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Mes bouquins refermés - Page 94

  • H. M.

    Au Louvre, revu le David sacré roi par Samuel, de Claude Lorrain.

    Au premier plan, sous un haut portique se déroule la scène qui donne son nom à l'oeuvre. A côté, devant le palais, des serviteurs vont et viennent parallèlement au plan de la toile. Un sacrifice se prépare. On amène un bélier ; l'homme qui doit le mettre à mort attend debout, au centre, la double hache sur l'épaule. Au-delà s'étend un magnifique paysage de vallée, dans une douce lumière. Une ville est massée au pied des montagnes (dont le modèle est peut-être une ville d'Italie que le peintre a vue, de brique et de travertin, encore médiévale, fortifiée). Je ne peux m'empêcher de faire le lien entre cette cité et la royauté accordée à David (dans le tableau les deux éléments se répondent d'un plan à l'autre, à gauche)... Devant la ville, il y a un pont d'une forme peu commune, interrompue, comme un m disjoint : deux arches de pierre, une pile centrale, deux passerelles que l’on imagine en bois : dans le rapport imaginé, la symétrie de la construction fait écho à celle de l'instrument du sacrificateur...

    Peu après, le lisais : "Le labyrinthe, c'est le lieu de la double hache (Labryx)" / Robbe-Grillet à Cerisy : "Cela posé, je n'ai pensé ni au poignard, ni au Labyrinthe, ni à quoi que ce soit de ce genre mais à deux lettres qui au point de vue graphique sont les deux plus proches, puisqu'il y a des façons de tracer le M qui le font ressembler tout à fait à un H (--> Henri Martin, Dans le labyrinthe). (...) H. M., c'est le personnage dont le prénom est identique au nom de famille (??? --> Humbert Humbert, Lolita), et dont chaque moitié de lettre est identique à la deuxième moitié, ce qui produit une double annulation, comme si le nom y disparaissait lui-même en tant que nom" 
    (in Renaud Camus, Journal de Travers, Fayard, p226)

  • The turn of the screw

    Au conservatoire, l'opéra de Britten.

    Les enfants sont interprétés par deux jeunes femmes. Du coup, Miss Flora fait preuve d'une maturité assez curieuse, pleine d'aplomb (sa voix couvre quelque fois celle de la gouvernante) ; Miles surtout y gagne une gravité et une tristesse émouvantes. En revanche l'incarnation des fantômes me gêne (peut-être faudrait-il mieux ne pas les faire évoluer sur la scène et les laisser dans l'orchestre ou en coulisses ?).

    (Les apparitions du Tour d'écrou m'ont rappelé un passage d'Oliver Twist : au chapitre 34, Oliver a échappé aux méchants ; il habite à la campagne chez ses bienfaiteurs. C'est la belle saison, la fin de la journée ; l'enfant s'est assoupi à la fenêtre devant un jardin qui ouvre sur les champs. A un certain moment, il se réveille en sursaut et découvre avec horreur le terrifiant visage de Fagin, dehors, qui l'observe . L'instant d'après, la vision a disparu ; malgré les recherches, il n'y a pas trace de l'intrus dans la campagne environnante... Même cadre bucolique dans la nouvelle de Henry James, même enfance menacée ; la ressemblance est peut-être une part de la fiction elle-même : la gouvernante a sans doute lu Dickens. Mais, ici, tour de vis supplémentaire : le fantôme et le jeune garçon sont soupçonnés d'être complices.)

     

  • Demi-tour

    Je rentre chez moi, mais à la première gare, on m'arrête ; je fais demi-tour : il y a eu confusion, quelque chose a été emporté par erreur, qu'il faut rendre. Un peu de bousculade précède le départ sur la plate-forme, devant l'ascenseur. A l'intérieur la cabine n'est pas aménagée et laisse voir la tôle du fuselage. Pas de sièges : on s'assoit par terre avant de s'apercevoir que les paquets dissimulaient les banquettes et qu'il y a la place où ranger ses jambes. On démarre. La barque remonte une rivière à l'abri des arbres, elle jette une ombre sur le courant ; l'ombre passe sur les feuillages, sur les champs, bondit comme un chien qui accompagne le voyageur en le quittant sans cesse, à l'image des chemins, des haies et des pentes contraires. Tous mènent le pays jusqu'à ce promontoire devant la mer et le détroit qu'elle forme et qui reste à franchir.

  • Ordonnance

    Au cinéma, Cité interdite de Zhang Yimou.

    Le spectacle (les décors, les combats, les batailles, la musique, les images) est très laid ; mais il y a une espèce de rituel qui fait tenir l'ensemble : toutes les deux heures, de l'aube à minuit, des sonneurs passent ; les servantes en cortège viennent trouver l'impératrice, s'agenouillent, lui versent le remède qu'elles apportent. L'infusion prescrite par l'empereur est un poison qui tue lentement ; l'impétratrice le sait mais ne peut s'y soustraire (le vaste complot ourdi, les fils massacrés, l'inceste révélé ni l'armée anéantie ne lèveront la sentence). L'impératrice boit, vide la tasse ; se rince la bouche avec un peu d'eau (recrachant derrière sa grande manche).

  • Glaçure

    medium_Velazquez_-_Marchand_d_eau.3.jpg(Le marchand d'eau, de Velazquez, récupéré dans les bagages de Pepe Botella par Welligton et exposé dans sa demeure londonienne de Apsley House). Je ne sais pas s'il faut chercher des équivalences entre les céramiques au premier plan et les personnages qui se tiennent juste derrière elles : d'un côté le marchand d'eau dans son ample manteau ; de l'autre le garçon au col froissé. (La tête du premier, veillie et recuite, évoque bien davantage la puissance du soleil que les pouvoirs de l'eau ! Le second est d'une porcelaine plus fine.) Quelques gouttes d'eau coulent sur la panse du récipient (un peu de l'eau précieuse a été renversée) et font la preuve de l'habileté du peintre. On trouve ailleurs chez lui des natures mortes de terre cuite (par exemple au pied de Bacchus dans Los borrachos) et elles sont l'occasion de démontrer une maîtrise suprême dans la représentation des matières (notamment les glaçures, où la surface devient brillante : comme un emblème de la touche du peintre qui rend liquide, aérienne, lumineuse, l'argile mate de la peinture).

  • images

    On croirait que ces images sont ce qu'il y a de plus fugace au monde, mais l'espace d'un instant, la vie tout entière se dissout en elles ; elles seules demeurent sur le chemin de notre vie dont on dirait qu'il n'a progressé que de l'une à l'autre d'entre elles...

    (Musil, cité dans Une Transaction secrète par Jaccottet).

  • Triomphe

    medium_mantegna_3.jpgA Hampton Court, le Triomphe de César de Mantegna. Il y a ici (je crois) tout un savoir d'archéologue et d'humaniste qui explique le choix et le dessin des accessoires, l'organisation du cortège, les vêtements, les armes, les architectures : bric-à-brac rêvé ou copié selon les témoignages et les vestiges de la civilisation romaine (les bas-reliefs de l'Arc de Titus à Rome ?)... Mais ce qui frappe d'abord c'est l'aspect fantastique de ce monde dressé sur des piques au-dessus des porteurs (groupés en fonction de leur charge), vision d'impesanteur, effloraison sans ordre d'objets hissés malgré leur poids dans le ciel italien, comme le déménagement d'une fourmilière, un pillage, un envol extraordinaire pour la migration ou l'essaimage, une semaison ; en l'air : pavillons des trompettes, flambeaux, oriflammes, lares, bannières peintes, statues, trophées, lances, cuirasses, casques, armes de siège, vases, enseignes, musiques, bustes et feux... au-dessus des rangs rivés au sol, une garde-robe d'acrobate.