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Mes bouquins refermés - Page 89

  • Arc

    C’est ici la ville que j’habite. L’habitude l’a faite ni belle ni laide. Elle n’a rien d’étranger. Voilà pourquoi je suis heureux quand je découvre en chemin, au coin d’une rue que je ne connais pas, une vue qui rappelle l’Italie. Je m’arrête et considère. A ce croisement débouche une triste avenue rectiligne ; elle s’élève en suivant une pente lourdement cambrée. La bordent deux rangées d’immeubles roses d’une seule hauteur aux façades lisses. La chaussée est poussiéreuse ; des traces grises salissent le bas des maisons. Mais, surtout, presque au sommet de la colline un arc énorme rejoint les deux murs de brique et barre la rue. Il est fait de grosses pierres sans mortier ; les arrêtes antiques sont émoussés, les blocs s’ajointent selon des lignes profondément creusées, pleines d’ombre. Dans l’ouverture de l’arche, on voit le ciel et, à l’horizon, une crête escarpé, oblique. Je devine la côte rocheuse qui tombe à la mer.

  • Bruckner

    Salle Pleyel, Huitième de Bruckner.

    Faute de la beauté des sonorités (ces effets de lumière voilée, d'éclaircie, de foudre), restait le dynamisme des répétitions, juxtapositions, additions de motifs : longues phrases d'ascension propulsées par un ostinato ; crescendos couronnés par une chape de cuivres tonitruants ; effondrements soudain laissant à découvert une flûte ou un hautbois seuls. (J'admire la capacité de l'orchestre à ne pas se perdre dans ces abîmes brutalement découverts : faisant naître la vague d'après à travers l'écroulement de la précédente).

  • The Victim

    The Victim, de Bellow.

    Leventhal travaille pour un modeste magazine à New York. L'été est étouffant. Il est seul. Sa femme passe quelques semaines chez sa mère. Deux événements désagréables viennent alors perturber sa solitude. Son neveu est gravement malade et, en l'absence du frère de Leventhal, sa belle-soeur fait appel à lui. Et puis, un soir : une espèce de clochard le prend à partie. L'homme se fait reconnaître ; c'est une vague et ancienne relation, un certain Allbee.  Pendant plusieurs jours, Allbee continue de harceler Leventhal ; expliquant qu'il le rend responsable de son licenciement et des malheurs qui ont suivi, incluant dans ses griefs la mort accidentelle d'une épouse bien-aimée... Il y a des années, alors que Leventhal cherchait du travail, Allbee l'avait recommandé auprès de son patron, Rudiger. L'entretien s'était mal fini ; Leventhal s'était emporté. Ce fut tout.

    L'incident d'alors et l'accusation présente sont sans proportion mais Leventhal se laisse peu à peu gagner. Il finit par accueillir Allbee chez lui (alors que le type est odieux, ivrogne, antisémite : l'antisémitisme joue un rôle à rebours dans l'accusation ; Allbee prétend que Leventhal  aurait voulu se venger d'une remarque désobligeante en provoquant volontairement un esclandre chez Rudiger).

    Leventhal est troublé par un sentiment de culpabilité diffus, une forme de compassion, une paranoïa qui l'empêche d'écouter les conseils de ses amis et de juger à leur juste valeur les exigences d'Allbee. Mieux il est près de voir dans Allbee une forme de double qui le renvoie aux années où il connut lui-même la pauvreté et l'abandon. La mort de son neveu et le chagrin de sa belle-soeur qu'il imagine hostile renforcent l'impression d'accablement et d'exclusion. C'est dans la description de ce sourd sentiment que le roman est le plus impressionnant : s'y confondent le souffle d'un appel, les mauvais sommeils, une douleur physique (avec la fièvre et la torpeur de la saison), la crainte de la folie... (La ville provoque une richesse de sensations sans suite ni raison, éclats et sons qui fixent dans le présent et le réel le vertige de Leventhal. Un soir, une guitare : from the tavern across the way came the slow notes of a guitar, the lighter carried away, the deeper repeated tranquilly. Ou bien le bruit d'une caisse au restaurant : The musical crash fo the check machine filled their ears as they waited their turn at the cashier's dazzling cage.)

  • Lohengrin

    A l'Opéra Bastille.

    Le premier acte est encombré par beaucoup de musique en carton-pâte, choeurs pompeux et accessoires procéduriers du Jugement. Même l'apparition de l'Elsa somnambule manque de charme, la mièvrerie gâche sa prière ; car le personnage que compose l'interprète est totalement dépourvu de séduction. Cela ne l'empêche pas d'être une figure crédible où l'entêtement et l'égoïsme forment comme l'envers des bons sentiments et de l'exaltation religieuse. Ils justifient l'échec de l'union avec l'idéal Lohengrin : ces deux individus en dehors de la société et que les hommes consentent à unir ne s'accordent pas (Lohengrin est seul à chanter le duo d'amour du troisième acte) ; l'illusion s'effondre alors tranchée par la phrase terrible de Lohengrin  :
             Weh' nun ist all' unser Glück dahin !

    Le deuxième acte est superbe de bout en bout grâce d'abord à Ortrud et à la scène initiale : voici la partie redoutable de la nuit et qui pour les yeux de l'homme n'est point faite. Avant l'aube, avec Telramund,  Ortrud reprend les fils de l'intrigue et rouvre le combat qui semblaient clos à la fin de l'acte précédent. Elle introduit la malignité et la duplicité dans le drame, y faisant entendre leur très séduisante musique. Le retour du soleil n'efface pas ses sortilèges. Ils couvent d'abord invisibles mais on ne les oublie pas (pendant l'interminable procession nuptiale d'Elsa, je ne vois que l'humiliation d'Ortrud dans le cortège qui donne l'arrière-plan de noirceur à toute cette lumière). Enfin l'accusation éclate, le choeur est pris à partie dans une grande scène comme au deuxième acte du Crépuscule des dieux. Si l'accord et la paix se rétablissent ensuite, ils ne sont qu'apparence, définitivement minés par la défiance.

  • Balaoo

    A la Cinémathèque, Balaoo d'après Gaston Leroux.

    Balaoo est un singe fait homme, contemporain de l’auteur du Rapport pour une académie. La science de son maître, le Professeur Coriolis, lui a donné apparence presque humaine sans lui enlever ses talents de grimpeur et ses instincts de bête sauvage. Balaoo aime à monter dans les arbres dont il se laisse tomber pour surprendre ses victimes, ralentissant sa chute en embrassant les branches qui plient sous son poids. Après un séjour sur les bords du lac de Lugano, Balaoo commet un meurtre pour le compte du braconnier Hubert. C’est la scène la plus marquante du film : le voyageur de commerce dort sur le billard de l’auberge ; Balaoo s’est suspendu par les pieds au plafond, ses deux mains descendent lentement pour étrangler le dormeur ; au fond, l’ouverture du passe-plat laisse voir, comme un commentaire, le visage de la tenancière qui longuement bée d’horreur et roule des yeux avant de s’évanouir

  • Après la chute

    Exposition Sternenfall, d'Anselm Kiefer.

    Les poutres de fer rappellent une végétation luxuriante (une salade montée en graine ?) ; les lames de verre du dôme s'emboîtent parfaitement jusqu'au sommet de la voûte où la hampe et le drapeau, vus de dessous, semblent tenir sans appui. Cependant, dans la naïve opulence du Grand Palais, proprement disposé sous la cloche, le paysage spectaculaire de la désolation et de l'humilité :
    Des murs de tôle, des plantes séchées trempées dans la boue, des éclats de vitres brisées, des livres épars dont les pages, la reliure, les couvertures sont des feuilles de plomb, des tours formées par l'assemblage de cubes de béton armé (certaines debout, d'autres abattues, comme les colonnes de temples ruinés).

  • Cornes de cuivre

    Dans une vaste halle, nous visitons le Grand Salon de l'Habitat ; on nous présente un modèle inédit de logement préfabriqué. C'est un haut cylindre debout, de section ovale, assemblé de plusieurs plaques de laiton. De larges baies sont ouvertes dans le tube. Les découpures engendrent tout un jeu de courbes dans l'espace, admirablement dessinées. On voit à l'intérieur le vide où doit venir s'imbriquer l'escalier ; la cage ouvre un puits circulaire tangent à la paroi intérieure, taillant dans les planchers des formes de croissant. Le colimaçon y passera entre les cloisons de bois faites de lambris verticaux qu'on nous montre plus loin, déjà montées. Le rez-de-chaussée est invisible. La chambre occupe le premier étage. La hauteur du plafond ne permet d'y entrer autrement que plié en deux. En revanche la plate-forme supérieure n'est pas couverte (et il est prévu d'y ajouter plus tard un chapeau d'une grandeur suffisante).