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Mes bouquins refermés - Page 84

  • The Spoils of Poynton (2)

    En plus d’une occasion, dans le cours du roman, Mrs Gereth fait comprendre à son fils Owen, quelque fois fort brutalement, qu’elle souhaite le voir épouser sa protégée, Fleda Vetch. A cette condition, lui dit-elle, il pourra prendre possession des objets d’art (the spoils) que Mrs Gereth a patiemment collectionnés et dont elle refuse de se séparer bien que, depuis la mort de son mari, le fils en soit le propriétaire légal.

    Le motif rappelle un autre chantage matrimonial dans une nouvelle du même auteur, The Aspern Papers: le narrateur en est un critique littéraire ; il poursuit une vieille femme autoritaire et avare qui a été la maîtresse, soixante ans plus tôt, d’un poète célèbre et qui garde sans doute en sa possession des lettres et des manuscrits qu’elle refuse de laisser voir. La vieille dame vit seule avec sa nièce dans un palais vénitien délabré. Tout le sel de l’histoire vient de l’espèce de cour que le narrateur fait à la plus jeune pour gagner la confiance de la vieille et, en retour, du marchandage qu’on finit par lui suggérer, à sa grande confusion (il est pris à son propre piège) : le mariage avec la nièce, Miss Tina, en échange des papiers.

    Dans les deux récits, le mariage proposé ne se fait pas et le  trésor finit dans les flammes. Mais d’une histoire à l’autre, le point de vue a bien changé : Fleda Vetch, contrairement à Miss Tina, est le personnage central du roman et nous suivons le déroulement du drame selon la compréhension qu’elle en a ; en ce sens, elle se rapproche du narrateur des Aspern Papers (dont elle reprend un autre trait : la dévotion pour le trésor, au point que les mots sont presque les mêmes pour décrire le désespoir de l’un et de l’autre, quand celui-ci est détruit). Le ressort implicite de la nouvelle (la discordance entre les vues du narrateur et celles des deux femmes) devient, dans le roman, un problème trouble et indécidable. On connaît mal, dans celui-ci, les motivations d'Owen, le fils de Mrs Gereth (qui occupe une position équivalente à celle du narrateur des Aspern Papers). Les deux images contradictoires du comportement d’Owen (il est amoureux de Fleda ; il se sert de Fleda comme d’un moyen pour récupérer son bien) se superposent et  le dénouement ne permet pas au lecteur de choisir une hypothèse plutôt que l'autre. 

    (Pour continuer le jeu d’échos, on pourrait s’amuser à remonter jusqu’à la Dame de Pique de Pouchkine dont les Aspern Papers semblent être une transposition  (je ne sais pas si cela est avéré ?) et chercher à deviner sous les traits de Fleda Vetch ceux de Lisabeta Ivanovna, dame de compagnie de la terrible Comtesse Anna Fedotovna.)

  • Bach

    Concert Johann Christoph Bach et Johann Sebastian Bach à la Cité de la Musique.

    (Johann Christoph Bach (1642-1703) était un cousin du père de Johann Sebastian. En écoutant les oeuvres réunies, toutes à dominante funèbre, du premier puis du second, on avait l'impression de constater les progrès d'une secte doloriste devenue religion officielle, passant de l'artisanat réservé aux délices d'un cercle pieux au grand art nécessaire aux pompes d'une cour.)

  • The spoils of Poynton

    Relu The Spoils of Poynton. Il est caractéristique que, dans le roman, la victoire revienne à un personnage qui n’apparaît quasiment pas dans la suite de "scènes" qui le compose, centrée sur la figure de Fleda. Au dénouement, Mona triomphe : elle a épousé Owen malgré sa mère et, peut-être, malgré lui ; elle a dépouillé Mrs Gereth de ses trésors. (Leur disparition même, dans l’incendie de Poynton qu’on suppose l’effet de sa négligence, paraît plus cruelle pour ses rivales que pour elle). La puissance de Mona croît à mesure que l’autre partie ignore sa position, sa décision. Par moments, Mrs Gereth et Fleda semblent s’escrimer dans le vide, alternant défenses et offensives, manoeuvres et retraites à travers un champ de bataille désert. Toutes les actions et les opinions sont frappées par une profonde incertitude, menacées d’avoir trop présumé d’une hypothèse, d’avoir mal interprété un signe ou un défaut de signe, d’avoir été trop simples ou trop subtiles. L’étrange pouvoir de l’absente culmine dans la dernière rencontre, décisive, entre Fleda et Owen. Au moment où leur commun désir semble satisfait, où leur amour va l’emporter, un dernier obstacle se lève : il manque une parole de Mona, la preuve qu’elle renonce à Owen  (et cette preuve ne viendra pas). (Être invisible est une arme et, pour Fleda, avoir été vue, une faiblesse : surprise avec Owen, elle a pu apparaître comme une mauvaise femme, et, par réaction peut-être, se comporte comme une héroïne adepte du point d’honneur, ruinant ses chances.)

  • Capriccio (2)

    A l'opéra Garnier.

    Une petite société bavarde s'agite sur la scène : on se querelle à propos de la musique et des lettres et puis du théâtre. Une rivalité amoureuse investit la dispute. Demain on donne une fête pour l'anniversaire de la Comtesse Madeleine. Celle-ci finit par mettre d'accord ses deux soupirants, le compositeur Flamand et l'écrivain Olivier, en leur demandant un opéra pour l'occasion. Quel sera l'argument ? eh bien, tout cela que nous venons de voir : les préparatifs de la fête, les conversations, les intrigues, le débat. Que sera le dénouement ? A la comtesse de le dire ; le salon se vide : elle est seule avec les flambeaux et les miroirs, et s'interroge. (Mais son chant, ni sur le plan de l'allégorie ni sur celui de l'action, ne peut trancher entre le compositeur et l'écrivain, entre la musique et les mots).

    Dans le monologue final la comtesse ne fait pas ses adieux, elle choisit entre deux amants ; elle cherche la conclusion d'un opéra, elle ne prophétise pas la fin d'un genre. Pourtant, la mélancolie est bien présente : il y a quelque chose de poignant dans le moment où tous les personnages ayant pris congé, la comtesse se rend compte qu'elle est seule (et pas seulement parce que la mise en scène a habillé d'un uniforme noir le chauffeur qui emmène les hôtes). Un sonnet de Ronsard accompagne ou symbolise la fable : fictivement composé par Olivier, mis en musique par Flamand, il est chanté enfin par la comtesse. L'adaptation allemande a placé, au bout du dernier vers des quatrains, la mort. Le mot, loin des fades galanteries de l'original, résonne alors douloureusement, porté par la musique, une dernière fois.

  • Des livres qu'on ne lira pas

    L'ange gardien de nos lectures, si grand, si expéditif économiseur de notre temps. Celui qui, devant un compte-rendu enthousiaste, un titre qu'on nous vante, un livre qu'on hésite à acheter, nous souffle à l'oreille, gentiment, décisivement, toujours obéi : "Non. Pas celui-là ! Laisse. Celui-là n'est pas de ton ressort. Celui-là n'est pas pour toi."
    Quand il m'est arrivé par la suite de me trouver dans l'obligation de vérifier, je n'ai guère eu à revenir sur le bien-fondé de cette abstention spontanée. D'autant plus difficile à expliquer qu'elle se détermine sur des indices aussi dérisoires que capricieux (...)

    (Julien Gracq - Carnets du grand chemin.)

  • Territoire du peintre

    Aux confins de l’Ombrie, de la Toscane et des Marches, à Sansepolcro (patrie du peintre), à Monterchi, à Arezzo et à Urbin, on peut voir quelques-unes des œuvres de Piero della Francesca et ce petit nombre suffit à constituer une part importante de l’ensemble de celles qui ont survécu.  A tort ou à raison s’établit, pour le visiteur, entre le peintre et le territoire un rapport semblable à celui qui lie Giovanni Bellini à Venise ou le Greco à Tolède : on croit retrouver dans la chose peinte la lumière ou le décor extérieurs, contigus, qui l’ont inspirée ; et inversement, et plus sûrement, la représentation (éclatante, spéciale) gagne sur l’image du pays traversé (les collines à l’approche d’Urbin sont blanches et vert sombre, les crêtes ravinées, comme dans le tableau ; et le paysage limpide de la Victoire de Constantin se surimpose à la haute vallée du Tibre, pays plat encombré de routes et de hangars, et à son fleuve asséché).

  • Image d'Italie

    Ces villes, comme ailleurs, ont en général beaucoup grandi à l’époque contemporaine mais leur position en hauteur les a séparées de leurs faubourgs. Le cœur est monté sur un socle dont il semble occuper tout l’espace, avec son réseau de rues et de places, les volumes de ses palais et de ses églises, conservés depuis quatre siècles (c’est le contraire de l’enfouissement archéologique, ici le plus ancien s’élève, comme un noyau de roches dures dégagé par l’érosion). Quand on voit ces villes de loin ou quand on les découvre tout entières depuis leur faîte, la distance, les plis du terrains, ravalent l’agglomération ultérieure ; elles apparaissent circonscrites, compactes, plantées de tours et de clochers,  assises dans la campagne, retranchées d’elle, rappelant les images-symboles qui les figurent dans les œuvres des maîtres anciens (telle Arezzo dans la fresque de Giotto à Assise ou dans l’Invention de la croix de Piero).