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Mes bouquins refermés - Page 20

  • Schubert

    Schwanengesang, Salle Pleyel.

    (Une parole retentit dans toute la suite des lieder de ce cycle qui n'en est pas un, malgré le disparate des poètes, des humeurs, des climats et des circonstances ; son chant profère avec la même force magique des mots quelquefois banals quelquefois fatidiques. Seule l'ultime pièce a été rejetée après les applaudissements, en bis et en guise d'apostille : sie heisst -- die Sehnsucht ! Le souffle s'approfondit à mesure qu'il coule plus lentement, et touche au silence (qu'il met en mouvement, selon sa pente). La voix trouve son origine à la fin, dans le cauchemar lucide du Doppelgänger ; les fragments antérieurs s'y engloutissent à rebours. Le temps dédouble l'être : le présent s'immobilise, paralysé et pris de vertige, devant des souvenirs béants. Exils, nuits illunées, amours passées, la ville, au loin, et l'automne intercalaire. Leur âme expirée fait trembler la phrase : so manche Nacht, in alter Zeit !).

  • Cavalleria Rusticana, Pagliacci

    A l'opéra de Bastille.

    (Les deux oeuvres forment un étrange attelage : pourquoi a-t-on décidé depuis des lustres qu'elles allaient ensemble ? La première fait penser au folklore inventé des chansons populaires ; la seconde bénéficie de toutes les innovations de la modernité fin-de-siècle, tant à l'orchestre que dans le livret. Et comment ne pas être ému par les efforts condamnés de Nedda pour continuer la farce, ses pirouettes et ses arlequinades alors que son mari a déjà sorti le couteau qui va frapper, perçant le costume de scène, la femme réelle -- ou, plus exactement, située à un degré inférieur dans l'ordre de la représentation gigogne ?)

  • Debussy, Szymanowski, Scriabine

    Concert, salle Pleyel.

    (Après les sublimes et fort pelléassiens Nocturnes de Debussy, deux oeuvres que je ne connais guère ou pas du tout et dont je ne me souviens déjà plus beaucoup : le Poème de l'extase de Scriabine me fait l'effet d'une compilation des climax de Tristan et Isolde, ce n'est pas ce qu'il y a de plus exaltant.)

  • Encore Arabella

    Je lis Yvette de Maupassant.

    Servigny amène son ami Saval chez la marquise Obardi. Qui est cette marquise ?

    "Une parvenue, une rastaquouère, une drôlesse charmante, sortie on ne sait d'où, apparue un jour, on ne sait comment, dans le monde des aventuriers, et sachant y faire figure. (...) Moi, je vais surtout dans la maison pour la fille. (...) Une merveille, mon cher. C'est aujourd'hui la principale attraction de cette caverne. Grande, magnifique, mûre à point, dix-huit ans, aussi blonde que sa mère est brune, toujours joyeuse, toujours prête pour les fêtes, toujours riant à pleine bouche et dansant à corps perdu. Qui l'aura ? ou qui l'a eue ? On ne sait pas. Nous sommes dix qui attendons, qui espérons. 
    Une fille comme ça, entre les mains d'une femme comme la marquise, c'est une fortune. (...)
    Cette fille, Yvette, me déconcerte absolument, d'ailleurs. C'est un mystère. Si elle n'est pas le monstre d'astuce et de perversité le plus complet que j'aie jamais vu, elle est certes le phénomène d'innocence le plus fameux qu'on puisse trouver (...)"

    Voici que la lecture de ces phrases fait se lever devant moi le fantôme d'une autre jeune fille, création géminée de Hofmannsthal : l'Arabella d'Arabella (qui a comme Yvette une belle série des prétendants) et celle de Lucidor (mélange bizarre, comme l'autre, de dévergondage et de froideur, figure du dédoublement, ici figuré, là réel).

    La marquise a loué une maison à Bougival où elle invite Servigny et Saval. Servigny poursuit la fille et Saval couche avec la mère. Ce soir-là Servigny emmène Yvette se promener sur une île de la Seine (Maupassant n'est jamais meilleur que lorsqu'il vient hanter ces rives). Mais les tentatives du jeune homme échouent et la scène se termine par une sorte de moderne métamorphose.

    Elle glissa entre ses bras par une rapide ondulation de tout le corps, plongea le long de sa poitrine, et, sortie vivement de son étreinte, elle disparut dans l'ombre avec un grand froissement de jupes, pareil au bruit d'un oiseau qui s'envole.

     

     

  • Mars

    Le Mois de mars, de Francesco del Cossa au palais Schifanoia.

    (Chaque visite du palais Schifanoia est l’occasion d’un nouvel engouement pour l’art de Francesco del Cossa. Mais l’œuvre est si rare et dispersé qu’on sait déjà que cet enthousiasme manquera ailleurs d’aliment ; à l’exception de la Vierge du musée de Bologne, il ne restera pour le soutenir, en attendant d’y retourner, que le souvenir des fresques de Ferrare. Les murs peints sont divisés en trois bandes horizontales et de largeurs différentes. Les scènes historiques occupent la plus grande, en bas. Dans cette partie, la représentation coagule en un seul espace, impossible, des éléments disparates. Chaque vue forme un ensemble proportionné bâti selon les règles, mais on passe de l’une à l’autre par des parcours ou des trouées fantastiques. Au premier plan la cour de Borso d’Este s’assemble pour une audience ; et, au fond,  les mêmes vont à cheval, représentés en bloc et de profil comme sur une médaille ; ils courent un lièvre et leur chevauchée les amène tout droit dans le vide, alors qu’ils s’avancent sur un promontoire au dessus du palais d’où ils sont sortis. A gauche une scène de travaux aux champs, autonome comme ces petits théâtres réalistes taillés dans le paysage à l’arrière-plan des tableaux de Mantegna. Mais l’atmosphère ici est plus sensible. Des paysans travaillent dans une treille à élaguer la vigne ; l’étendue est fermée par une rangée de maisons ;  la terre est sombre mais l’air froid de mars donne aux blancs un éclat qui accorde les vêtements des paysans, la nuée des colombes autour du pertuis du colombier et le croissant de lune mangé par le ciel bleu ; leur luminosité particulière fait penser à la neige (là-bas, au dehors) qui s’attarde en ce début du printemps sur les sommets des Apennins. )

  • Le voyage d'Astolphe dans la lune

    Les fleuves, les lacs, les campagnes sont là-haut tout autres que ceux qu'on voit chez nous. Les plaines, les vallées, les montagnes sont toutes différentes. Il en est de même des cités et des châteaux. Le paladin n'avait jamais rien vu jusqu'alors, et depuis ne vit jamais rien de si beau. Il y a de vastes et sauvages forêts, où les nymphes chassent éternellement les bêtes fauves.

    Le duc ne s'arrêta pas à examiner tout ce qu'il voyait car il n'était point venu pour cela. Le saint Apôtre le conduisit dans un vallon resserré entre deux montagnes. Là, ô merveille ! était rassemblé tout ce qui se perd par notre faute, ou par la faute du temps ou de la Fortune. Tout ce qui se perd ici-bas, se retrouve là-haut.

    (...) Là-haut sont accumulées les réputations que le temps dévore à la longue comme un ver rongeur ; les prières et les voeux que nous, pécheurs, nous adressons à Dieu.

    Les larmes et les soupirs des amants, le temps inutilement perdu au jeu, la longue oisiveté des hommes ignorants, les vains projets qui ne se réalisent jamais, les désirs inassouvis, sont en si grand nombre qu'ils encombrent la plus grande partie de ces lieux. En somme, ceux qui montent là-haut peuvent y retrouver tout ce qu'ils ont perdu.

    (...)

    Astolphe retrouva là de nombreux jours perdus par lui, de nombreuses actions qu'il avait oubliées. (...)

    (L'Arioste, Roland Furieux -- trad. F Reynard).

  • La Walkyrie

    La Walkyrie, au Théâtre des Champs-Elysées.

    (Le premier acte est assurément une des plus grandes réussites dramatiques de Wagner : on assiste, dans cette scène unique et continue, à une formidable déflagration du passé dans le présent ; la vérité se révèle par l'anamnèse, les deux jumeaux se reconnaissant se connaissent eux-mêmes, Siegmund trouve un nom. La révélation dégage les forces endormies, enfouies dans le passé, comme l'épée plantée jusqu'à la garde dans le tronc du frêne dont nul n'avait pu se servir. Après l'entracte, l'opéra peine à conserver le même élan. En l'occurence, ce soir, le second couple, Wotan et Brünnhilde, dont les démêlés prennent le relais (des adieux au lieu d'une rencontre) intéressent moins. Ne pourrait-on imaginer de jouer l'opéra dans le désordre et d'insérer le premier acte entre les deux autres ? On objectera que la chronologie s'en trouverait bouleversée ; la musique du compositeur étant par nature insécable, après le prologue au ciel, Siegmund recevrait l'annonce de sa mort et serait tué -- avant d'apparaître. Mais, après tout, il ne s'agit que d'ajouter, aux abondantes récapitulations chères à Wagner, un flash-back.)