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Refermés - Page 36

  • annihile

    (Dans l'anthologie de la poésie française du siècle dernier rassemblée par Philippe Jaccottet, Une constellation, tout près, ce poème de Jean Tortel :)

    Le verger translucide
    Annihile l'azur

    Les cerisiers en fleur c'est la chose sans ombre
    Tout est passage
    L'azur pénètre au coeur du beau verger
    Devient blancheur.

    (Le rare annihile que j'ai l'impression de lire pour la première fois dans un poème me fait penser à cet autre verbe, inédit, qui vient à la fin du Miroir d'Yves Bonnefoy, in Début et fin de la neige :)

    Hier encore
    Les nuages passaient
    Au fond noir de la chambre.
    Mais à présent le miroir est vide.

    Neiger
    Se désenchevêtre du ciel.

  • My dearest James / My Charley !

    Un dernier détail, infime, de David Copperfield.

    Au chapitre 20, Steeforth amène pour la première fois son ami David dans la maison familiale.

    An ederly lady, though not very far advanced in years, with a proud carriage and a handsome face, was in the doorway as we alighted; and greeting Steerforth as 'My dearest James,' folded him in her arms.

    Quelle est cette belle dame, d'un certain âge, qui embrasse Steerforth en l'appelant par son prénom ? Sa mère, bien évidemment. Pourquoi, en racontant, ne pas lui donner d'emblée cette qualité et feindre, pour quelques phrases, de ne pas l'avoir devinée ?

    La raison en est peut-être à chercher dans un autre épisode du roman, bien des années et bien des pages (au chapitre 7) auparavant. David est envoyé en pension. Il voyage seul. Un des maîtres, Mr Mell, est venu le chercher à l'arrivée de la voiture et l'emmène jusqu'à l'école. Mais la route est longue, le petit garçon a faim et demande à manger. Mr Mell le conduit dans une maison où il fera cuire un œuf et du lard. David comprend qu'il s'agit d'un hospice, où sont recueillies les vieilles personnes sans ressources :

    (...) we went into the little house of one of these poor old women, who was blowing a fire to make a little saucepan boil. On seeing the master enter, the old woman stopped with the bellows on her knee, and said something that I thought sounded like 'My Charley!' but on seeing me come in too, she got up, and rubbing her hands made a confused sort of half curtsey.

    Pour ne pas compromettre son fils, qui l'a confiée à la charité publique, la vieille femme se tait et dissimule son identité. Mais David n'est pas dupe, il a surpris le secret ; quelques semaines plus tard, il le révèle à son grand ami Steerforth ; et Steerforth l'utilise pour obtenir le renvoi de Mr Mell. C'est peut-être le remords de cette faute ancienne qui, dans le récit de David, trouble les embrassades de Steerforth et de sa mère (ou, du moins, ma lecture).

  • bribes

    Quelques souvenirs de David Copperfield :

    - Miss Betsey faisant irruption le soir de la naissance de David, refusant l'idée que l'enfant puisse ne pas être une fille et disparaissant sans retour devant l'évidence du contraire ;

    - le mouchoir de David qu'on a mis à sécher sur le dos d'un cheval (et combien alors il paraissait petit) ; et, beaucoup plus tard, semblablement petite, la main de Dora flattant l'encolure du cheval que monte David ;

    - les enfants de la pension réunis dans le dortoir, la nuit, autour de David, leur camarade, pour qu'il leur redise un des romans qu'il a lus autrefois (et la brutalité de Steerforth, ordonnateur de ces jeux, qui prive sa victime de sommeil) ;

    - le hasard qui fait passer David, dans sa fuite, sous les murs de la pension où il a vécu une époque révolue de son enfance (l'impression que le temps est irréversible comme ce mur qu'il ne franchit pas) - il y a une scène semblable dans Oliver Twist ;

    - les soucis qui hantent Mr Dick depuis qu'ils s'échappèrent de la tête tranchée de Charles Ier (et le soulagement trouvé dans la confection de cerfs-volants) ;

    - les allusions de Mr Micawber aux "épreuves affrontées en commun" avec David dans un temps où celui-ci n'était encore qu'un enfant ;

    - les stratagèmes de Mrs Crupp pour faire fuir ses locataires et sa défaite finale ;

    - le journal de Julia Mills et les notations qu'on y trouve (les larmes sont-elles la rosée du coeur ?) ;

    - l'inquiétude de Rosa Dartle, sa figure qui passe d'une fenêtre à l'autre de la maison, comme une lumière qu'on promène,  alors qu'elle observe dehors les entretiens amicaux de David et de Steerforth ;

    Etc.

  • Rétrospectif

    Un des plaisirs de la lecture de David Copperfield est la connivence qui s'installe quelquefois, par dessus la tête du héros, entre le lecteur et le narrateur. Nous sommes censés lire le récit que David fait de sa vie après coup, c'est à dire avec la pleine connaissance du dénouement. Or, dans sa carrière, le jeune homme a souvent été victime de son aveuglement (Blind ! Blind ! Blind ! dit de lui Miss Betsey) ; les événements  et l'expérience l'ont amené à changer d'avis à propos de quelques-uns des principaux personnages qui ont croisé sa route (Steerforth, Dora, Agnes). Cependant le narrateur fait preuve de retenue : peu ou pas d'avertissements pour préparer aux coups de théâtre ou aux désillusions ultérieures ; au lieu de cela, un ton qui nous laisse pressentir les évolutions. C'est la candeur nostalgique des scènes où naît l'amitié entre David et Steerforth (l'ami le trahira) ; c'est l'ironie rétrospective du récit de la cour que David fait à sa future femme (le mariage ne sera pas une réussite).

  • Mrs Crupp

    Mrs Crupp, la logeuse de David Copperfield, est atteinte d'un mal chronique :

    At about this time, I made three discoveries: first, that Mrs Crupp was a martyr to a curious disorder called "the spazzums," which was generally accompanied with inflammation of the nose, and required to be constantly treated with peppermint; secondly, that something peculiar in the temperature of my pantry, made the brandy bottles burst; thirdly, that I was alone in the world, and much given to record that circumstance in fragments of English versification.

    De même que la maladie de Mrs Crupp a deux noms, il y a deux médicaments pour la traiter, le premier d'une complexité incroyable, le second tout simple :

    She came up to me one evening (...) to ask (...) if I could oblige her with a little tincture of cardanums mixed with rhubarb, and flavoured with seven drops of the essence of cloves, which was the best remedy for her complaint;--or, if I had not such a thing by me, with a little brandy, which was the next best.

  • L'aube fausse

    David Copperfield, puni, reste consigné cinq jours de rang dans la solitude de sa chambre :

    The length of those five days I can convey no idea of to any one. They occupy the place of years in my remembrance. The way in which I listened to all the incidents of the house that made themselves audible to me; the ringing of bells, the opening and shutting of doors, the murmuring of voices, the footsteps on the stairs; to any laughing, whistling, or singing, outside, which seemed more dismal than anything else to me in my solitude and disgrace--the uncertain pace of the hours, especially at night, when I would wake thinking it was morning, and find that the family were not yet gone to bed, and that all the length of night had yet to come (...) all this appears to have gone round and round for years instead of days (...).

    L'enfant se réveille en pleine nuit ; des signes trompeurs lui font croire que le matin est arrivé ; quand il comprend son erreur, et combien le jour est loin encore, le temps, une éternité de malheur, semble l'écraser. Il y a une minute semblable au début d' A la recherche du temps perdu :

    C'est l'instant où le malade, qui a été obligé de partir en voyage et a dû coucher dans un hôtel inconnu, réveillé par une crise, se réjouit en apercevant sous la porte une raie de jour. Quel bonheur, c'est déjà le matin ! Dans un moment les domestiques seront levés, il pourra sonner, on viendra lui porter secours. L'espérance d'être soulagé lui donne du courage pour souffrir. Justement il a cru entendre des pas ; les pas se rapprochent, puis s'éloignent. Et la raie de jour qui était sous la porte a disparu. C'est minuit ; on vient d'éteindre le gaz ; le dernier domestique est parti et il faudra rester toute la nuit à souffrir sans remède.

    (Aube fausse dont je garde le souvenir, je ne sais pourquoi, et qui m'arrête encore quand je la retrouve réalisée, transportée comme en un mythe, dans les cieux :

    Ils regardaient l'horizon, le ras du ciel, ils se taisaient, ils ne pouvaient plus détacher leur pensée de ce point où la route perçait la masse noire, indécise.
    Et voici qu'une rougeur y parut, soudain, un peu à gauche de l'en-avant de la route, là où tout de même, depuis un moment déjà, le sol se gonflait, à n'en pas douter, se hérissait de bosses et, qui sait, de creux, avec peut-être de l'eau. La rougeur s'acrut, elle élargit sa prise sur l'horizon, des taches de clarté intense, comme d'un feu, s'y firent jour, et le ciel autour d'eux en était déjà presque rose -- eux, ils purent se regarder les uns et les autres, dans la voiture, il y avait de ce rose sur leur visage.
    Mais la crête enflammée du soleil tardait à paraître. Et au bout de longues minutes la rougeur, qui n'augmentait plus, commença à plutôt décroître puis le fit avec évidence, la flamme qui y bougeait redevenant cendre pourpre, qui s'éteignit. La clarté disparut au ras de ces collines enchevêtrées entre le ciel et le monde. Et ce fut à nouveau la grande nuit d'avant, sans étoiles.

    Yves Bonnefoy - Jeter des pierres, in Les Planches courbes)

  • Voix

    Le Cul de Judas de Lobo Antunes est un monologue. Dans un bar de Lisbonne, un homme raconte à une inconnue sa vie de médecin militaire pendant la guerre en Angola. Sa voix rappelle celle de Marlow dans Coeur des Ténèbres de Conrad. ( Et je me souviens de cette image qu'on y trouve : la description d'un bateau de guerre français en train de canonner la côte déserte de l'Afrique...

    Once, I remember, we came upon a man-of-war anchored off the coast. There wasn't even a shed there, and she was shelling the bush. It appears the French had one of their wars going on thereabouts. Its ensign drooped limp like a rag; the muzzles of the long six-inch guns stuck out all over the low hull; the greasy, slimy swell swung her up lazily and let her down, swaying her thin masts. In the empty immensity of earth, sky, and water, there she was, firing into a continent. Pop, would go one the six-inch guns; a small flame would dart and vanish, a little smoke would disappear, a tiny projectile would give a feeble screech-- and nothing happened. )