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Mes bouquins refermés - Page 120

  • Eve au miroir

    Au cinéma, revu Eve de Mankiewicz.

    Contrairement à mon souvenir, ce n'est pas Eve qui dans le plan final salue face au triple miroir.

    Un nouveau personnage entre en scène à la toute fin du film. Une jeune femme s'est glissée en cachette dans la chambre d'hôtel d'Eve Harrington pour approcher son idole. Elle a revêtu un des vêtements étincelants de la star ; elle tient dans les mains le trophée que l'autre vient de recevoir ; elle s'incline, énigmatique, souriant à son reflet multiplié à l'infini dans la glace. La jubilation de l'inconnue, Eve naissante, fait sentir l'amertume de l'Eve réelle, effondrée dans la pièce d'à-côté, déjà indifférente et fatiguée, malgré sa réussite.
    (Les reflets comme figure de la gloire ? ou bien, doubles d'un double, semblables à la cohorte éternelle des Eve qui y aspirent ?)
    Des éclats de cette image parfaite ont été joués par Eve elle-même dans le cours du film : Eve remerciant l'assistance lors de la cérémonie ; Eve faisant la révérence sur la scène du théâtre vide (serrant contre elle le costume de Margo, surprise par une Margo indulgente) ; Eve ayant enfin revêtu les habits de Margo ; Eve monologuant à la fin de la soirée d'anniversaire. (L'image engendre ses précurseurs – de même que la transfiguration, l'extase, qu'elle montre illumine a posteriori la noire détermination du personnage.)

  • Feuilleton 1916

    Au cinéma, Judex de Feuillade (prologue et épisodes 1 à 3).

    Le banquier Favraux est devenu très riche par la ruine de modestes épargnants. Il a une fille qui est veuve et mère d'un petit garçon. Le banquier embauche une institutrice pour son petit-fils ; en réalité, il se cherche une bonne amie. A malin, malin et demi. L'institutrice n'en est pas une, c'est une apache (jouée par Musidora !).

    Un jour un pauvre homme (LE CHEMINEAU DU DESTIN) se présente à la grille du château de Favraux dans les environs de Paris. Il veut parler au banquier. Le vieillard sort de prison où il a passé vingt ans. Favraux a fait son malheur et celui de son fils, introuvable, qui paraît-il aurait mal tourné. Le banquier hausse les épaules. Le vieil homme le maudit et puis s'en va. Sur la route, il est dépassé par la voiture de Favraux qui rentre précipitamment à Paris. La voiture le renverse et ne s'arrête pas, il reste comme mort étendu sur la chaussée.

    Peu après Favraux reçoit une lettre mystérieuse signée Judex. Elle parle des petits épargnants, elle parle du vieillard : elle somme le banquier de donner la moitié de sa fortune à l'Assistance Publique avant le lendemain soir dix heures. Inquiet, Favraux engage un détective privé mais ce dernier manque manifestement d'expérience. Le lendemain tout le monde est réuni au château pour les fiançailles de la Fille Favraux. Entre-temps le banquier a reçu un second avertissement. A dix heures, il lève sa coupe de champagne et...

    (A suivre)

  • Brahms, Beethoven

    Concert à la Salle Gaveau.

    Le Quintette avec piano de Brahms. Sentiment (quoique ici peut-être atténué) que la musique de Brahms a « horreur du vide » ; veut tout calfeutrer, tout couvrir et, posant le papier peint, ne manque pas d'en tapisser également le plafond.

    En seconde partie, le Septuor de Beethoven. L’œuvre est, sauf erreur, loin de toucher au sublime. Mais la façon dont elle est donnée ce soir, menée par le violon et la clarinette, donne comme rarement le plaisir de la maîtrise et du jeu - le violon s'arrêtant juste en deçà du point où la plaisanterie trop prolongée l'isolerait des autres et menacerait l'ensemble.

  • Mozart, Schubert

    Concert au Théâtre du Châtelet.

    Avant que ça commence, une voix off avertit que la première partie serait réduite au seul Sposo deluso : l'opéra bouffe, inachevé, de Mozart suffit amplement « en raison de la découverte de nouveaux numéros ». Les airs chantés correspondent au programme imprimé, qui n'en dit mot. On n'en saura pas plus (exit la Symphonie n°33).

    En seconde partie, la Neuvième de Schubert.

    (La symphonie étale un paysage, s'y aventure, le replie, change son ciel, l'embrume, souffle, éblouit. Je me disais, quelquefois absent sans cesser d'y être, entendant sans toujours écouter : la musique n'est pas seulement un phénomène sonore, c'est un espace, que la salle renferme et où on est pris. Architecture enveloppante, invisible ou obscure (fermons les yeux), échafaudée dans le temps, transitoire).

  • Autre oiseau

    Mais quelques-uns, en songeant que la richesse aurait pu venir à eux, se sentaient prêts à défaillir ; car ils l'auraient mise aux pieds d'une femme dont ils avaient été dédaignés jusqu'ici, et qui auraient enfin livré le secret de son baiser et la douceur de son corps. Ils se voyaient avec elle, à la campagne jusqu'à la fin de leurs jours, dans une maison tout en bois blanc, sur le bord d'un grand fleuve. Ils auraient connu le cri du pétrel, la venue des brouillards, l'oscillation des navires, le développement des nuées, et seraient restés des heures avec son corps sur leurs genoux, à regarder la marée et s'entrechoquer les amarres, de leur terrasse, dans un fauteuil d'osier, sous une tente rayée de bleu, entre des boules de métal.

    (Une image en appelle une autre. Le pétrel remplace la chouette. La monotonie d'un cri se confond avec l'oscillation des marées. La vie brève et ratée s'éternise dans la brume, s'accomplit dans le rêve et la vision. Nous sommes toujours chez Proust, mais ici avec Flaubert - dans l'Affaire Lemoine).

  • Monotone et inimitable

    Profitons de ces quelques lignes de Chateaubriand pour citer Proust :

    J'aime lire Chateaubriand parce qu'en faisant entendre toutes les deux ou trois pages (comme après un intervalle de silence dans les nuits d'été on entend les deux notes, toujours les mêmes, qui composent le chant de la chouette) ce qui est son cri à lui, aussi monotone mais aussi inimitable, on sent bien ce que c'est qu'un poète. Il nous dit que rien n'est sur la terre, bientôt il mourra, l'oubli l'emportera ; nous sentons qu'il dit vrai, car il est un homme parmi les hommes ; mais tout d'un coup parmi ces événements, ces idées, par le mystère de sa nature il a découvert cette poésie qu'il cherche uniquement, et voici que cette pensée qui devait nous attrister nous enchante et nous sentons non pas qu'il mourra, mais qu'il vit, qu'il est quelque chose de supérieur aux choses, aux événements, aux années, et nous sourions en pensant que ce quelque chose est le même que nous avons déjà aimé en lui.

  • L'empire englouti

    Au cinéma, le Soleil de Sokourov.

    Tout baigne dans une lumière sourde. Le bunker semble un sous-marin échoué. Le rituel confiné pèse et rend les gestes difficiles comme s'ils étaient encombrés de scaphandres et de semelles de plomb. Par moments l'empereur tel un poisson ouvre et ferme la bouche sans qu'aucun son en sorte. Il considère avec délice un crabe sans couleur.

    Dans une séquence rêvée (qui fait penser au dernier Miyazaki), la ville de Tokyo en ruine est le fond gris d'une mer morte. Au dessus des explosions et leur boule de feu, des poissons métalliques rôdent comme les bombardiers