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Mes bouquins refermés - Page 60

  • L'Echange

    L'Echange, de Claudel, au Théâtre de la Colline.

    La journée qu’on voit clair et qui dure jusqu’à ce qu’elle soit finie !

    (Mais, ainsi qu’un oiseau pousse son cri, régulièrement, en deux ou trois points, la salle toussait lourdement. Les comédiens (pas tous, pas tout le temps) accéléraient leurs tirades et, par pans entiers, le "verbe claudélien" sombrait, dévalant le tourniquet des conjonctions : …comme…, …comme…,…comme…).

  • Désaccords littéraires

    Ce n’est pas la délibération d’une académie, plutôt : un jeu de société, le passe-temps d’un soir pour une petite communauté en vacances. La séance a lieu dans une longue salle mal éclairée. A un bout, une estrade avec un tableau noir qui servira à inscrire les résultats. L’assemblée est répartie par tables de cinq ou six. L’objet du débat est la mise au point d’un palmarès : la "bibliothèque idéale", les "meilleures œuvres littéraires de tous les temps". Chaque groupe à son tour proposera quelques titres. Un délégué se lève. Le premier nom qu’il prononce est Sansevero. Mon voisin se détourne en faisant la grimace.

  • Sentiment du temps

    The Mortal Storm, de Frank Borzage.

    La journée est finie, la nuit est tombée. Le Professeur Roth est seul dans l’amphithéâtre. Un peu plus tôt, Roth et une partie de ses étudiants se sont violemment affrontés pendant la classe à propos du contenu des cours. Les opposants se sont levés, ont prononcé le boycott et le groupe ainsi déclaré a quitté les lieux. A présent tout est tranquille : Roth range son bureau comme on le fait chaque soir avant de rentrer chez soi ; tout aussi ordinairement, au moment de partir, il fait jouer l’interrupteur qui commande l’extinction des lampes. On voit alors, dans l’obscurité, vaciller, sur les hauts murs de la salle, des lueurs et des ombres. Elles reflètent à travers les grandes croisées les bûchers dressés dehors, où sont jetés, où brûlent les livres.

    (Moments perdus, instants qui précèdent ou qui suivent, sans paroles et sans actes marqués, dont la banalité est contredite par le pressentiment ou l'intelligence de la catastrophe. C'est dans ces moments-là que vit l'humanité, qu'elle se révèle, et ceux qui ne peuvent en partager le sens sont des brutes.)

  • Gabriel Nash, the merman

    [Gabriel Nash :] (...) "What we like, when we're unregenerate, is that a new-comer should give us a password, come over to our side, join our little camp or religion, get into our little boat, in short, whatever it is, and help us to row it. It's natural enough; we're mostly in different tubs and cockles, paddling for life. Our opinions, our convictions and doctrines and standards, are simply the particular thing that will make the boat go-- our boat, naturally, for they may very often be just the thing that will sink another. If you won't get in people generally hate you."

    "Your metaphor's very lame," said Nick. "It's the overcrowded boat that goes to the bottom."

    "Oh I'll give it another leg or two! Boats can be big, in the infinite of space, and a doctrine's a raft that floats the better the more passengers it carries. A passenger jumps over from time to time, not so much from fear of sinking as from a want of interest in the course or the company. He swims, he plunges, he dives, he dips down and visits the fishes and the mermaids and the submarine caves; he goes from craft to craft and splashes about, on his own account, in the blue, cool water. The regenerate, as I call them, are the passengers who jump over in search of better fun. I jumped over long ago."

    "And now of course you're at the head of the regenerate; for, in your turn"--Nick found the figure delightful--"you all form a select school of porpoises."

    "Not a bit, and I know nothing about heads--in the sense you mean. I've grown a tail if you will; I'm the merman wandering free. It's the jolliest of trades!"

    (James - The Tragic Muse)

  • Extinction

    Je me lave les mains. Tournant la tête, je vois la paroi du tunnel que le passage du train éclaire. La cabine est étroite, le lavabo à peine plus large que deux paumes jointes pour boire. Mais l'eau tiède devient froide. La lumière baisse. Le train s'arrête, tout s'éteint. Il n'y a pas de réseau de secours. En avant, cependant, la lueur des lampes de la station suivante.

  • Salubre

    Dans l'exposition Mantegna, au Louvre. Histoire de Drusienne  de Giovanni Bellini.

    Le panneau de la prédelle est divisé en trois par des piliers peints qui semblent inclus dans la composition centrale. Les trois vues se succèdent de droite à gauche, sans être contiguës. Dans la première scène, le cortège funéraire de Drusienne sort de la ville close. Dans la deuxième, au centre, Drusienne est rappelée à la vie par Saint Jean au milieu d'un cimetière, près de son tombeau ouvert. Dans la dernière, l'assistance accompagne la femme ressuscitée dans la direction d'une maison au fond, tout à gauche, qu'un personnage désigne de la main. 

    La perspective et la composition sont organisées selon une croix dont le centre est le miracle. La bière sur laquelle est étendue Drusienne est représentée successivement de profil, dans le sens de la longueur, puis en raccourci, de face : le cadavre et le corps en train de revenir à la vie sont perpendiculaires l'un à l'autre ; mais l'élan de la femme qui se relève infléchit le schéma et dans la dernière scène, l'assemblée qui s'éloigne continue son mouvement libre, de biais.

    De droite à gauche le paysage urbain se desserre : au petit pan étroit de ciel du premier tableau succèdent de larges trouées vers l'extérieur de la ville. Malgré l'étirement du panneau, le peintre parvient à exalter l'étendue dans le sens de la profondeur : à droite une douve, à gauche un podium, ouvrent un espace entre le spectateur et les premiers plans. Les pleins et les vides des monuments antiques, les arches et les socles, s'étagent solidement campés autour et derrière les personnages. Surtout les dégagements horizontaux laissent voir les merveilleux lointains, les montagnes bleues sous une bande de clarté. Entre elles et la ville haute règne une plaine nue ; un air froid et transparent y circule qui en retour emplit de sa limpidité les abords de la cité (dissipant la mauvaise odeur qui obligeait un témoin à se boucher le nez).

  • Rien n'est resté

    En lisant, en écrivant de Gracq. Quelles que soient la pertinence ou la résonance des jugements et des réflexions : des lectures de toute une vie, ne reste-t-il que cela ? "Le Dix-neuvième Siècle de Chateaubriand à Proust" mais réduit au panthéon Balzac, Stendhal, Flaubert, ou plutôt : à quelques-uns seulement de leurs romans. (La littérature allemande : Goethe ; la littérature russe : les noms uniquement de Dostoïevski et de Tolstoï). La poésie égrenée selon la table des matières d'un manuel. Le seul poème discuté un peu longuement est le fort médiocre Poison perdu.