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Une histoire intéressante, de James Tissot au musée de Melbourne.

(Le Tissot est présenté dans une salle qui reproduit l'accrochage serré des galeries d'autrefois, où les oeuvres sont placées les unes contre les autres sur plusieurs rangs jusqu'au plafond, utilisant au mieux tout l'espace disponible, perdant en lisibilité ce qu'elles gagnent en profusion. Le petit tableau arrête cependant le regard. Est-ce à cause de son sujet ? Un homme, qui porte l'habit rouge du militaire anglais, est largement penché sur une carte étalée devant lui ; assises à la même table, deux femmes très apprêtées et très coiffées s'ennuient, s'impatientent ou rient en silence et prêtent fort peu d'attention au point géographique que désigne leur commensal. J'ignore si la scène correspond à une anecdote déterminée mais elle rappelle vaguement Tristram Shandy et les démêlés de l'oncle Toby avec la veuve Wadman. Comme on sait, quand celle-ci demande à celui-là l'endroit exact où il a été blessé au siège de Namur, l'ancien officier feint de ne pas comprendre et, sans spécifier les organes qui ont pu alors être endommagés, au bas-ventre (d'où les inquiétudes de la veuve qui songe au remariage), fait apporter un plan de la ville et de ses fortifications afin d'indiquer avec précision le lieu où il reçut le malheureux coup. Mais il y a deux femmes ici, et non pas une... Les figures ont les défauts des personnages des scènes de genre : elles font davantage penser à des acteurs en costume employés à la réalisation d'un tableau vivant qu'à des êtres réels. Le peintre a habilement construit l'aire où s'inscrit la scène, qu'il ménage entre le coude relevé du militaire et le renflement du bow-window. Mais la fascination naît véritablement à l'arrière-plan, de la cloison amplement vitrée et du paysage qui s'étend au-delà : on voit le bassin d'un port où sont ancrés de hauts voiliers avec au fond le quai opposé, bordé de maisons. Il y a une étrange équivalence entre la paroi transparente et ce qu'on devine derrière : entre la croix des mâts et les croisées des fenêtres, entre les voiles resserrées contre les vergues et les stores relevés. Qu'on le veuille ou non, l'analogie formelle finit par contaminer insidieusement la pièce, en-deçà, à travers le cristal lumineux de l'espace : les deux femmes suggèrent deux grands navires sous les voiles, dédaigneux de l'eau étale qui les porte, et le militaire la flamme rouge qui flotte à l'artimon. Ou bien, d'une autre façon, le procédé qui fait correspondre par le jeu des analogies le paysage à l'arrière-plan et la paroi interposée est également à l'oeuvre dans la scène d'intérieur : ici le noir et blanc des toilettes concorde avec les couleurs identiques de la carte. L'homme pointe un doigt sur le papier ; sans la substitution, il porterait la main sur l'une ou l'autre de ses compagnes : de même le peintre avec son pinceau a campé ses modèles. Qu'une surface plane résonne avec un espace ou un volume et voilà que le tableau devient une allégorie de la peinture. )

Commentaires

  • Avec ce que vous imaginez à propos de ce tableau ,
    j'ai eu la curiosité de relire dans Tristram Shandy les chapitres sur les amours de l'oncle Toby : c'est tout à la fin du roman , dans le livre IX .
    Du chapitre 1 au ch.XXVI de ce livre IX , ce ne sont que digressions plaisantes et humour délicieux (ainsi les chapitres XVIII et XIX sont d'abord vides : au lecteur d'imaginer les premiers moments de la rencontre entre Toby et Mrs.Wadman… , mais Sterne insère le contenu de ces deux chapitres entre le ch. XXV et le ch.XXVI ! ; la première phrase du ch.XX (après 7 lignes d'étoiles (sur mon exemplaire ) )est : "Vous verrez l'endroit précis , madame , dit mon oncle "…
    Et le ch.XXVII se réduit à une phrase :"la carte de mon oncle Toby est emportée à la cuisine ."
    Le roman s'achève au ch.XXXII sur une histoire de vache et de taureau .

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