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Musique et théâtre - Page 9

  • Wozzeck (2)

    A l'opéra Bastille.

    Autant, dans la première partie du drame, les idées de Wozzeck battent la campagne ; autant, dès que, grâce au Capitaine et au Docteur, la jalousie s'empare de lui (Wozzeck laisse tomber son cageot), elles deviennent claires et compréhensibles (pour nous , spectateurs) et tout entières tendues d'abord vers la constatation du péché de Marie puis vers la vengeance.

    Wozzeck est rempli de chansons (on pourrait peut-être encore en tirer une comédie musicale) : notamment dans la scène centrale de la fête à l'auberge (un petit orchestre monte sur scène comme dans le bal de Don Giovanni). Chanson de groupe, chanson d'ivrognes ; chanson fausse, comme après le meurtre, l'inoubliable romance de Margret (contraste affreux, intermède de l'horreur) ; chanson juste, comme celle de Marie Es war einmal ein armes Kind... (je croyais entendre le thème du finale de la neuvième de Mahler). Wozzeck chante pour la première fois après avoir tué Marie (avant cela il refuse de se joindre aux autres, c'est sans doute signe qu'il est fou), mais alors il est bien tard (on ne l'accueille pas, tous se retournent contre lui).

  • Toloméo, re d'Egitto

    Toloméo de Haendel, au Théâtre des Champs-Elysées. 

    Toloméo, roi détrôné d’Egypte, erre sur le rivage de Chypre. Il a perdu son épouse Seleuce. Il la retrouve sous un déguisement (ou bien c’est elle qui le surprend, endormi). Il la perd encore, la recherche, la croit morte et veut mourir. Les intrigues escamotées, les décors et les didascalies perdues (de la version de concert) laissent peu de substance aux autres personnages, qui traversent la fortune du couple royal, aux obstacles dressés sur leur route. Seuls ou réunis, Toloméo et Seleuce semblent tirer d’eux-mêmes le fil compliqué de leurs aventures. L’ombre pèse sur ce  parcours d’aveugles (dans un air magnifique, les deux voix se répondent à travers l’orchestre) ; la mort manque de l’achever. (Grand air sombre et résolu : Toloméo se suicide en buvant le poison).
    (Mais le breuvage n’était qu’un somnifère ; la brune Toloméo (rôle travesti) et la blonde Seleuce finissent par se donner la main – comme si, venues d’une autre nuit, les images de Mulholland Drive  cherchaient à prendre forme à nouveau).

  • Wozzeck

    A l'opéra Bastille.

    Wozzeck rase le capitaine ; Wozzeck, dans les champs, voit le soleil se coucher ; Marie regarde passer la musique militaire : les premières scènes restent confuses, laissent une impression de trop plein et de cloisement. Chaque épisode surgit sans lien avec le précédent - la musique est abrupte, riche de contrastes, faisant un sort à chaque image, à chaque sentiment  - symphonie (de Mahler) parcourue en quelques minutes : tour à tour violente et douce (car la musique, pitoyable aux pauvres gens, s'apaise souvent et rompt la brutalité du drame). La désorientation prend fin au moment où Wozzeck, tourmenté par le capitaine et le docteur, sinistres compères, comprend son malheur, laisse tomber son cageot et se met à courir. Les scènes se répètent (le monde tourne sur lui-même, dirait le capitaine) : la berceuse de Marie annonçait sa prière, le lac de la noyade devient rouge comme les champs au crépuscule, deux fois Wozzeck traverse le bal... mais désormais tout est entraîné, pris à la gorge, par le meurtre à venir (alors le décor unique se justifie parfaitement).  

  • Padmâvatî

    Au théâtre du Châtelet.

    Pendant tout le premier acte l'impression que quelque chose pèse sur la musique : assombrit la couleur orientale, affaiblit les danses, et ternit un peu même les passages les plus brillants, le crescendo de l'arrivée d'Alaouddin ou l'hymne du Brahmane à  la gloire de Padmâvatî ; l'éclat est retenu au loin, comme les lueurs de l'armée ennemie massée derrière l'horizon. Et puis l'ombre s'approfondit somptueusement (c'est dans les dernières minutes de l'acte) : Padmâvatî paraît à nouveau, seule, et chante (ou déclame) pour la première fois, énonçant la prémonition funèbre (la deuxième partie ne sera que le développement et l'accomplissement de cette vision).

    (La mise en scène, naïve (avec son tigre, son éléphant et ses danseurs), se tient, dirait-on, pareillement à distance ; les figurants et les danseurs semblent presque intimidés par les rôles chantés à moins qu'ils ne s'effacent, selon le drame, devant les figures tragiques.) 

  • The Rake's progress

    A l’opéra Garnier.

    La musique, le jeu, le chant, les décors, tout cela ne s’arrange qu’assez tard (les voix se perdent souvent dans les cintres) ; les personnages et les situations enfin prennent corps pour les noces comiques de Tom avec Baba la Turque : la scène figure une salle de spectacle retournée, en sorte que le fond du plateau est occupée par des gradins, visibles à travers l’ouverture du théâtre fictif ; un grand escalier monte à la scène surélevée depuis les coulisses, au premier plan. En bas des marches Ann cherche Tom, le retrouve, mais quand Baba sortant de sa loge demande : qui est cette fille ? Tom renie Ann, les jeunes mariés se détournent ; le viveur et la femme à barbe grimpent l’escalier sous les acclamations et les fanfares. (Tom, Ann et Shadow personnages permanents du drame derrière lesquels défilent comme un ruban les épisodes trop brefs, formant tableaux).
    (Musicalement la scène la plus dramatique a lieu plus loin : avec le seul accompagnement d’un clavecin sinistre, Shadow joue aux cartes l’âme de Tom ; viennent ensuite, saluant sa déchéance, les sonneries funèbres des cuivres).

  • Parsifal

    A l'opéra Bastille.

    Les symboles chrétiens (l'eucharistie, le baptême) avec lesquels Wagner compose son drame prennent une force extraordinaire du fait qu'ils se détachent sur un fond de déréliction et de douleur : non seulement tel que le livret nous le laisse imaginer et tel que le chant le fait entendre (dans la détresse d'Amfortas) mais aussi tel que la mise en scène le représente. (Un décor d'hospice, un fatras d'images grises, un vieillard et un enfant muets, un pauvre potager : je ne sais pas ce que cela voulait dire ; mais la musique surtout y figurait la solennité, l'élévation et la grâce.)

    (Belle prouesse du metteur en scène qui, outre l'activité qu'il déploie sur le plateau, parvient à mobiliser soir après soir plusieurs dizaines d'extras dans la salle pour conspuer la projection muette de quelques images du film de Rossellini, Allemagne année zéro : pendant le bref moment qu'elle dure, avant le début de la dernière partie, les interjections et les huées complètent donc le suicide de l'enfant, à l'écran, pour former une façon de Christ aux outrages ; c'est à dire le lieu de la faute originelle de Kundry.)

    J'imagine qu'on peut gloser longtemps sur Parsifal: par exemple à propos de Kundry, semblable à Marie-Madeleine, pécheresse et repentie, sauf qu'ici elle ne l'est pas successivement mais alternativement. Son ambivalence est magnifique au deuxième acte quand elle est à la fois celle qui cherche à perdre Parsifal et celle qui le sauve (en lui enseignant la pitié). Le passage où, l'appelant, elle prononce pour la première le nom de Parsifal (namenlos) est un des plus belles scènes d'un genre dont Wagner n'est pas avare (La formulation quasi magique d'un nom).

  • Thésée

    Thésée de Lully, au Théâtre des Champs-Elysées.

    La pièce est aussi variée que Cadmus et Hermione, vu il y a quelques jours, mêlant les scènes nobles, les interventions de personnages comiques, les ballets et les divertissements ; mais, cette fois, la part dramatique prend une toute autre profondeur grâce à la présence monstrueuse de Médée. D'un côté elle tient à la sorcière de la fable mais, de l'autre, elle fait penser au Néron de Britannicus (dans ce registre, sans doute, la musique peine à la suivre). Les tortures qu'elle inflige sont pour partie mentales et ce sont les plus fortes. Théâtre mis en abyme : elle s'offre pour plaisir le spectacle de la souffrance qu'elle cause (Quelle douceur de voir souffrir ! chantent les habitants des enfers).  Après avoir dû subir, en silence, le désaveu de Thésée (le cri le plus violent est le cri qu'on ravale), elle oblige Aeglé à renier celui-ci, assistant en coulisse au désarroi des deux amants.