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Musique et théâtre - Page 6

  • La Bohème

    A l'opéra Bastille.

    (Combien qu'ils essaient de nous faire croire le contraire, il n'est pas douteux que Mimi, Rodolfo et leurs comparses ont depuis longtemps passé la quarantaine. La bohème s'éternise. Rodolfo a maigri et vieilli. Mimi monte en soufflant l'escalier qui mène à la chambrette. Ils rejouent une jeunesse disparue, forcent leur gaieté et, faute de sentiment, déploient grand les voiles du sentimentalisme. Cependant, ô fureur des coeurs mûrs par l'amour ulcéré, ils s'agacent et s'étrillent, et Mimi finit par mourir ; on ne sait pas pourquoi.)

  • Le Couronnement de Poppée

    Théâtre de Drottningholm.

    (Le théâtre apparaît transporté jusqu’à nous depuis le dix-huitième siècle, sans changement : un peu blanchi peut-être, mais intact. A l’intérieur, les chandelles ont bien été remplacées par des lampes qui les imitent ; mais les ampoules sont montées sur pivot et vacillent comme les vraies flammes. La mise en scène reprend les décors anciens de toiles peintes (l’intérieur d’un palais, des jardins d’Italie, les rivages de la mer…) ; seuls certains effets d’éclairage ont l’air modernes.
    L’architecture du temps, avec ses grandes ouvertures et ses murs sans épaisseur, semble faite pour la belle saison et le plein air : que devient-elle à l’automne ? Les portes-fenêtres du foyer ouvrent sur les pelouses du parc (où paissent des troupeaux d’oies). A l’entracte, alors que les spectateurs passent dehors,  le crépuscule d’été traverse la pièce dessinant les hautes arches sur le mur opposé.)

    Mais l’aménité des lieux ne déteint pas sur l’opéra qui y est représenté. La mise en scène est anglaise ; aucun caractère n’échappe entièrement à la mesquinerie. Le drame est plus vulgaire et brutal que voluptueux, malgré la musique. Néron aime beaucoup mordre et pincer son amante. Le personnage d’Othon, pour une fois, n’a rien de geignard, c’est un jeune noble écervelé qui change très vite de sentiment (amoureux dans la même journée de Poppée puis de Drusilla, fonçant tête baissée dans l’intrigue combinée par Octavie).

  • Jephta

    Salle Pleyel.

    Jephté a fait le voeu, s'il obtenait la victoire, de donner à Dieu ou bien d'offrir en sacrifice cela ou celui-là qui en premier, à son retour de la bataille, paraîtrait devant lui : bien évidemment (la promesse et la circonstance se confondent, l'une est l'avers de l'autre), le moment venu, c'est son unique fille qui l'accueille. O douleur ! La mère et l'amant se révoltent, le père se désole. Mais la fille ne se dérobe pas :

    Mon père, commandez : vous serez obéi

    L'action pourrait s'arrêter là, à cette fin de l'acte 2, et la suite, qui voit la promesse dénouée et la jeune fille sauvée, ne semble qu'une fausse solution, une rémission mensongère.

    Alors Jephté, accablé, accepte le sacrifice dans un long récitatif où les mots finissent par manquer : I can no more. Le choeur prend la parole How dark, O Lord, are Thy decrees et termine son triste commentaire en reportant à la maxime "Whatever is, is right." La phrase, répétée, commence par le désarroi du "Whatever is" jeté aux ténèbres  ; à quoi répond l'assurance du bref "is right". Mais la certitude a quelque chose de sinistre et sa solidité le poids d'un coup porté à la nuque.

  • L'Affaire Makropoulos (3)

    A l'opéra Bastille.

    La formule de l'immortalité et de la jeunesse éternelle est enfermée au fin fond d'un château dans le n-ième tiroir d'un secrétaire qu'on n'a pas touché depuis près d'un siècle. La célèbre chanteuse, Elina Makropoulos, est à la recherche des vieux papiers, qu'elle avait elle-même laissés là ; elle finit par les ravoir et s'apprête à prolonger de trois cents années années sa déjà longue carrière (elle est née en 1585). Mais l'opéra s'achève contradictoirement (le genre est mortifère) par la grande scène où la même Elina renonce à la prolongation et choisit de mourir. La fanfare qui suit est éclatante : la musique triomphe. Elle est encore neuve dans la répétition ; alors que la vie humaine s'est épuisée, accablée par la mémoire et la seule accumulation de sa propre durée.

  • La Cerisaie

    La Cerisaie, au Théâtre de la Colline.

    Les arbres sont en fleurs mais il gèle. Dans la lumière de l’aube, tous s’arrêtent et contemplent le prodige. Lioubov Andréevna voit passer sa mère, depuis longtemps morte, dans l’allée.

    La maison, à qui les arbres donnent leur nom, c’est presque la scène d’un théâtre : elle se remplit au premier acte pour se vider au dernier. Les comédiens ont leurs tours et leur talent mais rien ne sera changé : le domaine sera vendu et Varia n’épousera pas Lopakhine. A la fin de la pièce, chacun part vers un nouvel engagement. La troupe se disperse, entraînée par la Ranevskaïa, gloire vieillissante qui diffère encore ses adieux. Seul le vieux Firs est resté: il s’est laissé enfermer dans la baraque ; on entend les coups des bûcherons qui abattent le théâtre. La vie a passé, c’est comme si on n’avait pas vécu.

  • Werther

    Werther, de Massenet à l'opéra Bastille.

    Il y a au moins un très beau moment. C'est à la fin de l'acte 3 et dans le prélude enchaîné de l'acte 4 : un messager arrive, il porte un billet de Werther qui annonce son départ et demande à Albert de lui prêter ses pistolets. Albert à sa femme (tel Golaud demandant à Mélisande de lui apporter son épée au lieu de la prendre lui-même, à trois pas) : donne-les lui. Qui, moi ! Charlotte obéit. Dans l'instant qui suit, sans que rien ne sépare le geste du cri : Mon Dieu ! Faites que j'arrive avant qu'il soit trop tard ! Dans la brève disjonction s'engouffrent la nuit, le vent, la distance qui éloigne la maison de Charlotte de la chambre de Werther, tout le prélude de l'acte suivant où l'on voit Charlotte courir dans un temps horriblement dilaté.

  • Le Chevalier à la rose

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    Version de concert : l’orchestre sur scène, aussi beau soit-il, submerge les chanteurs ; leurs entrées et sorties sont inaperçues ou secondaires ; on ne voit plus, selon l’action, le plateau se vider ou se remplir (c’est pourtant un ressort majeur du livret) ; la scène, surpeuplée, reste plus encombrée que l'antichambre du premier acte. Est-ce pour cela que les si beaux monologues de la Maréchale perdent en importance ? Son personnage semble rejeté aux marges ; pour une fois, on l’oublie dès le début du deuxième acte et son retour au finale semble dispensable après que Sophie et Octavian se sont si bien accordés : que vient-elle faire là ? (Le fameux trio qui les rassemble alors n’est pas sublime de bout en bout ; le point culminant s’accompagne des ululements disgracieux).