A l'Opéra Bastille.
"Tannhaüser représente la lutte des deux principes qui ont choisi le coeur humain pour principal champ de bataille, c'est-à-dire de la chair avec l'esprit, de l'enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu. Et cette dualité est représentée tout de suite, par l'ouverture, avec une incomparable habileté." (Baudelaire). C'est pourtant à cette partie de l'oeuvre qu'il est le plus difficile de croire : l'affrontement entre l'inoxydable chant des pèlerins et (quel que soit le degré d'incandescence auquel la porte l'orchestre :) la triviale bacchanale. Disons que cela vaut comme une étape sur le chemin qui mène à l'accomplissement de Parsifal, de même que Vénus-Elisabeth préfigure Kundry et que l'extraordinaire récit de Rome du dernier acte (avec son espèce de ritournelle, marche et accablement) annonce les grands récits-confessions des héros à venir.
Tannhaüser revient deux fois dans sa "patrie". La première fois, c'est dans le paysage presque idyllique d'un vert paradis : calme vallée où résonnent les cors, qu'il retrouve ses amis de jeunesse et le souvenir d'Elisabeth chanté par Wolfram ; puis la musique peint le décor pompeux de la grande salle du Wartburg. Ce premier retour s'achève dans un grandiose affrontement (avec choeurs) entre l'artiste et la petite société, qui finit par l'exclure.
En revanche lorsque Tannhaüser revient une seconde fois, tout a changé de face. Le pays n'a plus ses fanfares, ses marches, ses couleurs franches : au début du troisième acte règne un long crépuscule avec la froide lumière de la prière d'Elisabeth et de la romance à l'étoile de Wolfram. (Wie Todesahnung Dämmrung deckt die Lande, / umhüllt das Tal mit schwärzlichem Gewande; / der Seele, die nach jenen Höhn verlangt, /vor ihrem Flug durch Nacht und Grausen bangt). Tannhaüser retrouve une contrée éteinte et peuplée de fantômes ; c'est en lui-même maintenant qu'il porte le conflit antérieur jusqu'à son dénouement.
(La mise en scène fait de Tannhaüser un peintre : l'enlacement de Vénus et d'Elisabeth, la brune et la blonde, est peut-être un hommage au Sommeil de Courbet ? Mais sans doute faudrait-il rajouter au-dessous des surtitres un éclaircissement pas à pas du programme du metteur en scène ? Le mimodrame final laisse perplexe.)