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Musique et théâtre - Page 10

  • Cardillac

    A l'opéra Bastille.

    Tout le commencement est mené tambour battant, brandebourgeoisement, sur un même tempo ; les phrases entremêlées à l'orchestre charrient avec elles les voix tandis que le choeur monte, descend, remplit et vide les marches d'un grand escalier d'hôtel. Heureusement le deuxième tableau, très joliment chanté et joué, permet de reprendre sa respiration : une dame seule attend dans sa chambre une visite, s'apprêtant à accueillir avec bienveillance l'homme qui lui a promis un bijou. Monologue nocturne avec vents et puis pantomime des deux amants : à la fin une figure masquée entre par la fenêtre. (Après le cri (aux timbales), j'ai dû m'endormir et manquer une scène d'exposition, ou par intermittence : la suite a la confusion des rêves. Nous sommes dans l'atelier de Cardillac ; l'orfèvre reçoit un visiteur, puis un second ; entre-temps sa fille décide ou bien renonce à le quitter ; il y a un merveilleux passage au hautbois. Les toits de Paris. A nouveau l'escalier dans l'hôtel. Cardillac succombe en professant bien haut le droit pour le créateur de malmener son public.)

  • La Femme sans ombre

    A l'Opéra Bastille.

    Le faucon plane au-dessus du palais de l'empereur et son cri, dans une scène grandiose, prononce le sinistre augure : comme la fille du roi des esprits, l'impératrice, ne jette pas d'ombre, l'empereur sera changé en pierre. La nourrice
                             (...)  femme née en des siècles malins
                           Pour la méchanceté des antres sibyllins
    convainc alors sa maîtresse de descendre chez les hommes se procurer l'ombre manquante. L'impératrice et la nourrice entrent comme des servantes ou des parentes pauvres dans la maison d'un modeste teinturier ; la nourrice conspire à ce que la femme du teinturier cède son ombre, renonçant ainsi à avoir des enfants (car dans l'économie du conte, les deux sont équivalents).
    La querelle qui oppose le teinturier et sa femme, le trop bon Barak et l'épouse acariâtre, est quelque peu caricaturale mais la figure de l'impératrice est magnifique, femme-esprit que la pitié rend humaine et sauve. Dans la cabane de Barak (que la mise en scène refuse de nous montrer), elle rappelle la condition du poète telle que la décrit Hofmannsthal dans le Poète et l'époque présente : prince ignoré, repoussé par la dernière servante et envoyé auprès des chiens. Sans fonction dans cette maison, sans service, sans droit, sans devoir si ce n'est de rôder, d'être couché et de peser tout cela en lui-même sur une balance invisible, de peser tout cela jour et nuit continuellement et de passer par d'immenses souffrances (...)
    Les morts se relèvent pour lui, non pas quand il le veut, mais quand eux le veulent. Toujours est-il qu'ils se relèvent pour lui. Son cerveau est le seul lieu où il leur soit permis de revivre pour un atome de temps et où leur est donné en partage, à eux qui logent peut-être dans une solitude en train de se pétrifier, le bonheur sans limite des vivants : se rencontrer avec tout ce qui vit.
    (Trad. Albert Kohn)

  • Cadmus et Hermione

    A l'Opéra comique.

    "Le livret tiendrait au dos d'une carte à jouer" : le prince Cadmus tue un dragon, se débarasse d'un rival et finit par épouser la princesse Hermione. Cadmus est attifé en général romain, bariolé comme un retable espagnol, Hermione est enjupponnée et emplumée comme une princesse mexicaine. Ils dialoguent, face à la salle, avec force moulinets des bras. En parlant le français classique, ils font entendre les finales muettes et disent "oué" où il est écrit "oi". Des acrobates suspendus, les dieux dans des nacelles, les monstres animés comme des marionnettes. (Tout est occasion de ballet : les scènes avec les deux nobles héros n'occupent qu'une fraction de l'opéra, de même que les démêlés comiques entre leurs suivants, la nourrice, la belle et le poltron). C'est, offert à la cour, le miroir d'une cour fabuleuse : ainsi dans le palais du prince Géant, Cadmus pour séduire Hermione fait danser devant elle ses "soldats afriquains" (Cela, sans doute, ne détonnerait pas dans le décor de Versailles).

  • Tannhaüser

    A l'Opéra Bastille.

    "Tannhaüser représente la lutte des deux principes qui ont choisi le coeur humain pour principal champ de bataille, c'est-à-dire de la chair avec l'esprit, de l'enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu. Et cette dualité est représentée tout de suite, par l'ouverture, avec une incomparable habileté." (Baudelaire). C'est pourtant à cette partie de l'oeuvre qu'il est le plus difficile de croire : l'affrontement entre l'inoxydable chant des pèlerins et  (quel que soit le degré d'incandescence auquel la porte l'orchestre :) la triviale bacchanale. Disons que cela vaut comme une étape sur le chemin qui mène à l'accomplissement de Parsifal, de même que Vénus-Elisabeth préfigure Kundry et que l'extraordinaire récit de Rome du dernier acte (avec son espèce de ritournelle, marche et accablement) annonce les grands récits-confessions des héros à venir.

    Tannhaüser revient deux fois dans sa "patrie". La première fois, c'est dans le paysage presque idyllique d'un vert paradis : calme vallée où résonnent les cors, qu'il retrouve ses amis de jeunesse et le souvenir d'Elisabeth chanté par Wolfram ; puis la musique peint le décor pompeux de la grande salle du Wartburg. Ce premier retour s'achève dans un grandiose affrontement (avec choeurs) entre l'artiste et la petite société, qui finit par l'exclure.

    En revanche lorsque Tannhaüser revient une seconde fois, tout a changé de face. Le pays n'a plus ses fanfares, ses marches, ses couleurs franches : au début du troisième acte règne un long crépuscule avec la froide lumière de la prière d'Elisabeth et de la romance à l'étoile de Wolfram. (Wie Todesahnung Dämmrung deckt die Lande, / umhüllt das Tal mit schwärzlichem Gewande; / der Seele, die nach jenen Höhn verlangt, /vor ihrem Flug durch Nacht und Grausen bangt). Tannhaüser retrouve une contrée éteinte et peuplée de fantômes ; c'est en lui-même maintenant qu'il porte le conflit antérieur jusqu'à son dénouement.

    (La mise en scène fait de Tannhaüser un peintre : l'enlacement de Vénus et d'Elisabeth, la brune et la blonde, est peut-être un hommage au Sommeil de Courbet ? Mais sans doute faudrait-il rajouter au-dessous des surtitres un éclaircissement pas à pas du programme du metteur en scène ? Le mimodrame final laisse perplexe.)

  • Tosca

    A l'opéra Bastille.

    Rome 1900 : supplices, sexe, fanfares de péplum, pompe catholique (le finale du premier acte superpose Te Deum et projets de viol). La musique de Puccini, opulente, brutale, sans pudeur, va bien avec le sadisme du mélodrame : le programme paraît être (dans la scène de torture du deuxième acte et pour la fausse fausse exécution du troisième) : "versons une goutte d’acide sur le cœur de cette femme et observons la réaction".
    Rome est dans Tosca : les noms de Sant’Andrea della Valle, du Palais Farnèse, du Château Saint-Ange, s’affichent comme dans un guide touristique (n’est ce pas les débuts du tourisme de masse ?) ; toute la ville résonne sur la scène de Tosca  (les coups de canon, les cloches, les orgues, le concert public, la chanson du pâtre). On a le sentiment aussi que, dès demain, Tosca résonnera dans Rome (Pour Vissi d’arte et E lucevan le stelle il faudrait inventer le phonographe et la radio, si ce n’était déjà fait.)

    (Ce soir, la mise en scène est laissée à l’abandon. Quel mauvais plaisant a affublé Flora Tosca d’une robe à longue traîne ? Le jeu de l’actrice se limite à éviter de s’y prendre les pieds. La même hystérie lui sert tout le long de l’opéra, depuis le badinage du premier acte jusqu’au suicide final.)

  • La Traviata

    La Traviata, à l'opéra Garnier.

    Première Traviata. C’est aussi la première fois que j’apprécie autant un opéra de Verdi : la concentration et la concision du drame, la retenue des chanteurs et de l’orchestre, ses couleurs simples et touchantes (les cordes blanches de l’agonie, la clarinette du désespoir). J’aime beaucoup la mise en scène qui rassemble le tout en faisant de Traviata un tour de chant de Violetta : de loin en loin, un projecteur l’isole dans un rond de lumière ; elle pousse sa chanson ; les airs reviennent comme des refrains. Son théâtre est à Paris, capitale du 19ème siècle ; l’amour y va avec le malheur et finit par la mort de l’héroïne :
    Povera donna, sola
    Abbandonata in questo
    Popoloso deserto
    Che appellano Parigi


    Installée à la campagne (c'est-à-dire dans un pavillon avec tondeuse), Violetta Bovary rêve, au lieu de liaisons adultères, de pureté et de sacrifice. Alfredo, très sincèrement amoureux, est séparée d’elle par la distance fatale qui disjoint la scène et le monde. A côté d’eux, la société vaque à ses plaisirs de pacotille (dont l’attribut est ces flûtes à champagne en plastique qu’on prend beaucoup de mal à briser).

  • Ariane et Barbe-Bleue

    A l'opéra Bastille.

    Ici,  et .

    (Sélysette, Ygraine, Mélisande, Bellangère et Alladine : prénoms impossibles des cinq premières femmes de Barbe-Bleue, noms inventés de béguines, babil de vieilles enfants recluses ; on comprend que, comme elles, ils ont besoin de s'abriter derrière les murs, les fossés pleins d'eau et les ponts levés du château et ne supporteraient pas le grand air. Leur chanson, la comptine fausse des filles d'Orlamonde, monte des souterrains à l'ouverture de la dernière porte. Dans leur bizarrerie, elles sont plus humaines pourtant qu'une Ariane, donneuse de leçons, VRP de la libération, qui les fait paraître et les anime sans parvenir à les mener hors de leur geôle refuge.)