Au Prado.
La Famille royale des Bourbons d'Espagne (...) Soies, gazes, broderies, diamants, toute l'assemblée est saupoudrée de feu et de sel, tout pétille, tout bourdonne comme une guitare heurtée de l'ongle et du pouce sous le pinceau du magicien que l'on devine là-bas dans l'ombre, reculé derrière son châssis. Mais le personnage principal au centre de la composition qui s'ordonne tout autour d'elle, celle que le souverain, tourné vers elle de trois quarts, présente au public et, débonnaire et cocu, illumine comme un phare du rayonnement de sa bedaine royale (aussi convaincu et à l'aise dans sa livrée fulgurante que s'il était son propre domestique), c'est la reine Marie-Louise. Elle tient à la fois de Clytemnestre et de je ne sais quelle blanchisseuse au visage ravagé par l'âge, les passions et les intempéries. Au fond on voit qu'elle a peur, mais qu'elle essaie de toute l'énergie de ses pauvres moyens de faire face à une situation qui la dépasse. Que ces deux enfants, une fille et un fils, qu'elle tient, sans doute pour se donner contenance, par la main, ne nous donnent point le change ! Ils ne suffisent pas à obstruer la brèche qui s'est faite dans le principe héréditaire.
(Claudel - La peinture espagnole, in l'oeil écoute)