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Refermés - Page 38

  • one slow melancholy wind

    Oliver Twist, de Dickens.

    Le bandit Sikes tue sa bonne amie Nancy parce qu'elle a commis le plus grand des forfaits qui se conçoive dans le monde du crime : elle a parlé. Le meurtre est particulièrement horrible et particulièrement injuste puisque la jeune fille, en trahissant, a tout fait pour protéger son compagnon et a sacrifié l'espoir d'une fuite et d'une vie nouvelle pour rester auprès de lui.

    Après le meurtre, au lever du jour, Sikes quitte la grande ville, erre toute la journée dans les environs, allant, revenant sur ses pas, fuyant, s'arrêtant, sans oser entrer dans une taverne avant le soir.

    Alors que,  réfugié dans un coin de la salle, il peut enfin manger et boire,  un marchand ambulant vient à entrer et commence son boniment : il a ici un produit très efficace et pas bien cher pour venir à bout de toutes les taches imaginables ; il se propose d'en faire la démonstration à qui voudra ; ce monsieur-là (Sikes) a d'ailleurs sur son chapeau une marque sombre

    ....no wider than a shilling, but thicker than a half crown. Wether it is a wine-stain, fruit-stain, beer-stain, paint-stain, pitch-stain, mud-stain, or blood-stain ---

    Sikes n'en écoute pas plus long et prend la fuite (tel Wozzeck dans la scène à l'auberge quand tous se mettent à crier : Blut ! ).

     

    Personne ne cherche à suivre Silkes dans la nuit. Cependant, depuis le matin, le fantôme de la morte le hante :

    He could trace its shadow in the gloom, supply the smallest item of the outline, and note how stiff and solemn it seemed to stalk along. He could hear its garments rustling in the leaves, and every breath of wind came laden with that low cry. If he stopped it did the same. If he ran, it followed- not running too: that would have been a relief: but like a corpse endowed with the mere machinery of life, and borne on one slow melancholy wind that never rose or fell.

    Le lendemain, alors qu'il a entrepris de revenir à Londres, ce n'est plus le fantôme qui l'effraie mais son propre chien ; la bête ne l'a pas quitté dans sa fuite, elle a été là tout le temps auprès de lui, sur ses pas (comme le fantôme) ; elle peut le faire reconnaître. Silkes décide donc de noyer son chien.

  • Boys is wery lazy

    'Young boys have been smothered in chimneys before now', said a gentleman.

    'That's acause they damped the straw afore they lit in the chimbley to make 'em come down agin,' said Gamfield; that's all smoke, and no blaze; vereas smoke ain't o' no use at all in making a boy come down, for it only sinds him to sleep, and that's wot he likes. Boys is wery obstinit, and wery lazy, gen'lmen, and there's nothink like a good hot blaze to make 'em come down vith a run. It's humane too, gen'lmen, acause, even if they've stuck in the chimbley, roasting their feet makes 'em struggle to hextricate theirselves'

    (Dans le catalogue des carrières permises aux orphelins confiés à la charité publique, au début d'Oliver Twist, celle d'apprenti ramoneur n'est pas la moins réjouissante.)

  • Attente

    Le jour où Henri entreprend de vivre de son art et essaie en vain de vendre ses tableaux, il comprend son échec. Ses ressources s'épuisent malgré les envois maternels. Il se résout à des besognes d'ouvrier. Cependant il apprend par un compatriote quelle vie économe et laborieuse sa mère mène là-bas au pays.

    Elle reste assise tout le jour à sa fenêtre et file. Elle file tous les ans que Dieu fait, comme si elle avait sept filles à doter, afin d'amasser quelque chose en attendant, comme elle dit, et afin que son fils trouve au moins assez de toile pour toute sa vie et pour toute sa maison. (...)

    Parfois, elle appuie, pour se reposer, la tête sur sa main et elle fixe les yeux au loin sur la campagne, par-dessus les toits ou vers les nuages. Mais au crépuscule, elle arrête son rouet et demeure ainsi, assise dans l'obscurité, sans allumer de lumière, et quand la lune ou un rayon de lumière étranger tombe sur sa fenêtre, on peut être sûr de l'y voir immobile, les regards perdus dans l'espace, toujours de la même façon.

    C'est un autre spectacle vraiment mélancolique, quand elle expose ses lits au soleil. Au lieu de les transporter, avec l'aide des voisins, sur notre place où est la grande fontaine, elle les traîne sur le haut toit noir de votre maison, elle les étend sur le versant ensoleillé, va et vient vivement sur la pente du toit, sans souliers, il est vrai, mais en s'avançant jusqu'au bord ; elle bat coussins et traversins, les retourne, les secoue et se démène si seule, là-haut sous le grand ciel, que cela paraît tout à fait téméraire et singulier, surtout quand elle s'arrête, et la main sur les yeux, debout en plein soleil, regarde au loin.

    Sa mère se présente à lui plus tard dans un rêve compliqué de retour au pays, où la maison de son enfance lui apparaît bizarrement en partie retournée comme un gant.

    (...) En levant les yeux vers la maison, je remarquai pour la première fois son aspect étrange. Semblable à un ancien et noble ouvrage d'ébénisterie et de lambrissage, elle était bâtie toute entière en bois de noyer sombre, avec d'innombrables corniches, caissons, panneaux et galeries, le tout du travail le plus fin et poli comme un miroir. C'était, à proprement parler, l'intérieur d'une maison tourné vers le dehors. Sur les corniches et les galeries s'alignaient des pots et des gobelets antiques en argent, des vases de porcelaine et de figurines de marbre. Les vitres de cristal étincelaient d'un mystérieux éclat sur un fond sombre, entre des portes de chambre ou d'armoires en bois veiné où s'enfonçaient des clés d'acier brillant. Par dessus cette singulière façade, la voûte bleu sombre du ciel ; un soleil à demi-voilé de nuit se jouant sur la splendeur profonde du bois de noyer, sur les pots en argent et les vitres.

    Je vis en outre que des escaliers richement sculptés conduisaient aux galeries supérieures et j'y montai, cherchant un accès. (...) Je m'avançai contre une des fenêtres et portai la main à ma tempe, pour chasser le reflet de la vitre de cristal. Alors mon regard plongea, non dans une chambre, mais dans un charmant jardin plein de soleil et je crus y voir ma mère, rayonnante de jeunesse et de beauté, se promener parmi les  fleurs, revêtue d'habits de soie. Je voulus ouvrir la fenêtre et l'appeler, mais je ne découvris ni crémone ni bouton, car c'est à l'extérieur de la maison que j'étais, bien que j'eusse vue sur un jardin, comme de l'intérieur. Je me trouvai finalement debout contre une paroi richement lambrissée, sur une corniche qui offrait à peine à mes pieds un espace suffisant (...).

    (Keller - Henri le Vert, trad. La Flize)

  • Consolation

    C'est la fête d'un autre Carnaval. Jusqu'alors, Lys a poursuivi la belle Agnès mais aujourd'hui il l'abandonne. La jeune fille délaissée erre dans la fête, confiée aux bons soins d'Henri.

    Au cours de ces visites, nous entendîmes un chant harmonieux à quatre voix et nous allâmes à la découverte. Au bout d'un corridor faiblement éclairé, il y avait un cabinet formant saillie, dont on avait fait une petite orangerie, à cause de la disposition des fenêtres. Il était occupé par une douzaine d'arbustes, orangers, grenadiers et myrtes (...)

    Les musiciens les invitent à se joindre à eux et chantent une série de lieder et un motet.

    Quand le motet s'acheva sur un Alleluia et un Amen pleins d'envolée, un silence subit se fit parmi nous ; alors nous entendîmes, venant des autres pièces comme d'une région lointaine, une rumeur de voix bourdonnantes, de chants confus, mêlés à une musique de danse, tout un amalgame de sons assourdis et continus qui d'ailleurs roulaient jusqu'à nos oreilles, à chacune de nos pauses. Mais le contraste donna à cet instant je ne sais quel caractère solennel : c'était comme si nous entendions frémir le bruit du monde, tandis que nous nous livrions à nos méditations, dans l'intimité de notre bocage de myrtes et d'orangers.

    (Mais la musique ne suffit pas pour consoler la belle, qui, vidant sa coupe, boit verre sur verre de mousseux ; le vin coulait dans sa gorge comme un serpent subtil, sans qu'elle s'en aperçût, (bien qu'on aurait pu voir) sur son cou blanc, comment il savait s'insinuer.)

    (Keller - Henri le Vert, trad. La Flize)

  • Clytemnestre blanchisseuse

    Au Prado.

    La Famille royale des Bourbons d'Espagne (...) Soies, gazes, broderies, diamants, toute l'assemblée est saupoudrée de feu et de sel, tout pétille, tout bourdonne comme une guitare heurtée de l'ongle et du pouce sous le pinceau du magicien que l'on devine là-bas dans l'ombre, reculé derrière son châssis. Mais le personnage principal au centre de la composition qui s'ordonne tout autour d'elle, celle que le souverain, tourné vers elle de trois quarts, présente au public et, débonnaire et cocu, illumine comme un phare du rayonnement de sa bedaine royale (aussi convaincu et à l'aise dans sa livrée fulgurante que s'il était son propre domestique), c'est la reine Marie-Louise. Elle tient à la fois de Clytemnestre et de je ne sais quelle blanchisseuse au visage ravagé par l'âge, les passions et les intempéries. Au fond on voit qu'elle a peur, mais qu'elle essaie de toute l'énergie de ses pauvres moyens de faire face à une situation qui la dépasse. Que ces deux enfants, une fille et un fils, qu'elle tient, sans doute pour se donner contenance, par la main, ne nous donnent point le change ! Ils ne suffisent pas à obstruer la brèche qui s'est faite dans le principe héréditaire.

    (Claudel - La peinture espagnole, in l'oeil écoute)

  • Musiciens de verre

    Anna meurt. Henri est partagé entre le chagrin et la calme satisfaction de prendre part à ce deuil si beau. Sur l'autre rive, il aide le menuisier à bâtir le cercueil.

    A la hauteur de la tête, le menuisier avait, selon la coutume, pratiqué une ouverture munie d'une glissière, de sorte qu'on pouvait apercevoir le visage, jusqu'à ce que le cercueil fût mis en terre. Il ne s'agissait plus que d'y insérer une vitre ; or, on l'avait oubliée et j'allai à la maison en chercher une. Je savais qu'il y avait sur l'amoire un petit cadre ancien dont la gravure avait depuis longtemps disparu. Je pris le verre oublié, le plaçai avec précaution dans le canot et m'en revins. (...) Comme (la vitre) était pleine de poussière et noircie, je la plongeai dans l'eau claire et je la nettoyai avec soin, sans la briser contre les pierres. Puis je la levai en l'air pour en faire couler l'eau pure ; alors tandis que je tenais devant le soleil le verre lumineux, je découvris la plus délicieuse merveille que j'eusse jamais vue. C'étaient trois petis anges musiciens ; celui du milieu tenait une feuille de musique et chantait, les deux autres jouaient de la viole et tous levaient les yeux avec allégresse et dévotion. Cette apparition était si aérienne et si délicatement transparente que je ne savais si elle flottait sur les rayons du soleil, dans le verre ou seulement dans mon imagination.

    (Keller - Henri le Vert, trad. La Flize)

  • Judith ou le fantôme

    La soirée se prolonge. Henri le Vert se retrouve seul à boire avec les quatre ivrognes en présence de Judith. Enfin la belle demande à son cousin de la raccompagner. A la sortie de l'auberge elle l'entraîne dans un raccourci : ils laissent loin derrière les ivrognes qui ont commencé à la poursuivre.

    Dans la nuit noire, sur la grand route, le jeune homme suit sa compagne, effrayé et fasciné, si bien que restant quelques pas en arrière, il ne peut s'empêcher de loucher vers elle tel un voyageur qui voit avec angoisse, dans la campagne, un spectre marcher à son côté.

    Un peu plus tard la belle se déguise effectivement en fantôme.

    Judith a fait entrer Henri chez elle ; ils se sont installés dans sa chambre. Ils sont assis côte à côte devant une table quand, au bruit des ivrognes qui approchent, Judith éteint précipitamment la lumière.

    Nous nous gardâmes bien de bouger. De lourdes gouttes de pluie fouettaient les vitres, accompagnées d'éclairs (...) (Nos hommes) se mirent à tempêter et l'un deux grimpa le long de l'espalier jusqu'à la fenêtre, pour regarder dans la chambre obscure. (...) Tout à coup un éclair illumina la pièce et l'homme aux aguets put reconnaître Judith à son vêtement blanc.
    - La satanée sorcière est assise à sa table (...)
    - Laisse-moi un peu voir !

    Mais tandis qu'ils se relayaient et que la chambre était redevenue obscure, Judith glissa d'un trait jusqu'à son lit, prit la courtepointe blanche et la jeta sur la chaise (...) Un deuxième éclair, encore plus fort, inonda la chambre de lumière (...) :
    - Ce n'est pas elle ! ce n'est qu'une toile blanche.

    (Keller - Henri le Vert, trad. La Flize)