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Musique et théâtre - Page 11

  • Capriccio (2)

    A l'opéra Garnier.

    Une petite société bavarde s'agite sur la scène : on se querelle à propos de la musique et des lettres et puis du théâtre. Une rivalité amoureuse investit la dispute. Demain on donne une fête pour l'anniversaire de la Comtesse Madeleine. Celle-ci finit par mettre d'accord ses deux soupirants, le compositeur Flamand et l'écrivain Olivier, en leur demandant un opéra pour l'occasion. Quel sera l'argument ? eh bien, tout cela que nous venons de voir : les préparatifs de la fête, les conversations, les intrigues, le débat. Que sera le dénouement ? A la comtesse de le dire ; le salon se vide : elle est seule avec les flambeaux et les miroirs, et s'interroge. (Mais son chant, ni sur le plan de l'allégorie ni sur celui de l'action, ne peut trancher entre le compositeur et l'écrivain, entre la musique et les mots).

    Dans le monologue final la comtesse ne fait pas ses adieux, elle choisit entre deux amants ; elle cherche la conclusion d'un opéra, elle ne prophétise pas la fin d'un genre. Pourtant, la mélancolie est bien présente : il y a quelque chose de poignant dans le moment où tous les personnages ayant pris congé, la comtesse se rend compte qu'elle est seule (et pas seulement parce que la mise en scène a habillé d'un uniforme noir le chauffeur qui emmène les hôtes). Un sonnet de Ronsard accompagne ou symbolise la fable : fictivement composé par Olivier, mis en musique par Flamand, il est chanté enfin par la comtesse. L'adaptation allemande a placé, au bout du dernier vers des quatrains, la mort. Le mot, loin des fades galanteries de l'original, résonne alors douloureusement, porté par la musique, une dernière fois.

  • Un bal masqué

    A l'opéra Bastille.

    Le gouverneur Riccardo est menacé par un complot ; il est par ailleurs amoureux d'Amelia, épouse de son conseiller et ami Renato. Je n'ai pas vraiment compris quelle utilité pouvait avoir la conspiration dans le livret. Les intrigues privées s'avèrent bien plus efficaces pour éliminer Riccardo (l'Histoire ici n'est que le faux nez de règlements de compte personnels). Renato finit par tuer Riccardo parce qu'il le soupçonne d'avoir couché avec sa femme. Il fait tout de même appel aux conspirateurs ; pourquoi ? (ceux-ci, toujours en embuscade prudente au fond de la scène, trouvent leur principal emploi en chantant pour Renato, à la fin du deuxième acte, cocu ! cocu !)

    La scène de voyance et de sorcellerie, au premier acte, paraîtrait également bien superflue si elle ne permettait à Riccardo de faire le malin alors qu'on lui prédit la mort : un petit air guilleret au sein d'un choeur d'effroi.

    Riccardo, Renato, Amelia (ténor, baryton, soprano) : l'action se joue donc entre ces trois personnages, ponctuée d'ensembles tonitruants, de roulements de timbale et de sonneries de trombone. Dans un beau duo d'amour, la soprano résiste au ténor avant de s'affaler selon la grande effusion des violoncelles (elle avoue qu'elle aime mais elle ne cède pas). Le baryton se désespère dans un terrible monologue que vient éclairer le souvenir des instants heureux. Enfin le ténor meurt alternant des pardons emphatiques et des visions célestes (où les violons figurent sans doute la lumière divine).

  • The rape of Lucretia

    L’opéra de Britten au théâtre de l’Athénée.

    Il est, tout compte fait, peu question d’histoire romaine dans la pièce. Le roi étrusque Tarquin et les généraux romains sont frères d’arme. Les références à l’expulsion des étrusques de Rome se concentrent dans un chœur intempestif au début de la seconde partie.

    La première résume les enjeux en deux scènes : les hommes sont à l’armée ; ils boivent et se chamaillent à propos de cocufiage et de putains (la femme de Collatinus est chaste, c’est Lucrèce ; la femme de Junius ne l’est pas ; Tarquin n’a que des putains). 

    Pendant ce temps, à Rome (qui n’est pas si loin du camp de l’armée que quelques moments de chevauchée ne permettent de la rejoindre), Lucrèce et ses servantes roulent des bandes et plient le linge ; elles chantent bellement l’attente et l’amour fidèle. Surgit alors Tarquin qui demande à dormir là : Good night ! reprennent pour finir, l’un après l’autre, les femmes et Tarquin, avec une solennité et une lenteur qui « présagent sans doute une suite mauvaise à ces instants sereins. »

    Une même nuit entoure ces deux tableaux, elle est décrite par un chœur : ce sont un homme et une femme hors de l’action et hors de son temps. Leur commentaire est (bizarrement) chrétien, déplorant de loin en loin, à deux voix, l’immoralité de ce que l’on voit. Cela n’empêche pas la voix masculine de peindre avec exaltation le désir de Tarquin ; ce sont deux passages superbes :
    - la chevauchée de Tarquin entre le camp et Rome, et la traversée du Tibre dont les eaux glacées (un motif aux cordes) s’échauffent au contact du nageur
    - au début de la deuxième partie, avec accompagnement de percussions, le parcours de Tarquin dans la maison nocturne vers la chambre de Lucrèce et les brefs moments qui précédent le réveil brutal de l’épouse alors qu’elle rêve aux baisers de Collatinus.

    Le lendemain, sous un beau soleil, Lucrèce outragée se donne la mort après un monologue et une musique qui se veulent sublimes (peut-être le sont-ils, un peu plus de raffinement de la part du petit orchestre n’aurait pas été de trop.)

  • Pelléas et Mélisande (3)

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    Ici et .

    (Des trois représentations, c'est celle-ci que j'ai préférée : était-ce accoutumance à la composition des acteurs chanteurs ou bien une tension supplémentaire qui manquait les autres soirs ? j'ai trouvé le duo Pelléas - Mélisande de l'acte 3 magnifique (oublions la mise en scène, sans doute impossible, et qu'on aimerait le chant de Pelléas plus juvénile), les voix plongent dans les chaudes ténèbres d'une nuit d'été ; les corps ne peuvent se toucher).

  • Pelléas et Mélisande (2)

    Retour au Théâtre des Champs Elysées.

    J'aime la façon dont la musique, dans la scène qui termine l'acte 1, ouvre et referme l'espace selon que les personnages tournent leurs regards vers la mer ou bien les ramènent vers les allées du jardin.

    Mais je suis moins sensible cette fois aux beautés de l'orchestre. L'enchaînement dramatique domine à partir de la dernière scène de l'acte 3 où commence le paroxysme qui mène à la mort de Pelléas. C'est un passage impressionnant ; il marque une progression dans la brutalité de Golaud avant les coups et blessures et après les premières allusions (ces mains "qu'il pourrait écraser comme des fleurs", le bras de Pelléas qu'il empoigne dans les souterrains): ici la violence prend corps dans la courte-échelle que Golaud impose à l'enfant pour le hisser à la fenêtre d'où il pourra espionner Mélisande et Pelléas.

    J'appréhende un peu mieux la mise en scène (m'accommodant des toiles à demi-transparentes tendues par moments devant les protagonistes) ainsi que la composition des acteurs chanteurs. Mélisande est une femme trop sûre d'elle-même pour être aimable, enfantine et hautaine, butée et rétive : il faut voir son impatience devant les effusions d'Arkel à l'acte 4 ; avec quel dégoût elle écoute le vieillard pontifier sur la mort ! Dans la scène suivante, elle ne se laisse pas briser par Golaud et elle le quitte bien décidée à lui rendre la monnaie de sa pièce.

    L'interprétation du duo d'amour me gêne toujours, jurant à mon sens avec le texte et la musique, mais plus au point que je ne puisse l'écouter. Pelléas chante comme dans l'opéra romantique italien ; son "je t'aime" est éructé au lieu d'être brisé par l'émotion ; la voix n'a pas de nuance. La déclaration d'amour de Golaud au tout début de la pièce "la nuit sera très noire et très froide, venez avec moi" était bien plus séduisante (ne parlons pas de la poignante supplique qu'il fera à l'acte suivant, sans le support de l'orchestre : "Mélisande as-tu pitié de moi comme j'ai pitié de toi...")

    Assis tout en haut côté jardin, je peux voir dans la fosse la trompette bouchée et les flûtes qui font entendre, à la toute fin, cette mélodie d'harmonium (?) qui suit la mort de Mélisande : Qu'à sa mort pourtant, ô mon Dieu ! / S'élève quelque prière !

  • Pelléas et Mélisande

    Au Théâtre des Champs-Élysées.

    Commençons par ce qui m'a gêné dans cette représentation : le couple que forment Pelléas et Mélisande. Ils ne sont, ni l’un ni l’autre, de "petits enfants". Dès la scène 2 de l’acte 1, ils s’embrassent. A la scène suivante, ils se sont mis en ménage. Ils se moquent de Golaud et seul le respect des convenances ou un reste de pitié pour le mari trompé semblent les obliger à un peu de discrétion. Mélisande minaude, joue avec ses boucles, fait semblant de pleurer ou d’avoir peur, rien ne l’impressionne (mais qui comprend quelque chose à Mélisande ?). On l’a malheureusement attifée d’une ridicule perruque de longs cheveux blonds. Pelléas fait preuve de mâle assurance ; c’est un amant qui ne doute de rien et parle d’une voix forte. Pourquoi pas ? Il me semble cependant qu’il y a contresens : le duo d’amour de l’acte 4 tombe à plat (aucun aveu, aucune surprise, tout a déjà eu lieu ; ce n’est pas l’instant décisif qu’on attend) ; les relations avec Golaud sont faussées : c’est un jaloux qui agace et que l’on considère de haut.

    Le décor est encombré de praticables quelquefois tournoyants (attention à la chute) ; des voiles brouillent la vue ; tout un peuple de servantes et de domestiques circule entre les coulisses. Geneviève, Yniold, le Médecin, Arkel passent dans des scènes où ils n’ont rien à faire. Le jeu des acteurs est plein de gestes et d’accessoires. D’étranges inventions sont interpolées dans la pièce : tout en criant Absalon, Golaud tire un couteau de sa poche et coupe la longue tresse de Mélisande qu’il confie ensuite à Arkel ;  dans la scène suivante, il interprète le rôle du berger ; à la fin de l’acte, il se tranche les veines.

    Mais Golaud est extraordinaire, capable de passer en un souffle du badinage à la colère noire, de l’exaltation au désespoir. L’orchestre est d’une beauté jamais entendue. Il fait sentir le poids du destin mais aussi son mystère (l’or des cloches, le froissement surnaturel des cordes, les plaintes des vents), il divulgue ce que le spectacle ne sait pas montrer, il compose le drame et le monde, il est la peur, la lumière et les larmes. Dans les interludes, les instruments paraissent quelquefois plus humains que les acteurs. Les nuances ne sont pas sacrifiées à la force de l’expression ; les apparitions des éléments (la brume, la mer, le soleil déclinant) n’ont rien d’abstrait ; elles prolongent les émotions des personnages.

  • Lohengrin

    A l'Opéra Bastille.

    Le premier acte est encombré par beaucoup de musique en carton-pâte, choeurs pompeux et accessoires procéduriers du Jugement. Même l'apparition de l'Elsa somnambule manque de charme, la mièvrerie gâche sa prière ; car le personnage que compose l'interprète est totalement dépourvu de séduction. Cela ne l'empêche pas d'être une figure crédible où l'entêtement et l'égoïsme forment comme l'envers des bons sentiments et de l'exaltation religieuse. Ils justifient l'échec de l'union avec l'idéal Lohengrin : ces deux individus en dehors de la société et que les hommes consentent à unir ne s'accordent pas (Lohengrin est seul à chanter le duo d'amour du troisième acte) ; l'illusion s'effondre alors tranchée par la phrase terrible de Lohengrin  :
             Weh' nun ist all' unser Glück dahin !

    Le deuxième acte est superbe de bout en bout grâce d'abord à Ortrud et à la scène initiale : voici la partie redoutable de la nuit et qui pour les yeux de l'homme n'est point faite. Avant l'aube, avec Telramund,  Ortrud reprend les fils de l'intrigue et rouvre le combat qui semblaient clos à la fin de l'acte précédent. Elle introduit la malignité et la duplicité dans le drame, y faisant entendre leur très séduisante musique. Le retour du soleil n'efface pas ses sortilèges. Ils couvent d'abord invisibles mais on ne les oublie pas (pendant l'interminable procession nuptiale d'Elsa, je ne vois que l'humiliation d'Ortrud dans le cortège qui donne l'arrière-plan de noirceur à toute cette lumière). Enfin l'accusation éclate, le choeur est pris à partie dans une grande scène comme au deuxième acte du Crépuscule des dieux. Si l'accord et la paix se rétablissent ensuite, ils ne sont qu'apparence, définitivement minés par la défiance.