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Mes bouquins refermés - Page 58

  • Marbres

    Il nous regarde en parlant. Ses grands yeux roulent. La pupille n'est qu'un point noir, sans profondeur. Ses yeux bleu blanc  sont de pierre ; une marqueterie de marbre ou semblables à ces billes que, dans l'enfance, on appelait porcelaines.

  • Mort obscure

    Dans le Palazzo Principe, villa bâtie pour Andrea Doria aux portes de Gênes. Un beau portrait attribué à Salviati donne un visage à l'un des héros sans gloire de la Conjuration du comte de Fiesque du Cardinal de Retz : Gianettino Doria, fils d'un cousin, était l'héritier choisi par Andrea Doria. Il est tué par les conjurés, presque par mégarde, dans la nuit où ceux-ci lancent leur assaut contre les maîtres de Gênes.

    Jannetin Doria, éveillé ou par le buit qui se fit à cette porte ou par les cris qui se faisaient en même temps dans le port, se leva en grande hâte, et, sans être suivi d'autre personne que d'un page qui portait un flambeau devant lui, il accourut à la porte de Saint-Thomas, où, ayant été reconnu par les conjurés, il fut tué en arrivant.

    La mort de Jannetin est décrite quelques lignes avant celle de son adversaire, Fiesque. L'escamotage du personnage principal détermine alors l'échec de la conjuration et fait un contrepoint presque burlesque aux graves considérations de politique et de stratégie qui l'ont précédé :  

    (...) craignant que, dans cette confusion, la chiourme ne relevât la capitane, sur laquelle il entendait beaucoup de bruit, (Fiesque) courut en diligence pour y donner ordre, et, comme il était sur le point d'y entrer, la planche sur laquelle il passait venant à se renverser, il tomba dans la mer ; la pesanteur de ses armes et la vase, qui était profonde en cet endroit, l'empêchèrent de se relever, et l'obscurité de la nuit jointe au bruit confus qui se faisait de toutes parts ôtèrent aux siens la connaissance de cet accident, en sorte que, sans s'apercevoir de la perte qu'ils avaient faite, ils achevèrent de s'assurer du port et des galères.

    (...) Le corps du comte fut trouvé au bout de quatre jours, et ayant été laissé quelque temps sur le port sans sépulture, il fut enfin jeté dans la mer par le commandement d'André Doria.

  • Palais de Gênes

    La montagne et la mer sont la presse énorme où la ville a grandi. Son action se retrouve dans les prestigieux palais de la Strada Nuova. Chaque époque a forcé un passage à travers l'élément comprimé de la ville : les palais ne sont pas disposés aux limites d'une place ;  leur façades s'alignent sans recul le long d'une percée rectiligne et fermée ; on ne les voit que de profil comme les architectures dans les Noces de Cana de Véronèse. Elles paraissent trop hautes à la mesure de la rue (même si la saillie des toits ne va pas jusqu'à en couvrir toute la largeur comme elle le fait en certains endroits de la vieille ville). Mais la merveille de ces palais est souvent dans l'espace qu'ils ménagent en leur sein selon la double contrainte de l'exiguïté et de la dénivellation : les escaliers majestueux et les cours bordées de portiques solides, régulières et aériennes.

  • Carte de voeux

    J'ai dans la main une carte (d'un format intermédiaire entre la carte à jouer et la carte postale). Le recto est la photographie de nuages bleu sombre qui couvrent toute l'image. Au centre, disposées presque régulièrement en damier, sur les cases impaires, des lueurs roses : leur intensité est variable ; les plus brillantes rayonnent en étoile, les plus faibles ne sont qu'un point. En haut, dans le sens de la largeur, un mot est écrit en lettres blanches, rondes et grasses, majuscules : SOUV'AVENIR. Je suis si content du jeu de mots que je ne songe pas à retourner la carte.

  • Limites

    Pièces courtes : paraissent encore trop longues. Non qu'elles soient dépourvues de détails superbes. Mais cette beauté ponctuelle dépend de sa concision et ne peut être développée. Ces détails ne pourraient exister sans le matériau qui les soutient car ils tendent, par leur brièveté, à l'invisible. L'éclat ne se révèle que selon une monture de pacotille ; mais lui devant l'existence il la menace ; sa concentration dénonce le délayage, le rapiècement et l'ennui du tout. L'un et l'autre, passés à la limite, s'annihilent : le raccourcissement de l'un jusqu'au point où il ne peut être entendu ; le rallongement de l'autre jusqu'au bruit de fond, au silence.

  • Le barcaruol et l'arquebuse de roda

    Pour Venise, l'immigrant arrive des villes voisines (...) et des campagnes et montagnes proches (le Titien est de Cadore). Si les gens du Frioul - les Furlani - sont de bonnes recrues pour la domesticité et les gros travaux, voire, hors de la ville, les tâches agricoles, les mauvais garçons, il y en a, viennent tous, ou presque tous, des Romagnes et des Marches. Tutti li homeni di mala qualità, dit un rapport de mai 1587, o la maggior parte di loro che capita in questa città sono Romagnoli e Marchiani. Visiteurs indésirables et d'ordinaires clandestins, ils pénètrent de nuit dans la ville, par des filières régulières, s'adressent à quelque barcaruol qui ne peut refuser l'accès de sa barque à des hommes armés souvent de l'arquebuse à rouet, de roda, et qui, à l'amiable ou non, se font conduire jusqu'à la Giudecca, à Murano ou à telle autre île.

    (Braudel, La Méditerranée)

  • Mahler

    Das klagende Lied, salle Pleyel.

    (Des deux frères, le plus jeune s'endort sous un saule, la fleur au chapeau. L'alanguissement, le balancement ralenti de l'orchestre, fait penser aux Chants d'un compagnon errant, commençant où l'autre finit : War alles, ach alles, wieder gut ! / Alles ! Alles ! Lieb un Leid ! / Und Welt und Traum ! )