Pas de photos et faute de cartes postales, des phrases :
- grandes plaques de pierre grise, dressées sur des socles, alignées dans la première cour. Paraissent parfaitement lisses. Mais de près l’œil perçoit des caractères gravés. Ils sont groupés par mots verticaux. Les mots régulièrement disposés à travers la surface, lavés par les éléments, s'effacent. Incompréhensible pour moi, chaque idéogramme est un grouillement isolé de traits minuscules. Semble un fossile dans l'épiderme minéral, les radicelles d'une plante disparue. Il y a là (ou il y avait), paraît-il, le nom des « cinquante-et-un mille six cents vingt-quatre lettrés reçus aux examens impériaux depuis la dynastie Yuan jusqu'à la fin des Qing ».
- cyprès plusieurs fois centenaires ; leur feuillage est peu de choses contre le bois épais des troncs et des branches tordues. L'autre fois, c'était le mois de mai : des arbres, en fleurs, portaient des grappes violettes. Cette année le temple est en travaux. Mais le chantier ne ressemble pas à ceux ailleurs dans la ville. Là-bas un travail ininterrompu (on fait le ferraillage le jour ; la nuit on coule le béton) monte des tours à la place des quartiers anciens et sans étage. Ici aucune activité. Tubulures rouillées, étais, bâches, meubles d'époque Mao les pieds en l'air. N'indiquent aucune rénovation. Se suffisent à eux-mêmes comme le signe de la désuétude. Les édifices principaux sont condamnés. Je ne reverrai pas la grande salle vide « couleur de l'obscurité », les piliers « revêtus d'une laque écarlate » et la stèle avec le « nom lisible » qu'aucune bouche ne profère. Sur le parvis les ouvriers ou des gosses jouent avec une planche à roulettes.
- les autres, je ne sais pas s'ils sont davantage les habitants du lieu ou ses gardiens. La dame pipi effondrée sur sa chaise dort contre le mur. Un homme rince des tasses dans les lavabos.
Mes bouquins refermés - Page 129
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Deuxième visite au Temple de Confucius
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Superstition du signe
Hier matin en rentrant de promenade : à peine j'arrive devant les ascenseurs de la tour que le manager surgit (c'est un gamin costumé et cravaté qui parle un anglais parfaitement international). En panne. Pour combien de temps ? Il ne sait pas. C'est embêtant : mon appartement est à l'étage 29 ; une voiture vient me chercher dans vingt minutes pour m'emmener à l'aéroport. Il peut m'aider à descendre les bagages, si je veux. C'est gentil, je n'en ai pas. Les escaliers ? par ici, à droite, au fond du couloir.
Je gravis laborieusement la suite de numéros que j'ai déjà vue défiler dix fois (sans voir) sur l'écran de commande. C'est une heureuse surprise : après le 3, le 5 ; après le 12, le 15 ; après le 23, le 25. Calcul fait, j'habite au vingt-quatrième étage. Une inquiétude cependant : et si cela portait malheur ? Non : le numéro est funeste, pas le compte. -
Religion du signe
(...)
La salle vaste et haute a l'air, comme du fait d'une présence occulte, plus vide, et le silence, avec le voile de l'obscurité, l'occupe. Point d'ornements, point de statues. De chaque côté de la halle, nous distinguons, entre leurs rideaux, de grandes inscriptions, et au-devant, des autels. Mais au milieu du temple, précédé de cinq monumentales pièces de pierre, trois vases et deux chandeliers, sous un édifice d'or, baldaquin ou tabernacle, qui l'encadre de ses ouvertures successives, sur une stèle verticale sont inscrits quatre caractères.
L'écriture a ceci de mystérieux qu'elle parle. Nul moment n'en marque la durée, ici nulle position, le commencement du signe sans âge : il n'est bouche qui le profère. Il existe, et l'assistant face à face considère le nom lisible.
Enonciation avec profondeur dans le reculement des ors assombris du baldaquin, le signe entre les deux colonnes que revêt l'enroulement mystique du dragon, signifie son propre silence. L'immense salle rouge imite la couleur de l'obscurité, et ses piliers sont revêtus d'une laque écarlate. Seuls, au milieu du temple, devant le sacré mot, deux fûts de granit blanc semblent les témoins, et la nudité même, religieuse et abstraite, du lieu. -
Pause
Ceci s'interrompt quelques jours. Pour emplir cette pause d'une solennité qu'elle n'a pas (dire qu'on se tait, c'est parler encore ; l'écrire, ce serait le dire perpétuellement ; etc.), je recopie les trois derniers paragraphes de la Religion du signe de Claudel (Connaissance de l'Est).
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Capitale
Je relis René Leys de Segalen :
On ne peut disconvenir que Pei-king ne soit un chef d'œuvre de réalisation mystérieuse. Et d'abord le plan triple de ses villes n'obéit pas aux Lois des foules cadastrées ni aux besoins locataires des gens qui mangent et qui peuplent. La capitale du plus grand Empire sous le ciel a donc été voulu pour elle-même ; dessinée comme un échiquier tout au nord de la plaine jaune ; entourée d'enceintes géométriques ; tramée d'avenues, quadrillées de ruelles à angles droits et puis levée d'un seul jet monumental ... - habitée, ensuite, et enfin débordée dans ses faubourgs interlopes par ses parasites les sujets chinois. - Mais le carré principal, la ville tartare-mandchoue fait toujours un bon abri aux conquérants, - et à ce rêve : (...)
(étrange roman dont le narrateur (qui s'appelle Segalen), tout à son rêve d'inaccessible, s'aveugle, ou feint de s'aveugler, et entraîne dans son délire le jeune et impressionnable René - cela finit mal.) -
Emeutes
(Le 1er Décembre 1921) Les rues se gonflèrent comme des torrents furieux et les parties les plus fragiles des façades immobiles furent enfoncées et détruites (...)
Ainsi commence le Divertimento n°1 de Doderer (trad P Deshusses) et pour les deux protagonistes de cette nouvelle, c'est le point de départ de l'épanchement du songe dans la vie réelle.
Il est question d'une autre journée d'émeute à Vienne (le 15 Juillet 1927) dans le grand livre de Doderer Les Démons ; mais ici comme là il s'agit de révéler la trajectoire de vies humaines soumises aux puissances redoutables de « l'intérieur » (obsessions presque inconscientes, frayeurs oubliées de l'enfance) et de « l'extérieur » (l'Histoire, la Société). -
Pas vu l'expo Dada
Journal : Dimanche. Mangé du veau. A Beaubourg renoncé à voir l'expo Dada (bondée).
Moralité (selon Tzara) :
dada
dada
mangez du veau