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Refermés - Page 39

  • Carnaval

    Pour les fêtes du Carnaval, les habitants de la contrée ont décidé de donner une représentation de Guillaume Tell. Quelques-uns feront les comédiens, les autres les figurants ou les spectateurs. La pièce durera tout le jour et se transportera, entrecoupée d'allées et venues, de pauses et de réjouissances, dans les différents lieux qui servent de décor. Le jeune Henri le Vert, en sa qualité d'artiste peintre, est sollicité pour les costumes (armes anciennes et robe d'amazone). Il en profite pour régler la distribution de deux rôles oubliés, quasi muets ; lui-même et sa bien-aimée, inavouée encore, seront deux amants. Mais personne ne le saura, pas même elle, car l'histoire d'amour manque dans la version abrégée de la pièce de Schiller qui est jouée ce jour-là.

    Les acteurs s'identifient à leur personnage. Les scènes réelles se mélangent aux scènes écrites. Alors qu'un péager obtus veut faire payer la taxe pour le passage des figurants, l'aubergiste qui joue Guillaume survient, s'interpose et lève la barrière au milieu des acclamations.

    Cependant, l'après-midi, le souffleur (c'est l'instituteur qui a pris cet emploi-là) rejoint les deux jeunes gens et donne à lire à Anna les parties manquantes de son rôle et qu'elle ne connaît pas

  • Mémoire

    Longtemps quand j'écoutais une certaine musique de Bach (soyons, une fois, précis : l'Invention n°2 en ut mineur BWV 773 jouée au piano par un fameux interprète canadien), je croyais entendre quelques vers de Milosz (à la façon d'un nom que l'on met sur un visage, ou du titre d'une chanson qu'on retrouve bien après en avoir reconnu l'air) .

    Le début de la Symphonie de septembre,

    Soyez la bienvenue, vous qui venez à ma rencontre
    Dans l'écho de mes propres pas, du fond du corridor obscur et froid du temps.
    Soyez la bienvenue, solitude (...)

    ou bien deux vers de H :

    (...) l'oiseau de cristal qui dit mlî d'une gorge douce
    Dans le vieux jasmin somnambule de l'enfance.

    (J'ai la mauvaise habitude d'écouter de la musique en lisant. Quelquefois la mémoire conserve arbitrairement la coïncidence d'un soir entre une lecture et la musique).

  • Aucune eau... aucun nuage...

    Il me fallut en effet attendre à plus tard pour découvrir nettement que la jouissance oisive et solitaire de la puissante nature amollit et consume l'âme sans la rassasier, tandis que nous trouvons dans sa force et dans sa beauté un appui et un aliment, si notre propre personne, rien que par les dehors, représente une valeur et une signification en face d'elle. Même alors, il arrive souvent qu'elle nous domine encore trop par son immobilité. Là où aucune eau ne bruit, où aucun nuage ne bouge, on fait volontiers du feu pour l'exciter au mouvement et la voir un tant soit peu respirer.

    (Keller - Henri le Vert, trad. La Flize)

  • La montagne dans la ville

    Je commence tout juste Henri le Vert, de Keller (trad. G. La Flize) : je ne suis qu'aux premières pages du massif, à l'enfance du héros, à l'âge où les noms encore mal assurés explorent à tâtons le monde.

    L'enfant regarde la cité du haut de sa maison :

    J'aimais à appeler la montagne un long et haut toit d'église qui se dressait majestueusement au-dessus de tous les pignons. Sa grande surface, tournée vers l'ouest, était pour mes yeux un immense champ où ils se reposaient avec un plaisir sans cesse renouvelé, quand les derniers rayons du soleil l'éclairaient, et cette plaine inclinée, rougeoyant au-dessus de la ville sombre, était bien exactement pour moi ce que l'imagination entend d'ordinaire par les prairies et les campagnes bienheureuses.

  • Un morceau de sucre trempé d'encre

    A intervalles réguliers (...), la touffe de plumeaux brûlés surmonte un amas de masures noirâtres faites de boue et de paille hachée, aux parois vacillantes, aux petites coupoles de guingois, incroyablement sales, titubantes, sinistres, ensevelies dans une poussière de hauts fourneaux, ne tenant debout que par habitude et prêtes à se dissoudre à la première ondée, comme un morceau de sucre trempé d'encre. Quelques ânes à l'ombre percée d'un tamaris, quelques femmes en deuil éternel, accroupies le long de cases qui ont l'air de jouer à se renverser, quelques enfants nus, en chocolat, couchés dans de la poudre couleur de marc de café ou de mâchefer ; et, sur tout cela, un grand ciel sec, éblouissant, où ne passe jamais un nuage.

    (Maeterlinck, le Royaume des morts)

    [Ne dirait-on pas au lieu d'un paysage la description d'une photo ancienne ? sépias sans épaisseur, mouillés de pétrole, sous un ciel comme le verre mat d'une ampoule électrique.]

  • "La malinconica distesa"

    A S e a E la malinconica distesa delle colline cretacee che cominciano di qui.

    Du projet qui devait transformer l'édifice actuel en transept d'une cathédrale agrandie, il ne reste que le bas-côté droit et le gros du mur de façade. Les constructions ferment à l'est et au sud ce coin de la place du Duomo qu'auraient pu couvrir, au lieu du ciel, les voûtes de la nouvelle nef. (Vu d'en-haut, le plan inachevé donne ainsi une belle image de la réunion des vides et des pleins qui régit la ville édifiée autour de ses places et de ses rues selon un dessein ancien ; comme deux corps qui ont longtemps cherché le sommeil côte à côte,  intérieur et extérieur patiemment et intimement s'accordent.)

    On peut monter au sommet du bâtiment tronqué et voir la cité resserrée devant sa campagne vide. Au nord et à l'ouest, un paysage encore verdoyant ; au sud et à l'est des terres plus arides (je ne sais pas si c'est le pays décrit dans la phrase citée par Yves Bonnefoy). Les parcelles ocres et bombées s'assemblent en collines rapiécées qui vers l'horizon rappellent les champs lointains du paysage peint par Van Eyck dans la Vierge au Chancelier Rollin.

  • Arthur's seat

    Dans le chapitre 17 des Indes noires, « Un lever de soleil », la jeune Nell quitte pour la première fois les profondeurs des houillères d'Aberfoyle, où sa vie s'est déroulée jusqu'ici dans une obscurité presque totale ; ses amis ont choisi le soir pour commencer ce voyage afin que la jeune fille ne passât que par une gradation insensible des ténèbres de la nuit aux clartés du jour. Les voyageurs traversent un pays qui apparaît à Nell immense et obscur :

    - Quelles sont ces grandes fumées qui courent au-dessus de notre tête ? (...)

    - Et quels sont ces points scintillants qui brillent à travers les déchirures des nuées ? (...)

    Nell regardait la silhouette des grands arbres que le vent agitait dans l'ombre. Elle les eût volontiers pris pour quelques géants qui gesticulaient. Le bruissement de la brise dans les hautes branches, le profond silence pendant les accalmies, cette ligne d'horizon qui s'accusait plus nettement lorsque la route coupait une plaine, tout l'imprégnait de sentiments nouveaux (...)

    La lune monte dans le ciel. Les voyageurs embarquent et naviguent sur la Forth. Ils abordent près d'Edimbourg. Ils vont rejoindre avant l'aube le sommet du parc qui s'étend à l'est de la ville :

    L'Arthur-Seat n'est, à vrai dire, qu'une colline haute de sept cent cinquante pieds, dont la tête isolée domine les hauteurs environnantes. En moins d'une demi-heure, par un sentier tournant qui en rendait l'ascension facile, James Starr et ses compagnons atteignirent le crâne de ce lion auquel ressemble l'Arthur-Seat, lorsqu'on l'observe du côté de l'ouest. (...)

    « Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder à paraître, et, pour la première fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur. »

    Et :

    Le jour se faisait au point d'intersection que l'arc diurne allait fixer sur la circonférence de la mer.

    (Je pense fugitivement au mythe d'Orion tel que l'a peint Poussin, au géant aveuglé en route vers l'orient pour toucher au point où le soleil levant lui rendra la vue.)

    Enfin...

    Enfin un premier rayon atteignit l’œil de la jeune fille. C'était ce rayon vert, qui, soir ou matin, se dégage de la mer, lorsque l'horizon est pur.

    (Ce rayon vert, c'est le prétexte de l'autre roman écossais de Jules Verne. Dans celui-là, on change de bord, un coucher de soleil remplace un lever. Car, comme l'expliquait la volubile patronne d'une Caledonian Guesthouse à des hôtes perdus sur la route, les guidant au téléphone à travers les plis de leur carte routière : "(vous êtes à gauche, nous sommes à droite) ; l'Ecosse a deux côtés, un côté gauche et un côté droit").