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Mes bouquins refermés - Page 61

  • Bach

    Eglise Saint-Roch. Cantates BWV 12 "Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen" – Cantate BWV 131 "Aus der Tiefe rufe ich, Herr, zu dir" – Cantate BWV 21 "Ich hatte viel Bekümmernis".

     (Le changement de sonorité provoqué par l'acoustique de l'église est spectaculaire : bien plus, pour le profane, comparé à ce qu'il entend en concert et au disque, que les variations liées aux décisions d'interprétation de tel ou tel. A une certaine distance dans la nef, la musique disparaît, avalée par les voûtes qui régurgitent une bouillie sonore. Il est un peu désolant que le public assis là-bas ne déserte pas en masse à l'entracte et ne réclame pas le remboursement de son billet. Pour les places "de première catégorie", l'écho ne l'emporte pas sur le son direct mais détermine ses métamorphoses. L'effet n'est pas identique selon les instruments : la trompette et l'orgue traversent l'épreuve sans grand dommage ; le hautbois (fort présent) semble avoir été relégué dans les profondeurs du choeur derrière l'orchestre ("De profundis clamavi"). Les voix ont au-dessus ou derrière elles la vague résonnante qu'elles engendrent : dans les grands choeurs croissants, où les voix entrent successivement, celle-ci les porte et leur prête son ampleur ; mais, en cas de changement de régime, à chaque rupture franche, elle manque de se briser et de les disperser. Le chef ménage un silence pour, en quelque sorte, laisser passer le remous. Cependant ce halo sonore, ce bourdonnement, ce manque de clarté, il est difficile à la longue de ne pas le vivre comme une perte d'acuité, une diminution de l'intelligence.)

     

  • Tristan et Isolde (4)

    A l'Opéra Bastille.

    (Tristan et Isolde sont dans un bateau ; mais on n'entend pas beaucoup la mer. Passée la sublime chanson du marin, tout l'équipage et ses manoeuvres ne sont que des accessoires de théâtre. La mer est l'envers invisible de l'espace fatal où les deux amants sont resserrés, occupés d'eux-mêmes. La nef est étroite mais Tristan et Isolde échangent solennellement des messagers. Cependant Isolde entend la réponse qui lui est faite par dessus l'épaule de Brangäne. Tristan va venir. Le lieu se réduit - chaque pas qui rapproche ébranle la poitrine.

    La mer est aussi la condition d'un autre mouvement insensible, concomitant et proportionnel. La mer diminue, la navigation finit au port : la bulle éclate alors contre le rivage, les lumières se rallument dans la salle et les deux amants hébétés constatent qu'ils sont toujours vivants et que le roi Marke est venu accueillir sa promise.) 

  • Jean Fouquet (2)

    Exilé dans le département des objets d'art (la technique l'emporte sur l'artiste), un étage en dessous du Guillaume des Ursins et du Charles VII, l'autoportrait de Jean Fouquet. Email peint sur cuivre : le métal est comme le tain du miroir où le peintre a pris son image ; ses yeux vivants y sont fixés entre les deux termes de son nom et attestent à l'égal de celui-ci, avec gravité, la présence solitaire du peintre. (A notre tour, nous pouvons la constater en ajustant notre regard à la pièce ronde, oeilleton percé dans l'épaisseur jaune du temps.)

  • Schumann, Mahler (1&2)

    Concerts Salle Pleyel.

    (Rien sur Robert).

    Des Knaben Wunderhorn de Mahler. Selon l’ordre du concert, les onze lieder chantés pouvaient se grouper ainsi : d’abord trois poèmes en forme de dialogues "intérieurs" entre l'homme et la bien-aimée, les deux voix dites par une seule  : Der Schildwache Nachtlied, Rheinlegendchen, Wo die schönen Trompeten blasen. Puis "le diptyque de la vie humaine" : das Irdische Leben et Urlicht (sans interruption). Quatre poèmes satiriques : Lied der Verfolgten im Turm, Verlorene Müh’, des Antonius von Padua Fischpredigt, Lob des hohen Verstandes. Le final macabre et militaire : Revelge et der Tambourg’sell.

    Wo die schönen Trompeten blasen était un enchantement. A l’aube, alors que résonne, comme une rougeur au loin, l’appel assourdi des trompettes : qui frappe tout bas à ma porte ? L'autre voix entre, répondant avec la tendresse la plus aimante : c’est l’être le plus cher à ton cœur. Une voix accueille et l'autre est accueillie, celle-là pleure et celle-ci console, l'une est un spectre, peut-être, et l'autre rêve : et c'est la même ; elles sont réunies dans un seul souffle, sous le ciel où sonnent les belles trompettes.

    Des Tambourg'sell : un condamné à mort est mené au gibet. La voix est d'abord sourde et sonnante, pleine de désespoir et de refus, selon le rythme de la marche funèbre. Puis la colère, l'amertume, se retirent ; la voix, saisie par l'émotion, prend congé du monde.

  • Bach

    Cantates BWV 38, 70 et 30, salle Pleyel.

    (Trois souvenirs : au début la première cantate, les trombones placés dans le chœur avec lequel leur sonorité fait bloc (formant comme la clé de la voûte). L’allégresse du choeur qui ouvre la deuxième cantate, que ne dérange pas même l’évocation de « la fin du monde ». L’air très allant de l’alto dans la troisième, accompagnée par une flûte pastorale : comme l'entrée au jardin d’Eden.)

  • Jean Fouquet

    Visite du Musée Condé à Chantilly. J’avais oublié combien les enluminures de Jean Fouquet pour le livre d’heures d’Etienne Chevalier étaient extraordinaires. C’est d’abord la surprise de trouver les dernières innovations italiennes acclimatées en plein quinzième siècle français : on pense aux tableaux de Fra Angelico et particulièrement aux petites scènes de ses prédelles. Les décors renaissance et les costumes antiques des apôtres doivent venir d’Italie ; ils sont mêlés avec des architectures gothiques et des armements ou des habits du même monde (Les aiguillettes nouées ou dénouées, les grandes coiffes rondes des servantes). Je ne sais pas à quelle tradition appartiennent les motifs particuliers de la Trinité (représentée sous la forme de trois personnages identiques) ou du théâtre à l’arrière-plan du martyre de Sainte Apolline.

    Perspective centrale (le plus souvent), inscription cohérente des personnages avec leurs relations et leurs mouvements dans les trois dimensions de l’espace, représentation des volumes et des gestes : les découvertes de la Renaissance italienne sont mises en œuvre avec la plus grande maîtrise. Les arrangements sont complexes ; les figures apparaissent de dos, de trois-quarts ou de profil ; des volumes autonomes sont imbriqués l’un dans l’autre.
    Dans la Cène, les convives sont assis en rond dans l’angle d’une pièce. Dans le Christ devant Pilate, il y a un espace situé en avant et en dessous de la scène principale où on voit les deux larrons sortir de leur geôle. Dans le Martyre de Saint Jacques, le geste du bourreau qui va brandir et faire tourner l’épée est déjà inscrit dans le déploiement de son corps. Dans une autre scène, l’attitude de Saint Etienne est magnifiquement soulignée par  les deux lignes verticales de la dalmatique qui se brisent selon son agenouillement.

    Enfin l’art de Fouquet ne s’arrête pas à cette assimilation : il y a encore dans ces miniatures d’admirables portraits (Etienne Chevalier, le roi Charles VII),  un traitement particulier de la lumière (le crépuscule de la Descente de croix, le nocturne de l’Arrestation du Christ) ou l’inscription réussie des figures dans un arrière-plan de paysages, qui souvent reproduit des sites et des monuments réels, notamment parisiens.

  • La Fiancée vendue

    A l'opéra Garnier.

     Les amours de Marenka et Jenik sont menacées : les parents ont d'autres projets de mariage pour leur fille. Mais les deux jeunes gens seront plus malins que le marieur et triompheront encore d'un prétendant bègue et d'une marâtre autoritaire. Rien d'inattendu dans ce canevas (sauf peut-être la place centrale du marieur, qui donne à l'ensemble une allure archaïque). Le village chante et danse et commente l'intrigue mais ne s'interpose guère. La musique est rapide et joyeuse ; les personnages chantent souvent par deux, trois ou quatre, ensemble la même phrase. Les vents teignent quelquefois la besogne des cordes d'une jolie couleur (Quand Jenik proclame : Je viens de Moravie ! on pourrait entendre comme un prélude aux Chants du compagnon errant, mais cela tourne court). Malgré tout (la faute à la musique, aux musiciens ou au metteur en scène ?), on s'ennuie.