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Refermés - Page 37

  • Une tête sur un frigo

    (...) des bustes de Saint Vincent de Paul (...) qui allaient décorer le haut des réfrigérateurs sur des ovales de crochet si bien qu'on aurait dit que le ronronnement des appareils naissait de leurs oesophages de terre cuite affligés par des indigestions de burette.

    (Le Cul de Judas de Lobo Antunes (trad. P Léglise-Costa)).

  • Fin

    Fini le Chagrin des Belges.

    Une dernière citation :

    Mèreke tricote. Le soir, le soir avec les cris de joie des enfants du village au loin, le train à vapeur gronde en passant, fumée et vapeur dans le jardin, les poiriers et les cerisiers en sont déracinés et flottent dans l'air, les étincelles de charbon du train sont rouges comme des griottes, Mèreke tousse, ma tante ronge avec bruit un pied de porc.

    (Hugo Claus - trad. A van Crugten)

  • Pets-de-nonne

    Les alliés bombardent la gare de Walle. L'Institut est touché. Seynave Père recueille Soeur Saint-Gérolphe, qui n'a plus toute sa tête. Une nuit, après avoir longtemps jeûné, elle mange en cachette le hachis de porc apporté par l'Oncle Robert. On la retrouve morte au matin.

    Le cortège funéraire traverse la ville indifférente. Aucun duc ne cria , comme à l'enterrement de Louis XIV : "Coassez, grenouilles, le soleil s'est éteint !" (...)

    "Comme ça dans le trou, sans un chat, dit Bomaman, et elle fouilla dans son réticule à fermoir d'argent représentant deux serpents enlacés. Elle fourra un billet de vingt francs dans la main de Louis. -- Va chez la boulangère et achète pour vingt francs de pets-de-nonne. C'est la seule chose qu'on peut faire pour sa mémoire."

    Tous mangèrent en silence la pâtisserie légère et mousseuse qui fondait sur la langue. Louis lécha les dernières miettes dans le sachet en papier, la cendre blanche comme lait lui vola dans les narines. "Tout de même, on sent que c'est fait avec du blanc d'oeuf de poules nourries avec des déchets de poisson, dit Papa."

    (Hugo Claus - Le Chagrin des Belges, trad. A van Crugten)

  • Héraldique

    La guerre commence. La Belgique est menacée. On débusque la Cinquième Colonne flamande. Un ami de papa est venu le voir pour lui conseiller de fuir :

    - Fiche le camp (...) Hier ils ont arraché sa soutane à un curé pour voir s'il ne portait pas un uniforme allemand dessous. Tu es sur la liste, Staf. Comme tous ceux qui ont souscrit à l'Histoire des Flandres en quatre tomes.
    - Mais où doit-il aller ? s'exclama Maman.
    - En France, si c'est encore possible.
    - Dans la gueule du lion, dit Papa effrayé.
    - Dans le bec du coq, corrigea Louis. Les Français sont des coqs, le lion, c'est pour la Flandre et l'Angleterre.
    Papa jeta un regard ébahi à son pédant de fils.

    (Hugo Claus - Le Chagrin des Belges, trad. A van Crugten)

  • Au cinéma

    En Belgique, juste avant la dernière guerre, des garçons enfermés dans un pensionnat tenu par des religieuses. Dans leurs jeux ou plutôt dans leurs conspirations, ils arrangent comme ils peuvent les secrets et les discours des adultes : patriotisme belge et flamand, politique internationale, théologie catholique et mystères de l'enfantement. Qui pourrait venir à bout de la confusion des langages qu'on leur tient ? dans quel but ?

    Les Sœurs emmènent les enfants au cinéma pour une séance spéciale. Mais la projection est interrompue...

    Dans le hall du cinéma, Vlieghe dit que c'était dommage, ça commençait à devenir passionnant avec ce chasseur aveugle. N'avait-il pas remarqué que, comme chaque année, des fragments de différents films avaient été collés ensemble arbitrairement ? Louis n'avait jamais pu comprendre pourquoi. Probablement que les Soeurs et les élèves étaient déjà bien contents de voir quelque chose qui bougeait dans une lumière tachetée en noir et blanc (et cette fois-ci, ô surprise, en couleurs). Peut-être qu'un tout cohérent, comme à la séance normale du dimanche soir au ciné "Diana", avec des titres, de la musique, et un début, des péripéties et un dénouement -- peut-être aurait-ce pu avoir des conséquences périlleuses pour les élèves, qui devaient grandir dans la confusion et rester prisonniers de mystère, de fragments, d'énigmatiques et péniblement inintelligibles petits éclats de miroir.

    (Hugo Claus - Le Chagrin des Belges, trad. A van Crugten)

  • Une tête prophétique

    Dans les premières pages de Roméo et Juliette au village, de Keller (trad Armand Robin), deux enfants jouent dans un champ laissé à l'abandon faute d'héritiers. (Le titre de la nouvelle n'est peut-être pas le seul à prophétiser ; un jouet démoli semble alors prendre la parole :)

    Ne restait plus de solide dans la poupée que la tête ; elle ne pouvait manquer d'attirer tout particulièrement l'attention des enfants. Ils la séparèrent soigneusement du tronc vidé et regardèrent, ébahis, l'intérieur : il était creux ; ce vide méritait réflexion ! (...) (Le garçon) venait d'attraper une grande mouche bleue ; tenant l'insecte bourdonnant dans le creux entre ses deux mains, il (...) emprisonna la mouche dans la tête dont il boucha l'ouverture avec de l'herbe. Les deux enfants portèrent cette tête à leurs oreilles, puis la déposèrent à terre ; coiffée encore de la rouge fleur de pavot et maintenant toute bruissante, elle semblait une tête prophétique et devant elle les deux enfants enlacés attendaient, dans un profond silence, des légendes et des oracles. Mais tout prophète suscite l'effroi et l'ingratitude : la faible vie qui remuait dans cette figure grossière excita chez les deux enfants l'instinctive cruauté humaine : ils décidèrent d'enterrer la tête, creusèrent une petite fosse, l'y ensevelirent sans demander l'avis de la mouche captive ; au-dessus de la tombe ils érigèrent un imposant monument de cailloux.

    Que peut bien annoncer cette espèce d'oracle ? (dont le souvenir invisible court tout le long du récit.) La folie des pères des enfants qui s'affrontent et se ruinent à cause du champ ? l'entêtement de l'un, la tête fêlée de l'autre ? l'apparition d'un musicien vagabond que la rumeur désigne comme l'héritier de la terre disputée mais qui, faute de preuves, ne peut faire valoir ses droits ? Quand les deux enfants se retrouvent bien plus tard, malgré la haine que se vouent les deux familles, le violoneux les surprend dans les champs et les harangue, bourdonnant et noir, juché sur un tas de cailloux envahi de coquelicots.

  • Fagin's last night alive

    L'avant-dernier chapitre d' Oliver Twist commence ainsi :

    The court was paved, from floor to roof, with human faces. Inquisitive and eager, eyes peered from every inch of space. From the rail before the dock, away into the sharpest angle of the smallest corner in the galleries, all looks were fixed upon one man -- Fagin. Before him and behind: above, below, on the right and on the left: he seemed to stand surrounded by a firmament, all bright with gleaming eyes.

    Le tribunal rend son verdict. Fagin est condamné à mort. La muraille faite de visages et la nuit faite d'yeux cèdent la place aux murs réels de la prison, à l'obscurité de la cellule. Quelques journées sans jour passent.

    Enfin, dans le dernier paragraphe, on franchit la porte vers l'extérieur ; dehors le jour se lève : cependant la foule est rassemblée à nouveau et, si les ténèbres ne sont plus tout autour, à la périphérie, elles sont toujours là, au centre :

    Day was dawning when they again emerged. A great multitude had already assembled; the windows were filled with people, smoking and playing cards to beguile the time; the crowd were pushing, quarelling, joking. Everything told of life and animation, but one dark cluster of objects in the centre of all--the black stage, the cross-beam, the rope, and all the hideous apparatus of death.