plus beau que le bleu du firmament, comme de la lumière projetée à travers du verre bleu ciel (...) On était bien sous cette voûte, il y faisait bon, il n'y neigeait pas, mais cette clarté bleue était effrayante, les enfants prirent peur et rebroussèrent chemin. (Stifter - Cristal de Roche, trad B. Kreiss)
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Deux enfants perdus dans la neige
Noël approche. Profitons-en pour relire un des plus beaux contes de Stifter Cristal de roche (éd. Jacqueline Chambon, trad. Bernard Kreiss).
Un petit village de montagne, très isolé. Trois heures de marche le séparent du bourg le plus proche, Millsdorf, dans une vallée plus importante. Le chemin emprunte un passage entre les hauteurs (« un pas »). Au point le plus élevé du trajet, dans la forêt, un embranchement suit la ligne de crête, mène au glacier et se termine au pied du sommet qui domine la région (nous ferons une seconde fois ce parcours).
Le village s'appelle Gschaid et la montagne blanche qui trône au-dessus de ses toits s'appelle Gars.
Les habitants de Gschaid sont contents de leur situation. Ils sont attachés à leur isolement qu'ils s'emploient à conserver, immuable comme le retour des saisons tel qu'il se peint dans le paysage sublime qui les entoure. Dans ce monde, il faut peu de chose pour passer pour un excentrique : ainsi le cordonnier, qui a voyagé, qui dans sa jeunesse a porté un chapeau avec deux plumes (au lieu du chapeau noir de rigueur) et un loden trop court, qui a pris pour femme une habitante de Millsdorf. Malgré l'admiration que les villageois ont pour la capacité de l'artisan et le respect qu'ils témoignent à sa femme, celle-ci et leurs deux enfants restent considérés par le village comme des étrangers ; cette appréciation n'implique rien d'hostile.
Aucune méchanceté ; dans cet univers apparemment paisible, aucune violence. Seuls deux détails muets : le souvenir de la tête ensanglantée du cordonnier, blessure de jeunesse qui restera inexpliquée ; la stèle du chemin de Millsdorf qui se dresse sur un poteau rouge au niveau du pas, et marque le départ du sentier qui file vers la montagne : elle rappelle la mort accidentelle d'un boulanger en cet endroit.
La veille de Noël le temps est doux, presque beau malgré la brume qui couvre le ciel. Le cordonnier et sa femme envoient leurs enfants chez les grands-parents à Millsdorf. C'est déjà une habitude : en dépit de la distance et de leur âge (ils n'ont pas dix ans), le frère et la sœur partent seuls, à pied. A l'aller ils remarquent que la stèle de l'accident est tombée (le bois du poteau est pourri). A Millsdorf, comme les journées sont courtes, la grand-mère donne le signal du retour dès la fin du déjeuner. Le temps est resté inchangé toute la journée mais, alors que les enfants sont arrivés à mi-pente, les flocons commencent à tomber. Le frère et la sœur entrent dans la forêt tout en jouant avec la neige qui rapidement recouvre le chemin, obscurcit la vue. Cependant leur marche se prolonge plus que de coutume, ils ne reconnaissent pas leur route ; elle continue de monter au lieu de redescendre vers Gschaid. -
Schumann, Fauré, Borodine, Bizet
Entre une Flûte Enchantée au Théâtre des Champs-Elysées et un Boris Godounov au Châtelet (dont il ne sera pas question ici), concert à l'espace des Blancs-Manteaux.
Ça débutait directement par le plat principal avec en première partie la Quatrième de Schumann. La musique y fait preuve d'une belle énergie : même si elle frôle, en de rares moments, la crise de hoquet (comme dans le scherzo par exemple, d'où peut-être la référence à la Quatrième de Beethoven ?). A peine interrompu par la romance dans le style troubadour du deuxième mouvement, le joyeux déferlement ne met pas en cause la cohésion de l'ensemble : sans doute parce que tous les mouvements se développent à partir de germes mélodiques présentés dans l'introduction, telles des fleurs aux couleurs variées jaillissant d'un même buisson (Einstein). (Je ne sais pas ce que vaut l'image dans l'absolu, mais dans le cas particulier elle pourra servir de légende à la photo). La fin du Scherzo et l'introduction du dernier mouvement font un passage beau comme du Bruckner avec un climat de sourde attente et les appels croissants des cuivres dégageant l'espace sonore comme s'ouvre un arc de triomphe. La suite s'y engage avec allégresse, ponctuant de grandes accélérations, où tout l'orchestre semble sonner une trompe, l'exultation finale.
Dans la seconde partie, le programme faisait preuve de pédagogie en faisant entendre des musiques familières dont on ne s'était pas jusqu'alors préoccupé (bien à tort) de savoir le nom. -
Brève (Berg, Schönberg)
Deux mots après un concert au Musée d'Orsay :
A propos de l'Adagio de Berg, je renvoie à la note et à la radio de Zvezdoliki (tout un roman : minuit sonnant, palindrome sublime, intiales entrelacées ; mystère sans l'impudeur de la fort gênante Suite Lyrique).
(Et oubliant la référence/révérence, j'avoue que le Pierrot Lunaire est loin d'être l'oeuvre de Schönberg que je préfère).
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Guyane
Souvent dans les conversations d'ici : de sombres histoires de la route de l'aéroport, de billets d'avion, de villes de l'autre côté de la frontière ; voies difficiles, départs éloignés, culs-de-sac. Comme le fantôme dérisoire de récits ou de projets d'évasion. (Le bagne n'est plus qu'un monument historique, à moitié repeint alors que l'air dissout les barreaux et ronge les murs).
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Plaisir pervers
Suis allé au cinéma voir le Temps qui reste d'Ozon parce que je savais que ça ne me plairait pas (justement pour le plaisir, une fois n'est pas coutume, de ne pas aimer). Je n'ai pas été déçu. Le film n'est pas très long et donne l'impression d'avoir été écrit et réalisé rapidement et sans réfléchir (cela peut-il être un argument en sa faveur ?). C'est un collage d'éléments pris ailleurs : l'agonisant sur la plage bretonne comme dans le film de Chéreau ; la filiation comme dans Rois et reines ; le repas de famille comme dans ... ; la grand-mère indigne et son petit-fils indigne comme dans ... Qu'en faire ? Supprimer l'histoire de Romain (photographe par intermittence) et ne garder que les scènes avec Valeria Bruni-Tedeschi ; on obtiendrait alors, peut-être, un court-métrage d'un quart d'heure gentiment absurde ?