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Mes bouquins refermés - Page 59

  • Haendel

    Le Messie, au Théâtre des Champs-Elysées.

    L’oratorio nous donne une représentation de l'histoire rapportée par les Evangiles mais il le fait presque sans énoncer aucun élément du récit et sans faire monter aucun des personnages sur la scène. Le texte est composé de commentaires et de méditations ; pourtant la succession du drame est respectée, chaque épisode est rendu sensible par la musique en même temps que sa signification (la variété est extraordinaire avec une telle unité de moyens) : il y a l’instant solennel de l’Annonciation, puis l’émerveillement naïf devant la Nativité, la violence de l’arrestation et de la Passion, la joie et la gloire de la Résurrection. Après l’Alleluia, qui figure le point culminant de l'histoire, il y a, comme dans l'Evangile, un temps faible, sans grand événement : la mort a été vaincue, la période qui s'ouvre en est la preuve, elle n'est que cela, sa chronologie est vague, elle dure jusqu'à ce que le choeur final vienne signifier l'éternité.

  • Fidelio

    A l'opéra Garnier.

    Difficile d'accepter que la "même musique" convienne à l'hymne finale et au médiocre quiproquo du début ; qu'elle exalte là l'héroïsme, le dévouement, la liberté, et plombe ici la comédie amoureuse. La représentation n'allait pas très bien et je ne retiens que la phrase sublime de Rocco : Der kaum mehr lebt / Und wie ein Schatten schwebt ?

  • Neiges d'été

    Qui ne connaît aussi ces neiges attardées jusqu'au coeur de l'été et qui "font frais aux yeux", dit un voyageur ? Elles zèbrent de leurs traits blancs le sommet du Mulhacen tandis qu'à ses pieds, Grenade meurt brûlée de chaleur ; elles s'accrochent au Taygète, au-dessus de la plaine tropicale de Sparte ; elles se conservent au creux des montagnes libanaises ou dans les "glacières" de Chréa... C'est elles qui expliquent, en Méditerranée, la longue histoire de "l'eau de neige" que Saladin offrait à Richard Coeur de Lion et dont le prince Don Carlos abusa jusqu'à en mourir, pendant le chaud mois de juillet 1568, dans sa prison du Palais de Madrid. (...)

    Ailleurs, en Egypte, où des relais de chevaux rapides l'apportaient de Syrie au Caire ; à Lisbonne où on la faisait venir de fort loin ; à Oran, le préside espagnol, où la neige arrive d'Espagne par les brigantins de l'Intendance ; à Malte où les Chevaliers, à les en croire, mourraient faute des arrivages de neige en provenance de Naples, leurs maladies exigeant "ce remède comme souverain", c'était, au contraire, denrée de luxe. Cependant, en Italie comme en Espagne, l'eau de neige semble assez répandue. Elle explique, en Italie, l'art précoce des glaces et des sorbets. A Rome, si fructueuse est sa vente qu'elle est l'objet d'un monopole. En Espagne, la neige est tassée dans des puits et conservée jusqu'en été. Des pélerins occidentaux, en route vers la Terre Sainte, ne s'en étonnent pas moins lorsqu'en 1494 ils voient, sur la côte syrienne, le patron de leur navire recevoir en cadeau "un sac rempli de neige dont la vue en ce pays et au mois de juillet remplit tout l'équipage du plus grand étonnement". Sur cette même côte de Syrie, un Vénitien, en 1553, s'émerveille que les "Mores", ut nos utimur saccharo, item spargunt nivem super cibos et sua edilia, "répandent de la neige sur leurs mets et leurs nourritures comme nous y mettons du sucre".

    (Braudel, La Méditerranée).

  • Fin de Gabriel Nash

    Dans les dernières pages de The Tragic Muse, Miriam Rooth suggère plaisamment à Nick de faire poser Gabriel Nash pour un portrait : ce serait une bonne façon de se débarrasser de lui.

     Gabriel consented to sit; (...) and he came back three times for the purpose. Nick promised himself a deal of interest from this experiment, for with the first hour of it he began to feel that really as yet, given the conditions under which he now studied him, he had never at all thoroughly explored his friend. His impression had been that Nash had a head quite fine enough to be a challenge, and that as he sat there day by day all sorts of pleasant and paintable things would come out in his face. This impression was not gainsaid, but the whole tangle grew denser. It struck our young man that he had never seen his subject before, and yet somehow this revelation was not produced by the sense of actually seeing it. What was revealed was the difficulty--what he saw was not the measurable mask but the ambiguous meaning. He had taken things for granted which literally were not there, and he found things there--except that he couldn't catch them--which he had not hitherto counted in or presumed to handle.

    Pour la première fois, Nash se tait ou plutôt apparait autrement que selon sa conversation brillante et bavarde. Le personnage n'est pas démasqué, il change de sens et se charge d'ambiguïté. Mais Nash se renfrogne et semble goûter fort peu cette expérience - si bien qu'après la troisième séance, il manque le rendez-vous. Les jours passent, Nash ne revient pas. Son portrait reste inachevé. Nick a l'étrange impression que les lignes qu'il a tracées peu à peu s'effacent et que la toile redevient blanche.

  • Haydn

    La Création, au Théâtre des Champs-Elysées.

    (Bestiaire, météores et chants de louange rappellent Israël en Egypte de Haendel, mais ici la lumière vite dissipe les "ténèbres palpables d'Egypte", instaurant l'univers sous le merveilleux cristal sonore des constellations.)

     

     

  • Personnages de roman (2)

    Tous les personnages d'un roman ne sont pas égaux entre eux. De même, au théâtre, il y a un monde entre le premier rôle et des comparses qui lui donnent la réplique.  Celui-là est tenu par Miriam Rooth (fille de Mrs Rooth), fameuse comédienne dont personne ne soupçonne qu'elle commence dans la carrière tant son jeu est imposant, varié et subtil ; ceux-ci sont joués par des acteurs subalternes à qui on demande seulement de rendre toujours à peu près le même son quand le drame les sollicite. L'un ne quitte pour ainsi pas le plateau du début à la fin, c'est à lui que quelque chose arrive ;  les autres vont et viennent.

    Les personnages principaux de The Tragic Muse: Peter Sherringham, Nick Dormer, Miriam Rooth évoluent dans une dimension que les autres ignorent : le temps ; ils sont sujets à variation, ils changent d'état ; mais ils payent cette complexité par une certaine indétermination : en quelque sorte, plus on les fréquente, moins on est sûr de les connaître. Leur être profond est incertain : un vide, une absence, un suspens. La grande affaire de Nick est sa vocation contrariée de peintre, mais sa décision ne s'oppose pas aux événements, elle est au contraire emportée par eux, son esprit est comme le fléau d'une balance qui penche d'un côté ou de l'autre. Peter Sherringam hésite entre le théâtre et sa carrière ; sa passion pour Miriam Rooth est alternativement brûlante et éteinte. Sa parole est sans force : trois, quatre fois, il fait sa déclaration, sans qu'il en sorte rien. Certes Miriam Rooth décide de son destin : comme elle l'a voulu, elle sera une "grande comédienne". Mais le fond de ses sentiments demeure un mystère. Peter la soupçonne  de ne jamais cesser de jouer, de n'être qu'un masque. L'aime-t-elle, est-elle éprise de Nick ? Comme le fait remarquer malicieusement le narrateur, on en est réduit en ce qui la concerne aux interprétations des uns et des autres ; c'est le plus jamesien des personnages.

  • Personnages de roman

    A propos de The Tragic Muse. Son originalité, parmi les romans de James, réside peut-être dans sa plaisante collection de personnages secondaires (dont la peinture rappelle Dickens). Outre Gabriel Nash, l'homme-sirène, je pense par exemple à :

    Mrs Rooth. Veuve d'un antiquaire, elle prétend appartenir à la bonne société anglaise, étant apparentée aux très inconnus Neville-Nugent, de Castle Nugent. Elle ne les fréquente cependant pas du tout car, étant désargentée, elle vit "sur le continent". Fort préoccupée de convenances, elle a  néanmoins entrepris de faire de sa fille une actrice et la promène de capitale en capitale, la confiant aux soins d'obscurs professeurs. En accord avec ses moyens limités, sa principale qualité est de pouvoir rester indéfiniment assise en tous lieux où la demeure est une économie :

    She gave (Peter) the measure of her power to sit and sit--an accomplishment to which she owed in the struggle for existence such superiority as she might be said to have achieved. She could out-sit everybody and everything; looking as if she had acquired the practice in repeated years of small frugality combined with large leisure--periods when she had nothing but hours and days and years to spend and had learned to calculate in any situation how long she could stay. "Staying" was so often a saving--a saving of candles, of fire and even (as it sometimes implied a scheme for stray refection) of food.

    Mrs Gresham. Cette dame est, elle, introduite dans la bonne société où elle rend d'appréciables services ; on ne peut dire cependant si elle fait partie du personnel ou des invités :

    Mrs. Gresham was a married woman who was usually taken for a widow, mainly because she was perpetually "sent for" by her friends, who in no event sent for Mr.Gresham. (...) Her figure was admired--that is it was sometimes mentioned--and she dressed as if it was expected of her to be smart, like a young woman in a shop or a servant much in view. She slipped in and out, accompanied at the piano, talked to the neglected visitors, walked in the rain, and after the arrival of the post usually had conferences with her hostess, during which she stroked her chin and looked familiarly responsible. It was her peculiarity that people were always saying things to her in a lowered voice. She had all sorts of acquaintances and in small establishments sometimes wrote the menus. Great ones, on the other hand, had no terrors for her--she had seen too many. No one had ever discovered whether any one else paid her. People only knew what they did.

     Mr Carteret. Ce vieillard est un politicien à la retraite qui reste très attentif aux péripéties de la vie parlementaire et aux événements internes de l'appareil du parti libéral. Il ne conçoit d'ailleurs pas qu'il puisse exister autre chose au monde. Son grand principe est de ne jamais se mettre en retard, c'est à dire de ne pas négliger un seul jour la correspondance et la lecture des comptes-rendus des journaux. (Mais plus sévère que Mr Carteret, son majordome :

    When (Nick) paid a visit to his father's old friend there were in fact many things--many topics--from which he instinctively kept his hands. Even Mr. Chayter, the immemorial blank butler, who was so like his master that he might have been a twin brother, helped to remind him that he must be good. Mr. Carteret seemed to Nick a very grave person, but he had the sense that Chayter thought him rather frivolous.)