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Images peintes - Page 2

  • Mars

    Le Mois de mars, de Francesco del Cossa au palais Schifanoia.

    (Chaque visite du palais Schifanoia est l’occasion d’un nouvel engouement pour l’art de Francesco del Cossa. Mais l’œuvre est si rare et dispersé qu’on sait déjà que cet enthousiasme manquera ailleurs d’aliment ; à l’exception de la Vierge du musée de Bologne, il ne restera pour le soutenir, en attendant d’y retourner, que le souvenir des fresques de Ferrare. Les murs peints sont divisés en trois bandes horizontales et de largeurs différentes. Les scènes historiques occupent la plus grande, en bas. Dans cette partie, la représentation coagule en un seul espace, impossible, des éléments disparates. Chaque vue forme un ensemble proportionné bâti selon les règles, mais on passe de l’une à l’autre par des parcours ou des trouées fantastiques. Au premier plan la cour de Borso d’Este s’assemble pour une audience ; et, au fond,  les mêmes vont à cheval, représentés en bloc et de profil comme sur une médaille ; ils courent un lièvre et leur chevauchée les amène tout droit dans le vide, alors qu’ils s’avancent sur un promontoire au dessus du palais d’où ils sont sortis. A gauche une scène de travaux aux champs, autonome comme ces petits théâtres réalistes taillés dans le paysage à l’arrière-plan des tableaux de Mantegna. Mais l’atmosphère ici est plus sensible. Des paysans travaillent dans une treille à élaguer la vigne ; l’étendue est fermée par une rangée de maisons ;  la terre est sombre mais l’air froid de mars donne aux blancs un éclat qui accorde les vêtements des paysans, la nuée des colombes autour du pertuis du colombier et le croissant de lune mangé par le ciel bleu ; leur luminosité particulière fait penser à la neige (là-bas, au dehors) qui s’attarde en ce début du printemps sur les sommets des Apennins. )

  • Dernier instant

    La chasse d'Ascagne, de Claude Lorrain (Ashmolean Museum) :  dans l'exposition "Le Paysage enchanté", au musée Staedler.

    (A gauche Ascagne a engagé la flèche et tendu l’arc. Sur l'autre bord, le cerf apprivoisé s’est tourné vers lui. Le trait éteindra ce regard, annulant la distance qui sépare la proie du chasseur. Le peintre a par son art patiemment établi cette ouverture. Il a composé le paysage, qu'il a traversé lentement comme ces voyageurs que l’on voit là-bas franchir le fleuve sur un pont. Son travail l’a mené de ce sommet à l'horizon, couvert de neige couleur de la toile vierge, par cet estuaire incertain, jusqu’au drame du premier plan. Il s'est approché au plus près de cette limite qu'il ne peut pas atteindre. Le levain de l’aube blanchit le ciel et sa clarté imprègne les feuillages, semble suspendre leur pesanteur et rendre plus légers les arbres qui s’allongent. Mais, au moment où le coup partira et blessera mortellement la bête, le premier rayon du soleil redonnera au monde son poids et ses proportions, et sera fatal à son inachèvement.)

  • Effusion

    Vierge, dite de Lucques, par Van Eyck, au musée Staedel de Francfort.

    (Dans le sens de la profondeur, le trône où la Vierge est assise occupe presque toute la largeur de la pièce étroite, pareille au renfoncement d’une chapelle ; la mère tient l’enfant sur son giron, dans l’ouverture du riche manteau rouge qui la couvre; plus bas l’étoffe retombe sans que les plis laissent voir la forme du corps, comme sur le devant d’un autel – nous dit-on.

    Sur les parois latérales, des renfoncements symétriques : ils sont aveugles d’un côté ; de l’autre un vitrage en culs de bouteille laisse passer la lumière. Les récipients rangés dans la niche opposée (un bassin de cuivre, une carafe en verre) semblent la recueillir. Selon le même axe transversal, mais dans le sens inverse de l’éclairage (le principe s’écoule de la droite vers la gauche), la mère allaite son enfant.

    La tendre effusion est cachée en ce point où se joignent les lèvres et le sein de profil. Mais elle trouve un équivalent dans toute la surface de l’œuvre : la peinture y accomplit une autre lactation, adorable pour l’œil, faisant rayonner doucement sous la lumière la soie, les métaux, les pierres précieuses et les chairs, les matières transparentes ou opaques.) 

  • Orage

    La cathédrale de Salisbury sous l'orage, de Constable à la National Gallery de Londres.

    (La foudre qui approche blanchit les herbes hautes et les branches. L’orage tord les nuées et fait brasiller le monde. Le coup de vent a mis à nu les bois de l’arbre ; on constate alors que le tronc a même forme que l’éclair ; l’électricité qui cherche le sol rencontre l’effort primordial de la nature qui s’élève et, l’un par l’autre, ils s’annihilent. Cependant, protégée par la flèche paratonnerre, la cathédrale repose solidement sur la terre. Derrière elle l’arc-en-ciel prend appui sous l’horizon et dégage l’éclaircie. La charrette humaine est empêtrée dans la rivière grossie mais un autre rouage, plus fondamental, est à l’œuvre.)

  • Saoule

    A nouveau la Riboteuse de Metsu.

    (Le chaud tapis de table rayonne doucement comme l’ivresse. Mais ses plis lourds dérangent l’aplomb de toute chose : assise, la riboteuse tombe ; les cheveux follets repoussent la coiffe ; ses bras ne peuvent rien tenir. Saoule, elle ne sait si elle va pleurer ou bien rire. Elle ouvre grand les yeux. Elle s’est penchée sur sa gauche, elle a levé son verre, il n’y a personne… Un amour de pierre, enfant atlante, rit derrière elle. Le pot à vin baille, le verre est vide : elle trinque avec le carafon.)

  • Ouverture

    La Résurrection, de Giovanni Bellini, à la Gemäldegalerie de Berlin.

    (La clarté règne dans le ciel mais la terre est encore dans l'ombre, et l'univers paraît disjoint. Dans les lointains l'aube déborde les collines, où la nuit reste assise, sans les toucher : l'horizon n'est pas une ligne mais un espace ouvert entre deux mondes qui ne sont pas à la même heure. A l'extrémité opposée, au premier plan, un autre écart s'instaure entre le sol et la nue ; la Résurrection est redoublée par la prouesse d'une Ascension si bien que le Christ relevé baigne tout entier dans l'air que signale le fond de nuages roses et de couleurs célestes. Sa main bénissante se lève dans l'azur et le linceul s'arrange en volute blanche. Mais ici, en contrebas, à l'aplomb de ce corps, la lumière a atteint la terre : elle détaille merveilleusement chaque caillou devant l'ouverture béante de la tombe, elle éveille les hommes endormis ou qui approchent le long des chemins et lèvent les yeux.)

  • Les saisons

    Phaéton demande à conduire le char du Soleil, de Poussin, à la Gemäldegalerie de Berlin.

    (Phaéton est à genoux devant son père, Hélios, et le prie de bien vouloir lui laisser pour une journée les rênes du soleil ; d'un geste éloquent, il montre le char à l'arrière-plan. Le dieu est assis sur un trône de nuées dans le cercle du zodiaque. Son air de jeunesse éternelle contraste avec la vigueur fruste du mortel qui lui fait face ; son abattement montre assez qu'il va accéder aux instances de son fils et qu'il en sait les conséquences funestes. Autour d'eux les Saisons sont représentées avec leurs attributs ; le visage de l'Eté est enflammé par le reflet de sa robe rouge (qui a dit que les figures de Poussin étaient sans séduction ?). Les quatre allégories ne sont pas disposées selon une ronde : le chemin régulier qui va de l'Eté à l'Automne et de l'Hiver au Printemps forme ici une intersection, se refermant à l'endroit où se tient Phaéton. Hors du noeud que fait cette ligne, le bras du jeune homme tire une droite, on l'a dit, tendue vers le char funeste. Mais le Temps, qui s'avance, va semble-t-il trancher le fil invisible, à la fois son désir et sa vie.)