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Mes bouquins refermés - Page 130

  • Schubert, Schumann

    Au Châtelet.

    Lieder de Schubert sur des poèmes de Goethe. Surtout der Musensohn : le musicien-poète possédé par les Muses, par le mètre et par le rythme entraînant, entraîné dans une allégresse irrépressible et presque inquiétante, devançant les saisons, courant les champs et les villages, animant au passage le « gros garçon » et la « raide demoiselle », s'en moquant, allant selon sa joyeuse chanson, solitaire et rêvant de repos.

    Lieder de Schumann sur des poèmes d'Eichendorff. Toutes les vignettes du romantisme allemand : l'exil, la bien-aimée lointaine, la solitude, la nature angoissante ou consolatrice, les chasseurs qui sonnent du cor, le rossignol, le château moyenâgeux et même le Rhin et la Lorelei ; mais profondément d'accord avec la musique. Trois favoris :

    Mondnacht : la voix s'égale au paysage nocturne (clarté blanche de la lune, scintillement des étoiles). Auf einer Burg : un paysage vu en plongée ; le vieux château avec son spectre sinistre domine le fleuve où passe une noce faussement joyeuse ; la jeune mariée pleure (et la voix pleure avec elle). Surtout, Zwielicht, vision inquiétante du crépuscule où les arbres frissonnent, les nuages passent « comme les mauvais rêves » ; heure des amours mortelles et des amitiés trahies ; la voix commande soudain : « (bien des choses se perdront dans la nuit) Prends garde ! »

    (Mais comme trop souvent, c'est par un bis peut-être qu'on est le plus touché : un autre lied de Schumann, une musique qu'on ne connaît pas, des paroles (de Kerner) qu'on ne comprend guère (c'est mieux ainsi), Stirb, Lieb' und Freud' !, un petit roman ausbourgeois avec scène de prière et cœur brisé.)

  • La Walkyrie

    Au Châtelet.

    Impression d'ensemble : la musique est moins belle que dans l'Or du Rhin, plus lyrique, plus dramatique mais moins extraordinairement évocatrice.

    Impression de détail : (récapitulons cette histoire bien connue)

    Le premier acte est comme un opéra dans l'opéra, le seul des trois actes à avoir une action cohérente et continue. C'est une espèce de Tristan et Isolde miniature (moins le dénouement), un triangle amoureux, héroïque au lieu de masochiste, mais également placé sous le signe de l'extase nocturne et de la transgression. Ce soir, ça débute très lentement, trop (?) lentement : la rencontre de Siegmund et de Sieglinde est presque paralysée comme s'il s'agissait non pas des premiers feux de l'amour mais de beaucoup plus tard après sa consommation. Heureusement, le mari, Hunding, arrive et nous tire de l'assoupissement. Il est terrifiant, éclairé en vert, vert comme un revenant malfaisant dans une saga islandaise. Inopportunément, face à lui, le héros Siegmund fait pâle figure. Mais l'émotion et l'action ne commencent véritablement que plus tard avec le récit de Sieglinde (Hunding dort). Quelle amertume de femme mal mariée, quel mépris de femme déchue pour sa belle-famille ! Son chant (seul, face au public) a une telle force que Siegmund ne semble plus être alors qu'un fantôme né de sa haine, un reflet et un écho d'elle-même dans la solitude, mêlés au souvenir de son père, un rêve où s'incarnent sa frustration et son désir de vengeance. Les deux amants, le frère et la sœur, fuient dans la nuit transfigurée.

    Dans les actes suivants les scènes se succèdent sans avoir la même cohérence. Leur intérêt (j'ai l'impression) dépend beaucoup de la qualité des interprètes, de leur capacité à faire passer les émotions et les raisons des personnages (ce n'est pas gagné). Après un Heiaha! Hojotoho! gamin de la Walkyrie, Brünnhilde : scène de ménage entre son père et sa belle-mère. Fricka, moitié mégère, moitié philosophe de la liberté, vient demander à Wotan de punir son fils Siegmund coupable d'avoir bafoué les lois du mariage. Wotan cède, et une fois seul, sombre avec l'orchestre dans la dépression (on croit à l'accablement de Wotan, moins à sa colère, jamais à son autorité). Il envoie Brünnhilde annoncer sa mort à Siegmund. Fameuse scène avec roulements de timbale, déjà la Marche Funèbre du Crépuscule des Dieux. De gamine Brünnhilde se métamorphose en déesse de la mort avant de se laisser attendrir (après un jeu de question-réponse sur ce que l'on trouve au Walhalla) par l'amour suicidaire des deux Sieg. Combat d'ombres chinoises et victoire de Hunding sur Siegmund, doublé par la confrontation entre Wotan-Fricka et Brünnhilde. Sur le devant de la scène, Sieglinde voit tout cela comme un cauchemar (je finirais par croire que tout l'opéra n'est que le rêve parthénogénétique de Sieglinde).

    Le troisième acte commence par la Chevauché des Walkyries (un mauvais moment à passer). Brünnhilde a recueilli Sieglinde et cherche refuge auprès de ses sœurs. Pour calmer les pulsions suicidaires de Sieglinde, elle commence à prophétiser et lui annonce la naissance d'un fils : retentit alors le thème de Siegfried et cela sonne comme une réclame pas très engageante pour l'opéra suivant. Wotan arrive. Les Walkyries s'enfuient. Le thème de la Chevauchée revient mais sous une forme plus évocatrice : une débandade, une déroute, une dispersion aux quatre coins du ciel. Wotan condamne sa fille rebelle à se faire déflorer par le premier homme qui passera. Un beau passage tire-larmes des vents à l'orchestre commence la déploration-plaidoyer de Brünnhilde. Elle impose sa volonté (ce Wotan est un pantin) : un feu magique entourera le rocher où elle repose et en réservera l'accès au « héros sans peur ». Alors les fameux adieux de Wotan (moins impressionnants sans Wotan). Mais retentit l'appel du dieu du feu - Loge : et la musique devient merveilleuse. Sur les flots du lyrisme impuissant de Wotan viennent briller les flammes magiques qui ne s'éteindront plus, roulant, dansant, brûlant sans consumer. Le scintillement décroît et croît sous le soufflet de l'orchestre mais demeure inextinguible, toujours changeant, immobile.

    (C'est avec cette image dans l'oreille qu'on attendra la suite en janvier.)

  • Schönberg, Webern, Mahler

    En guise de récréation entre le Prologue (hier) et la Première journée (aujourd'hui) de la Tétralogie, concert à l'Auditorium (à sifflement) du Musée d'Orsay.

    Malheureusement encore des transcriptions : pas franchement le mieux pour profiter de la richesse des timbres des œuvres au programme (l'accompagnement des lieder de Zemlinsky tournait à la rengaine ; un piano indiscret accentuait le côté paroxystique de la 1ère Symphonie de Chambre de Schönberg (malgré la beauté du chant de la clarinette) ; l'équilibre entre la voix et les instruments dans les lieder de Mahler était problématique).

    Le mieux en terme de cohérence d'écoute, c'était donc la seule œuvre dans son format d'origine : le quintette pour piano de Webern avec alternance de phrases ultra-(post)-romantiques et de grincements de cordes (c'est sans doute ce qu'on appelle « une œuvre de transition »).

    (Un mot tout de même sur le dernier des Chants d'un compagnon errant, avec son rythme de marche inquiète qui s'apaise et finit dans une lumière pareille à celle de la fin du Chant de la Terre, comme la solution d'une alternative : Welt und Traum).

  • L'Or du Rhin

    Onze ans (et quelques mois) après, retour au Châtelet pour le Prologue de l'Anneau du Nibelung. Je ne me hasarderai pas à gloser sur la signification profonde de ce cycle temporel (manifestement funeste).

    Quelques remarques (avant que ça se confonde avec la Walkyrie demain) :

    - première merveille : la beauté de l'orchestre. Dès l'évocation initiale des flots du Rhin, il y a la richesse des timbres, la fusion progressive des lignes répétées et superposées, les thèmes qui semblent sourdre des profondeurs (le genre de chose qu'on n'entend pas aussi bien au disque confirme Zvezdo)

    - des passages longuets (la scène de ménage Fricka/Wotan, dieux discrédités dès leur première apparition) mais d'autres qui donnent envie de revenir (le Rhin, le récit de Loge, la fatigue des Dieux, les forges des Nibelungen, les transformations d'Alberich, la malédiction de l'anneau ...)

    - le mode récapitulatif : quand Wagner a mis en scène une action il oublie rarement d'en faire le récit un peu plus tard. Par exemple à la scène 3, premier épisode, Mime se fait battre comme plâtre par Alberich devenu invisible, deuxième épisode, Mime détaille sa mésaventure à Wotan et Loge. Dès la scène 2, Loge décrit les événements qui se sont déroulés à la scène 1. Mais en l'occurence c'est un des plus beaux passages de l'opéra grâce à l'enchaînement des letimotive : ils font passer dans le récit les étincelles du dieu du Feu qui parcourt le monde, puis les miroitements des eaux du Rhin, puis l'éclat de l'or qui allume la convoitise des dieux et des géants

    - le mode prophétique : pendant du précédent. La renonciation d'Alberich, la malédiction de l'anneau, la prophétie d'Erda. Le passé se récapitule, l'avenir s'annonce. (Tout cela serait lettre morte sans la musique qui projette dans le présent toute la richesse rétrospective des opéras à venir : par exemple le thème du Crépuscule des Dieux dans la scène d'Erda).

    - le motif du Tarnhelm : le plus impressionnant des thèmes de l'Anneau du Nibelung ? associé au casque magique, celui qui permet les métamorphoses. Il domine la scène des transformations d'Alberich. Une musique sinistre et incertaine comme un souffle des profondeurs, un déferlement de brumes.

  • Jour J

    Dilettantisme : pas révisé, pas relu ce qu'en disent Proust, Debussy ou Nietzsche, pas relu l'Edda, pas lu le livret, ni le Chant des Niebelungen, ni le Capital, ni le Monde comme volonté et comme représentation, pas comparé les versions Solti, Haitink, Karajan, Boulez, Knappertbusch, Böhm ou Furtwängler, pas entendu les interviews de Bob Wilson, ni de Christoph Eschenbach, passé ces dernières semaines à écouter du Wolf et du Mozart, etc. Mais mieux vaut ne pas le dire, il faudra en parler demain.

  • Ligeti, Mozart

    Au Théâtre des Champs-Elysées, quatuors de Mozart et de Ligeti.

    Maintenant que les grands secrets de l'univers sont éclaircis et que la toile du hasard gît déchirée à terre, j'ai quelque réticence à aligner des banalités contingentes sur la musique qui servit de prétexte à cette révélation.

    Sans y aller par quatre chemins : il y avait le Quatuor n°2 de Ligeti dont la lisibilité était accentuée par la petite conférence d'introduction faite par le violoncelliste (mais qui renforçait la qualité d'anthologie de l’œuvre).

    « Une impression d'immobilité qui s'impose au fur et à mesure que le rythme s'accélère » dans le premier mouvement ; « des mécaniques désaccordées » dans le troisième (les fameux pizzicati doublés en bis par ceux de Bartók) ; et dans le cinquième, « une mélodie qui vient flotter comme un au-revoir à l'histoire de la musique ».

    (Bien sûr, c'est l'au-revoir que j'ai préféré - dont les connaisseurs nous diront peut-être s'il peut faire penser à la San Francisco Polyphony).

    Après deux autres quatuors de Mozart (d'un quatuor à l'autre le premier et le second violons échangeaient leur place), le couronnement de la soirée c'était (l'avant-dernier) du même, le n°22, en si bémol majeur K589. Si vous vous intéressez aux quatuors de Mozart (plus on les écoute, plus on les aime), allez plutôt ici ou là. Ce matin je me souviens du thème en forme de toupie qu'on lance du premier mouvement (relance surprise à la moitié du morceau) ; des phrases du violoncelle et du violon dans le mouvement lent ; et surtout du Finale avec (là aussi à peu près au milieu) le passage où les musiciens empoignent le thème avec une fougue toute Beethovénienne.

  • Pas vu l'expo Klimt

    Une dame (...) me demande si je m'exerce à l'analyse de mes songes, comme il se fait dans l'Europe centrale où il n'est point de personne bien née qui manque, chaque matin, à retirer de ses propres gouffres quelques énormités abyssales, quelques poulpes de forme obscène qu'elle s'admire d'avoir nourris. (Valéry - Petite Lettre sur les mythes, Variété 2)

    Il n'est pas si tard quand je sors du cinéma (ayant vu A travers la forêt, de Civeyrac ?). Je décide d'aller au Grand Palais voir l'expo Klimt. C'est une bonne idée : malgré l'affluence, il n'y a personne à l'extérieur. En revanche une certaine agitation devant les caisses. On court pour être les premiers au guichet. Avec raison : l'accès est limité par un quota, bientôt atteint. Je règle difficilement le prix d'entrée (2 euros 13) car les pièces jaunes que je pose sur le comptoir s'avèrent être presque toutes des dollars américains (les lettres US se détachent dans la lumière rasante). L'employée qui toujours s'exprime avec réticence, me montre un reçu de carte bleue et m'annonce une attente d'un quart d'heure : il ne reste que deux places ; elles ne sont pas pour moi puisque je suis seul.

    J'entends qu'on m'appelle. C'est une jeune femme blonde, élégante, les cheveux courts, qui était assise au fond du hall sous les fenêtres extérieures. Un type l'accompagne, trois pas en arrière, rond et jovial, acquiesçant à tout ce qu'elle dit. Elle me connaît, je ne la reconnais pas. On s'est rencontrés « aux trois jours » d'un séminaire de formation « en résidentiel ». La conversation se poursuit dans un café. Elle a pris place sur une banquette vert bronze ; au-dessus d'elle un miroir. Elle évoque des souvenirs communs : on avait passé une soirée dans un restaurant de cuisine exotique ; on avait essayé le ragoût de singe (?). Une mauvaise idée : que des os, pas de viande. Elle répète ce qu'elle disait alors, combien dans ce séminaire elle m'enviait ma réussite, alors qu'elle, elle échouait. Elle échoue encore (comme son allure, son assurance, la cour qui la sert démentent ses paroles !). Le récit de ses malheurs prend un tour plus intime : elle raconte ses démêlés avec sa mère, qui la dénigre systématiquement. L'autre jour encore, s'entendre dire (je cite) : « hier déjà sur la poupe, aujourd'hui une pouf' ! »

    Mais je me suis éloigné. Mon siège lui tourne le dos. Des têtes hilares sont venues s'intercaler entre elle et moi. Comme il s'agit de montrer Paris au cousin de Province (le gros jeune homme en costume qui l'accompagne), ils parlent d'aller voir les illuminations de l'Opéra.

    Ici c'est une caricature de Veronica Lake qu'on écoute : grasse et luisante (comme Circeto ?), elle fait des discours sur sa coiffure, une masse de cheveux laqués, des mèches grises et jaunes avec des crans. Je me souviens alors que j'ai oublié ma serviette bourrée de papiers, très lourde, devant la caisse du Grand Palais. Il est trop tard pour voir l'expo. Je vais rentrer chez moi.