Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Neiges d'été

Qui ne connaît aussi ces neiges attardées jusqu'au coeur de l'été et qui "font frais aux yeux", dit un voyageur ? Elles zèbrent de leurs traits blancs le sommet du Mulhacen tandis qu'à ses pieds, Grenade meurt brûlée de chaleur ; elles s'accrochent au Taygète, au-dessus de la plaine tropicale de Sparte ; elles se conservent au creux des montagnes libanaises ou dans les "glacières" de Chréa... C'est elles qui expliquent, en Méditerranée, la longue histoire de "l'eau de neige" que Saladin offrait à Richard Coeur de Lion et dont le prince Don Carlos abusa jusqu'à en mourir, pendant le chaud mois de juillet 1568, dans sa prison du Palais de Madrid. (...)

Ailleurs, en Egypte, où des relais de chevaux rapides l'apportaient de Syrie au Caire ; à Lisbonne où on la faisait venir de fort loin ; à Oran, le préside espagnol, où la neige arrive d'Espagne par les brigantins de l'Intendance ; à Malte où les Chevaliers, à les en croire, mourraient faute des arrivages de neige en provenance de Naples, leurs maladies exigeant "ce remède comme souverain", c'était, au contraire, denrée de luxe. Cependant, en Italie comme en Espagne, l'eau de neige semble assez répandue. Elle explique, en Italie, l'art précoce des glaces et des sorbets. A Rome, si fructueuse est sa vente qu'elle est l'objet d'un monopole. En Espagne, la neige est tassée dans des puits et conservée jusqu'en été. Des pélerins occidentaux, en route vers la Terre Sainte, ne s'en étonnent pas moins lorsqu'en 1494 ils voient, sur la côte syrienne, le patron de leur navire recevoir en cadeau "un sac rempli de neige dont la vue en ce pays et au mois de juillet remplit tout l'équipage du plus grand étonnement". Sur cette même côte de Syrie, un Vénitien, en 1553, s'émerveille que les "Mores", ut nos utimur saccharo, item spargunt nivem super cibos et sua edilia, "répandent de la neige sur leurs mets et leurs nourritures comme nous y mettons du sucre".

(Braudel, La Méditerranée).

Les commentaires sont fermés.