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Mes bouquins refermés - Page 90

  • Hortensia

    Au cinéma. The shooting, de Monte Hellman.

    Dans l'Ouest américain, les frères Gashade et Coin exploitent une mine avec deux compagnons. Un matin en rentrant d'une absence de quelques jours, Gashade trouve le site bouleversé : Coin a fui, leur associé a été abattu par une tireur invisible ; le troisième, un jeune homme un peu simple, se cache, terrifié par les coups de feu. L'attaque est sans doute motivée par la vengeance : on apprend que, peu auparavant, Coin a provoqué la mort accidentelle, en ville, de deux personnes, dont un enfant.

    Alors un femme paraît ; elle a perdu son cheval ; elle engage les deux hommes pour l'escorter jusqu'à sa destination. On devine et on découvre peu à peu qu'elle est à la poursuite de Coin. (Cette histoire conserve une part d'énigme ; elle est racontée et exécutée sans grands discours d'explication et sans luxe de motivations ; les personnages s'engagent dans une aventure où la mort, ils le savent, est presque certaine ;  tout cela me fait penser aux récits de Borges. L'attribut mythique n'est pas absent : la femme, namenlos, refuse de dire son nom.)

    (La femme joue avec le jeune homme qui s'est entiché d'elle. Il quémande un nom. Elle répond, aimable : - Quel est le nom que vous aimez le mieux ? - Je me rappelle le nom que mon père donnait à ma mère ; moi, je l'appelais maman, mais lui disait Hortensia... - Hortensia ? ne m'appelez jamais ainsi.)

  • Zuidam, Berg, Reger

    A la Cité de la musique

    La première œuvre au programme a quelque chose de familier ou de banal ; ça pourrait être le mouvement lent d'une symphonie, avec les épisodes standard, à cette différence près que le tout est plongé dans la mélasse. Avec de grands effort grippés, les lignes se rassemblent, le crescendo est mené à son point culminant, un coup de cymbales retentit au sommet, le calme se fait à nouveau dans les profondeurs. (Mais il s'agit d'une mélasse absolument transparente, qui ne nuit pas à la clarté des timbres et à la précision du grand orchestre massé sur la scène).

    Passée cette ouverture, une chanteuse se faufile difficilement au premier rang, ne lâchant pas sa partition. Les trois pièces extraites de Wozzeck commencent avec beaucoup de douceur. Une grosse marche militaire vient déranger le crépuscule. On n’entend guère Marie dans ce vacarme (elle est pourtant censée chanter à tue-tête) ; on l’entend à peine davantage quand elle ferme d’un coup la fenêtre qui donne sur la rue où passe la parade et qu’elle  fredonne sa berceuse. Faute des paroles du drame, il reste la musique. (Mais sa beauté et son raffinement n’ôte pas complètement l’impression de confinement ; l’effectif et les moyens d’une symphonie de Mahler ont été enfermés dans de courtes scènes étroitement cloisonnées).

    Après l’entracte, on passe au deuxième opéra de Berg (celui que je préfère) avec la cantate der Wein qui prépare la couleur et les thèmes de Lulu (la sonorité du saxophone, l’imbrication d’une musique froide ou prosaïque et d’un lyrisme soudain, terrassé par les coups de butoir.) Le concert se conclut par quatre pièces orchestrales de Reger inspirées de tableaux de Böcklin qui, après cela, sonnent absolument creux (sauf le charme qu’il peut y avoir à se souvenir d’un film de Civeyrac, qui utilisait la première de ces pièces.)

  • A fish is a fish

    Au cinéma. Il faut marier papa / The Courtship of Eddie's father de Minnelli.

    Un deuil invisible marque le début de la comédie. On comprend indirectement que le père, que l'on voit préparer un petit-déjeuner pour son fils, est veuf ; que le petit garçon vient de perdre sa mère. Le petit lit est vide. L'homme déambule dans les pièces trop désertes de l'appartement, à la recherche de l'enfant. Le spectateur s'amuse de cette partie de cache-cache (il a deviné que l'enfant s'était roulé dans les couvertures du lit paternel). La disparition n'est qu'un jeu ; mais, à la fin du film, le fils fera véritablement une fugue et, alors, le père s'effondrera.

    (Auparavant le père tâche de faire bonne figure. La vie continue. Une voisine vient leur rendre visite. L'enfant sort de la pièce. Des hurlements retentissent. Les adultes se précipitent. Dans la chambre de l'enfant, devant lui, un poisson mort flotte à la surface de l'aquarium.)

     

  • Pétersbourg

    Au deux-tiers du livre de Biély, Pétersbourg, un sous-chapitre porte ce même titre comme s'il donnait un vision en réduction du roman tout entier.

    Le révolutionnaire Doudkine rentre chez lui. Dans l'escalier, il rencontre un inconnu qui se présente à lui sous le nom de Chichnarfé, ressortissant persan. Doudkine l'invite à entrer chez lui. Dans la chambre, ils trouvent un ami de Doudkine, Stéphane, également en train de l'attendre. Mais à leur arrivée, celui-ci ne jette pas un regard au visiteur et déguerpit malgré les prières de Doudkine qui ne veut pas se retrouver seul avec Chichnarfé. Une conversation folle commence.

    - Oui je disais que notre capitale (...) appartient au pays des phantasmes. On n'a pas l'habitude d'en parler dans les guides et même le Baedeker est muet sur ce point. Le provincial qui n'est pas au courant n'aperçoit que l'administration visible : il n'a pas de passeport pour le Pétersbourg des ombres... (...)
    La silhouette qui se découpait sur la fenêtre perdait de sa consistance. Ce n'était plus qu'une feuille de papier noir collée dans le cadre de la fenêtre. Mais la voix semblait provenir du milieu du carré de la chambre et Doudkine avait l'impression que cette voix se déplaçait peu à peu de la fenêtre vers lui, qu'elle était devenue un centre autonome et invisible (...)
    - La biologie des ombres n'est pas encore étudiée ; on ne comprend pas encore leurs exigences. Elles pénètrent dans le corps sous la forme de bacilles avec l'eau que vous ingurgitez...(...)
    - Vous aurez beau adresser des plaintes au monde visible, on ne leur donnera pas suite, comme à toutes les plaintes d'ailleurs... Le tragique, c'est que nous appartenons au monde invisible, au monde des ombres...
    - Ce monde existe-t-il ? cria Doudkine, tout en s'apprêtant à bondir hors de la mansarde et à enfermer le visiteur, qui devenait de plus en plus subtil. L'homme qui était entré tout à l'heure possédait les trois dimensions. Il s'était appuyé à la fenêtre et il était devenu une simple silhouette (à deux dimensions), puis une fine couche de suie, comme le noir de fumée qui file de la lampe, et maintenant cette suie noire venait de se consummer en une cendre qui brillait sous la lune et cette cendre s'envolait ; déjà il n'y avait plus de silhouette ; la matière s'était dissoute et il ne restait plus qu'une substance sonore qui caquetait sans fin, on ne savait d'où... Doudkine eut l'impression que ça caquetait au fond de lui-même. (...)
    (Il voulut crier) mais il ne le put car ce n'était plus lui, mais sa gorge qui cria :
    - Je viens d'apparaître au fond de votre larynx.

    (traduction J. Catteau et G. Nivat)

     

  • Dayer, Fedele, Kurtag

    A la Cité de la Musique.

    La première oeuvre permet d'écouter des extraits des Lettres portugaises (que je croyais être de Guilleragues mais qu'ici on attribue à une religieuse portugaise, Marianna Alcoforado). Il devait y avoir, selon le programme, encore un poème de Pessoa en anglais mais je ne l'ai pas entendu.

    La seconde met en place un décor impressionnant : une fanfare s'arrange en demi-cercle sur la scène ; les instruments sont disposés à peu près en miroir jusqu'aux extrémités que commandent deux trompettes se faisant face. Autour d'eux, un dispositif électronique crée un deuxième espace, plus grand et plus incertain, traversé par d'autres événements sonores. Exilés dans le vaste paysage, les cuivrent inaugurent lentement un palais désert, pavé de métal, fait d'arches et de symétries.

    La deuxième partie nous ramène chez les hommes avec les Messages de feu Mademoiselle R.V. Troussova de Kurtag. La pièce est composée d'une suite de courts poème de Rimma Dalos. Un ensemble d'instruments pincés, frappés, frottés, etc. habillent et prolongent la voix de la chanteuse, parlant la même langue. L'oeuvre commence par une phase de solitude, interrompue par un coït furieux (une chanson sauvage met l'interprète à rude épreuve, car :)
            Pourquoi ne pousserais-je pas des cris de cochon
            Quand autour de moi tout le monde grogne
    et se termine par une longue traîne de fragments amers. La musique est aussi brève que la parole ; peu de mots consument toutes ses forces. Chaque silence arrête, comme un cri, une épitaphe provisoire.

  • Mozart, Chostakovitch

    Salle Pleyel. (un programme Mozart - Chostakovitch en retard des célébrations de l'année dernière, 1756-1906-2006 ?)

    Discours sur l'état de la Russie, la treizième symphonie convoque une basse et un choeur qui semblent sortir de Boris Godounov pour mettre en scène, une fois encore, le peuple russe et son malheur. La musique porte le drame, avec son ambivalence : les tutti écrasants du premier mouvement et leur grandiloquence, faut-il les comprendre comme un cri de révolte, une dénonciation véhémente de la haine, ou comme une représentation du mal lui-même ? Après les sarcasmes du deuxième mouvement, l'atmosphère ne change pas mais la voix devient plus personnelle, annonçant la quatorzième symphonie (où les poème d'actualité d'Evtouchenko seront remplacés par des textes empruntés à la littérature universelle, donnés par deux chanteurs). Le jeu des timbres fait d'abord connaître la grisaille et l'amertume de la vie quotidienne puis le grondement de la peur (tuba et bourdonnement de timbales). Mais dans le finale, on entend une ritournelle narquoise : n'est-ce pas l'auteur lui-même ? il est perché dans son art, il échappe à ses persécuteurs, il règne dans sa propre lumière (une constellation : avec le célesta, les cloches, le motif du mouvement initial revient comme une citation.)

  • O la berceuse

    Et ta voix rappelant viole et clavecin

    (Les sonorités du clavecin et de la viole dans la salle de concert, hier soir, le chuintement essoufflé de l'un, le cliquètement à vide de l'autre, n'avaient pas le charme qu'elles ont dans les vers de Mallarmé : Don du poème)