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Mes bouquins refermés - Page 88

  • Honorine

    Relu Honorine. La nouvelle de Balzac comprend deux récits enchâssés. Le premier est fait par le consul de France à Gênes à des visiteurs parisiens. Un soir dans un palais de la ville, Maurice de l’Hostal, "portrait vivant de Lord Byron", confesse à ses hôtes son secret. Dans son histoire, une autre confidence est incluse : celle que le consul reçut du comte Octave alors qu’il était son secrétaire particulier à Paris, rue Payenne.

    Au cœur de ces deux aveux concentriques, il y a une femme : Honorine, l’épouse adultère du comte. Celui-ci raconte : sept ans plus tôt, Honorine l’a fui pour un autre homme. Quelques mois après, elle est à son tour abandonnée ; elle donne naissance à un enfant, qui meurt bientôt. Aujourd’hui elle vit incognito, modestement, de la vente de fleurs artificielles qu’elle confectionne d’après les modèles cueillis dans son jardin.

    Mais son indépendance est aussi belle et fausse que ses fleurs. Honorine ignore que sa maison, ses gens, son travail sont secrètement payés par le comte, qui l’aime toujours.

    Depuis cinq ans, je la tiens, rue Saint-Maur, dans un charmant pavillon où elle fabrique des fleurs et des modes. Elle croit vendre les produits de son élégant travail à un marchand, qui les lui paie assez cher pour que la journée lui vaille vingt francs, et n’a pas eu depuis six ans un seul soupçon. Elle paye toutes les choses de la vie à peu près le tiers de ce qu’elles valent, en sorte qu’avec six mille francs par an, elle vit comme si elle avait quinze mille francs. Elle a le goût des fleurs, et donne cent écus à un jardinier qui me coûte à moi douze cents francs de gages, et qui me présente des mémoires de deux mille francs tous les trois mois.

    Le comte est toujours auprès d’Honorine comme une providence invisible (ou un auteur de romans), mais il ne peut s’en faire reconnaître. Elle le fuit avec obstination, elle refuse toute communication avec lui. Il m’est donc impossible de pénétrer dans ce cœur : la citadelle est à moi, mais je n’y puis entrer.

    Le comte essaie une nouvelle ruse. Maurice fera connaissance avec la belle Honorine ; il gagnera sa confiance et jouera, pour finir, les intermédiaires entre les deux époux. Le plan est couronné de succès. Maurice s’installe rue Saint-Maur et, feignant un désespoir amoureux qui le rend indifférent à toutes les femmes, conquiert peu à peu l’amitié d’Honorine. Après quelques péripéties, la jeune femme accepte de retrouver son mari ; Maurice voit ses efforts couronnés par un poste de diplomate et un riche mariage en Italie.

    Mais il semble qu’il y a comme une malédiction du mensonge : Honorine donne maintenant à son mari tous les signes de l’amour conjugal mais la réalité manque. Sa liberté était fausse, son retour est une duperie. (Ses) joies sont aussi vraies que les larmes répandues au théâtre par une actrice. Elle ne peut oublier l’ancien amour ; elle souffre de l’infirmité du souvenir ! Elle en meurt. L’aventure a fait une autre victime : Maurice, qui feignait le désespoir, est maintenant véritablement désespéré. L’artifice est devenu vérité. En fréquentant Honorine rue Saint-Maur, Maurice est tombé amoureux d’elle. Sa carrière en Italie est un exil. Son mariage à Gênes avec une belle italienne reproduit, symétriquement, l’union désaccordée d’Octave et d’Honorine.

    Deux énigmes trouvent leur solution : les secrets du comte et du consul sont maintenant connus. Mais le double dévoilement ne change pas la donne : l’amour n’est pas payé de retour ; le comte va mourir inapaisé ; le consul est malheureux. L’insatisfaction est le résultat de ces aveux en cascade : c’est à ses dépens que Maurice a été mis dans la confidence d’Octave ; on apprend également, dans les dernières pages, que la femme du consul a écouté aux portes le récit de son mari : elle connaît maintenant leur malheur. Apparence et vérité, énigme et dévoilement, mystification et aveu, les couples ne s’accordent pas et, propulsée par leur puissant balancier, la fiction peut se poursuivre.

  • Golaud

    Un livre de souvenirs ("heureux") de Maeterlinck : Bulles bleues. Récits d'enfance et de jeunesse. On peut y trouver quelques allusions à Pelléas :
    - la cousine Emma. Elle était célèbre parce que fort belle, elle exhibait les plus longs cheveux que j'aie vus. Elle portait deux nattes d'or qui lui descendaient jusqu'aux jarrets. On aurait dit une princesse mérovingienne, Frédégonde ou Hildegarde, échappée d'une chromo.
    - la première maîtresse. Un soir, passant dans une rue abandonnée, je la vois qui embrasse un monsieur (...) Je surprends la scène avec une stupéfaction douloureuse, mais il n'y avait rien à faire et déjà Golaud, qui n'était pas encore né, murmurait en moi : "Je n'attache aucune importance à ces choses ; voyez-vous vous ferez comme il vous plaira." En silence, je m'éloigne dans la nuit déserte en tâchant de me croire le plus malheureux des hommes, mais je n'y parviens pas.
    -
    la mort d'un frère. Il vint au monde sept ou huit ans après le dernier-né de nous trois. (...) Il n'eut pas à souffrir de nos équipées turbulentes et souvent assez brutales qu'il contemplait gravement, car nous respections sa faiblesse et la sorte de sainteté diffuse qui l'enveloppait déjà sous l'aile de la mort. (Pour citer la pièce, avait-il le visage grave et amical de ceux qui ne vivront pas longtemps ?).

    (Le personnage de Golaud n'est-il pas de tous les personnages de la pièce celui qui s'apparente le plus à l'auteur ? - non qu'il ressemblerait à Maeterlinck, dont je ne sais rien, mais parce qu'il est le moins énigmatique, le plus proche, le plus clairement humain des protagonistes. Mélisande lui (nous) échappe par son mystère, son amnésie ou sa dissimulation. Pelléas est marqué au front de la "pâleur d'Abel" ; il est étrange. Geneviève et Arkel sont limités, impuissants ou aveugles.)

  • Pelléas et Mélisande (3)

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    Ici et .

    (Des trois représentations, c'est celle-ci que j'ai préférée : était-ce accoutumance à la composition des acteurs chanteurs ou bien une tension supplémentaire qui manquait les autres soirs ? j'ai trouvé le duo Pelléas - Mélisande de l'acte 3 magnifique (oublions la mise en scène, sans doute impossible, et qu'on aimerait le chant de Pelléas plus juvénile), les voix plongent dans les chaudes ténèbres d'une nuit d'été ; les corps ne peuvent se toucher).

  • Un fantôme

    La Fille de la Cinquième Avenue, de Gregory la Cava.

    Mr Borden est un chef d’entreprise dont l’affaire connaît quelques difficultés ; ce soir-là, c’est son anniversaire mais personne, hormis sa secrétaire, ne pense à le fêter. Ni sa femme, ni ses enfants, tout à leurs plaisirs, ne songent à lui. La famille vit dans une somptueuse demeure de la Cinquième Avenue au bord de Central Park. Rentrant chez lui, trouvant la maison vide, Mr Borden part se promener dans le parc où il rencontre une jeune femme sans le sou ; il l’invite dans un restaurant chic de la ville. Le lendemain, elle s’installe dans la grande maison. Dès lors Mr Borden ne va plus travailler, passe la journée à s’occuper de ses pigeons et sort tous les soirs avec l’inconnue.

    Réagissant à la crise, le fils finira par prendre les rênes de l’entreprise de son père  ; la fille par épouser le chauffeur ; la mère par se mettre aux fourneaux et reconquérir son mari.

    C’était le but recherché. Mr Borden a embauché l’inconnue pour remettre de l’ordre dans sa maison et dans ses affaires. La jeune femme est pleine de caractère, elle a son franc parler et, pourtant, c’est presque un fantôme : on ne sait rien d’elle ; elle semble sans attaches, sans passé, sans avenir (sauf à la dernière minute grâce au happy end). Chacun des protagonistes a ses mobiles, ses intérêts, ses plaisirs : elle seule semble n’en avoir aucun. Elle est pâle et sans grande beauté. Sa liaison avec Mr Borden est une comédie ; seule une complicité désabusée les rapproche.  Leur rencontre n’est que le fruit d’un moment d’absence : celui où Mr Borden a rompu le cours d’une vie réglée, s'en écartant avant d’y revenir. Leurs soirées se jouent hors du monde à rouler au hasard dans le parc en attendant l’heure de rentrer.

  • Pelléas et Mélisande (2)

    Retour au Théâtre des Champs Elysées.

    J'aime la façon dont la musique, dans la scène qui termine l'acte 1, ouvre et referme l'espace selon que les personnages tournent leurs regards vers la mer ou bien les ramènent vers les allées du jardin.

    Mais je suis moins sensible cette fois aux beautés de l'orchestre. L'enchaînement dramatique domine à partir de la dernière scène de l'acte 3 où commence le paroxysme qui mène à la mort de Pelléas. C'est un passage impressionnant ; il marque une progression dans la brutalité de Golaud avant les coups et blessures et après les premières allusions (ces mains "qu'il pourrait écraser comme des fleurs", le bras de Pelléas qu'il empoigne dans les souterrains): ici la violence prend corps dans la courte-échelle que Golaud impose à l'enfant pour le hisser à la fenêtre d'où il pourra espionner Mélisande et Pelléas.

    J'appréhende un peu mieux la mise en scène (m'accommodant des toiles à demi-transparentes tendues par moments devant les protagonistes) ainsi que la composition des acteurs chanteurs. Mélisande est une femme trop sûre d'elle-même pour être aimable, enfantine et hautaine, butée et rétive : il faut voir son impatience devant les effusions d'Arkel à l'acte 4 ; avec quel dégoût elle écoute le vieillard pontifier sur la mort ! Dans la scène suivante, elle ne se laisse pas briser par Golaud et elle le quitte bien décidée à lui rendre la monnaie de sa pièce.

    L'interprétation du duo d'amour me gêne toujours, jurant à mon sens avec le texte et la musique, mais plus au point que je ne puisse l'écouter. Pelléas chante comme dans l'opéra romantique italien ; son "je t'aime" est éructé au lieu d'être brisé par l'émotion ; la voix n'a pas de nuance. La déclaration d'amour de Golaud au tout début de la pièce "la nuit sera très noire et très froide, venez avec moi" était bien plus séduisante (ne parlons pas de la poignante supplique qu'il fera à l'acte suivant, sans le support de l'orchestre : "Mélisande as-tu pitié de moi comme j'ai pitié de toi...")

    Assis tout en haut côté jardin, je peux voir dans la fosse la trompette bouchée et les flûtes qui font entendre, à la toute fin, cette mélodie d'harmonium (?) qui suit la mort de Mélisande : Qu'à sa mort pourtant, ô mon Dieu ! / S'élève quelque prière !

  • Sables

    Sabotage de Hitchcock.

    Panne générale dans Londres. Les ouvriers de l’usine électrique découvrent du sable dans les machines : sabotage ! Au même moment, profitant de l’obscurité, Verloc rentre chez lui inaperçu. On le voit se laver longuement les mains. Désignant le coupable, un plan nous montre alors l’évier qui se vide et le sable que l’eau laisse derrière elle.

    Je me souviens du minerai que les agents nazis dans Notorious stockent dans des bouteilles de Pommard. Devlin et Alicia explorent la cave ; par mégarde Devlin renverse une bouteille qui se brise sur le sol. La tache noire autour des éclats de verre semble un instant l’image arrêtée du vin en train de se répandre : non c’est une espèce de sable. Les deux complices réarrangent les bouteilles mais les traces qu’ils laissent dans l’évier attirent l’attention du mari d’Alicia qui découvre la manipulation.

    La ressemblance est anecdotique (même si l’image demeure). En revanche les deux films de Hitchcock partagent quelque similitude dans la distribution des rôles : un policier aime et se sert d’une femme pour percer à jour les agissements de son mari soupçonné d’être un agent ennemi.  Sabotage n’a pas la perfection vénéneuse de Notorious : un quatrième personnage vient perturber le triangle ; il s’agit du jeune frère de Mrs Verloc. Fidèle en cela au roman de Conrad dont il s’inspire, le réalisateur le fait mourir dans l’explosion d’une bombe : mais difficile, après cette scène horrible, de renouer les fils de l’intrigue amoureuse…

  • Pelléas et Mélisande

    Au Théâtre des Champs-Élysées.

    Commençons par ce qui m'a gêné dans cette représentation : le couple que forment Pelléas et Mélisande. Ils ne sont, ni l’un ni l’autre, de "petits enfants". Dès la scène 2 de l’acte 1, ils s’embrassent. A la scène suivante, ils se sont mis en ménage. Ils se moquent de Golaud et seul le respect des convenances ou un reste de pitié pour le mari trompé semblent les obliger à un peu de discrétion. Mélisande minaude, joue avec ses boucles, fait semblant de pleurer ou d’avoir peur, rien ne l’impressionne (mais qui comprend quelque chose à Mélisande ?). On l’a malheureusement attifée d’une ridicule perruque de longs cheveux blonds. Pelléas fait preuve de mâle assurance ; c’est un amant qui ne doute de rien et parle d’une voix forte. Pourquoi pas ? Il me semble cependant qu’il y a contresens : le duo d’amour de l’acte 4 tombe à plat (aucun aveu, aucune surprise, tout a déjà eu lieu ; ce n’est pas l’instant décisif qu’on attend) ; les relations avec Golaud sont faussées : c’est un jaloux qui agace et que l’on considère de haut.

    Le décor est encombré de praticables quelquefois tournoyants (attention à la chute) ; des voiles brouillent la vue ; tout un peuple de servantes et de domestiques circule entre les coulisses. Geneviève, Yniold, le Médecin, Arkel passent dans des scènes où ils n’ont rien à faire. Le jeu des acteurs est plein de gestes et d’accessoires. D’étranges inventions sont interpolées dans la pièce : tout en criant Absalon, Golaud tire un couteau de sa poche et coupe la longue tresse de Mélisande qu’il confie ensuite à Arkel ;  dans la scène suivante, il interprète le rôle du berger ; à la fin de l’acte, il se tranche les veines.

    Mais Golaud est extraordinaire, capable de passer en un souffle du badinage à la colère noire, de l’exaltation au désespoir. L’orchestre est d’une beauté jamais entendue. Il fait sentir le poids du destin mais aussi son mystère (l’or des cloches, le froissement surnaturel des cordes, les plaintes des vents), il divulgue ce que le spectacle ne sait pas montrer, il compose le drame et le monde, il est la peur, la lumière et les larmes. Dans les interludes, les instruments paraissent quelquefois plus humains que les acteurs. Les nuances ne sont pas sacrifiées à la force de l’expression ; les apparitions des éléments (la brume, la mer, le soleil déclinant) n’ont rien d’abstrait ; elles prolongent les émotions des personnages.