Après deux jours passés à la National Gallery de Londres, je ne peux qu'exprimer, à nouveau, mon admiration. Qui ne voudrait accorder au musée la place qu'il revendique ? il s'agit ici d'une des plus belles collections de peinture ancienne au monde. Sont exposés les plus hauts chefs-d'œuvre des plus grands peintres et les conditions de présentation sont presqu'idéales : l'espace, la lumière, le confort sont prodigués aux visiteurs nombreux ; à part la foule elle-même, rien ne vient gêner leur délectation ; les vitres de protection (la plaie de la muséographie moderne) sont réduites au minimum (le minimum inévitable sans doute quand de si fragiles trésors sont exposés dans des lieux aussi ouverts).
Cependant, à mon sens, il manque quelque chose et je n'ai pas trouvé (pas davantage cette fois-ci, pendant ces quelques heures) ce qu'on appellera pompeusement, si on veut, le génie ou l'âme des lieux. Une unité, un principe, un rêve, une chimère... On sait qu'on verra aux Offices ou à l'Académie de Venise le fruit le plus riche de la ville qui les contient ; on sait qu'on trouvera au Rijksmuseum la gloire de Rembrandt et de la peinture hollandaise ; on sait que s'avèrent au Prado le miracle Velázquez et le destin Goya ; le KHM à Vienne possède avec la salle des Bruegel la seule universalité véritable à laquelle l'empire des Habsbourgs puisse jamais prétendre. Au Louvre, La grande procession de la peinture française court dans les galeries du vieux palais jusqu'au rouge sang-de-bœuf des hautes salles Mollien où l'histoire et l'art marchent ensemble et résonnent dans une formidable cadence. Ici, quoi d'équivalent ?
(Que manque-t-il à ce quasi paradis des amateurs d'art, qu'on savoure ailleurs ? Dommage que la peinture anglaise soit en grande partie exilée plus loin dans Londres ; deux ou trois salles entièrement dédiées à Constable et à Turner, qu'on soit fou de ces peintres ou non, permettraient de respirer un autre air... de voir des tableaux autrement qu'ainsi exposés, comme trophées de la fortune de l'Angleterre ou de la perspicacité de ses historiens d'art.)