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Refermés - Page 43

  • Chasser la nuit

    Je relis Ecuador.

    La Nature, fidèle à l'homme, écrit ailleurs Michaux : Non, il est sans exemple que l'obscurité, éclairée par un grand feu de bois, tarde à s'en aller, ne s'en aille que nonchalamment et comme à contrecœur. C'est sur des points pareils que l'esprit humain assoit sa sécurité et non sur la notion du bien ou du mal.

    Mais dans le voyage dont Ecuador est le journal, l'auteur a une fois rencontré une obscurité plus réticente ; c'est à la nuit tombée une chambre au bord d'un fleuve dans la forêt amazonienne :

    Nous entrâmes dans la pièce qui nous avait été préparée. Machinalement, avant de se déshabiller, on sortit ses lampes de poche et l'on éclaira les parois. Ceci fait, moi j'allumai une cigarette : « Ah ! Quelle horreur ! » cria André et Gustave, je crois, a dû rire ; son rire est jeune et va bien partout.
    Puis nous regardâmes la situation en face : il y avait là deux ou trois cents araignées, grosses comme des paquets de caporal, chacune sur son trou d'ombre. Ce relief se mouvait très peu.

    Après deux heures de combat à coups de machette, les bestioles qui ont réchappé au massacre sont toutes passées de l'autre côté de la paroi de bambou. Les ténèbres récalcitrantes ont été chassées. (Vous me direz, dans le second cas, cette obscurité n'est qu'une image. Mais c'est des métaphores qu'il est le plus difficile de se débarrasser).

  • Keen delight

    (Trop de temps passé à estropier de l'anglais, ce matin ; faisons une pause :)

    The Nineteenth Century and after

    Though the great song return no more
    There's keen delight in what we have:
    The rattle of pebbles on the shore
    Under the receding wave.


    (Yeats)

  • Le démon de la symétrie

    Dans le René Leys de Segalen. Symétrie selon un point (marche du cavalier sur l'échiquier des rues de Pékin) :

    - Et il précise, avec des mots cherchés, un très curieux état de transposition visuelle dont je ne connaissais pas d'autre exemple : ainsi, quand il se promène en un point précis de Pei-king, mettons dans une rue au Sud-Ouest, il a la certitude de voir, devant lui, mais comme dans un miroir aux images symétriques, le point correspondant, mais en diagonale exacte ; en ce cas : la ruelle du coin Nord-Est ; mieux : il se promène à sa guise dans ce lieu géométrique, aussi longtemps qu'il garde les yeux grand ouverts ; sans ciller. Il lui faut aussi ne pas respirer. Le détail vraiment neuf est que tous ses mouvements subissent la même transposition diagonale : il tourne à droite s'il veut aller à gauche...

    Symétrie selon un plan :

    - Il y a des puits... comme dans toute la plaine environnante... C'est le même terrain, et l'eau des Lacs ne suffirait pas... (...) - j'en ai vu, au Temple du Ciel, de remarquables : une énorme margelle de marbre monolithe, comme un tambour de jade, comme une grosse bague de pouce pour tirer de l'arc, et qu'on aurait bien posée à plat, avec ces centaines d'encoches lissées par la corde... celle du puits, - vous savez la corde qui file dans la terre jusqu'à la nappe où l'on voit un pan de ciel... Et quand on relève la tête, on perce également à travers le toit du kiosque, par un trou de même diamètre que la bague, et l'on s'attend, par réflexion inverse, à voir le puits se tourner bout pour bout et se forer dans le ciel qui refléterait l'eau du puits...

  • Progrès dans les arts

    En ce qui concerne la musique, c'est à l'audition des Meyerbeer, des Halévy, des Gounod, des Berlioz, des Wagner, des Verdi, des Massé, des Saint-Saëns, des Reyer, des Massenet, des Delibes, les célèbres compositeurs de la seconde moitié du XIXème siècle, que se sont d'abord passionnés les dilettanti du nouveau continent. Puis, peu à peu, ils sont venus à la compréhension de l'oeuvre plus pénétrante des Mozart, des Haydn, des Beethoven remontant vers les sources de cet art sublime, qui s'épanchait à pleins bords au cours du XVIIIème siècle.
    (J Verne - l'Ile à hélice).

  • Religion du signe

    (...)

    La salle vaste et haute a l'air, comme du fait d'une présence occulte, plus vide, et le silence, avec le voile de l'obscurité, l'occupe. Point d'ornements, point de statues. De chaque côté de la halle, nous distinguons, entre leurs rideaux, de grandes inscriptions, et au-devant, des autels. Mais au milieu du temple, précédé de cinq monumentales pièces de pierre, trois vases et deux chandeliers, sous un édifice d'or, baldaquin ou tabernacle, qui l'encadre de ses ouvertures successives, sur une stèle verticale sont inscrits quatre caractères.

    L'écriture a ceci de mystérieux qu'elle parle. Nul moment n'en marque la durée, ici nulle position, le commencement du signe sans âge : il n'est bouche qui le profère. Il existe, et l'assistant face à face considère le nom lisible.

    Enonciation avec profondeur dans le reculement des ors assombris du baldaquin, le signe entre les deux colonnes que revêt l'enroulement mystique du dragon, signifie son propre silence. L'immense salle rouge imite la couleur de l'obscurité, et ses piliers sont revêtus d'une laque écarlate. Seuls, au milieu du temple, devant le sacré mot, deux fûts de granit blanc semblent les témoins, et la nudité même, religieuse et abstraite, du lieu.

  • Capitale

    Je relis René Leys de Segalen :

    On ne peut disconvenir que Pei-king ne soit un chef d'œuvre de réalisation mystérieuse. Et d'abord le plan triple de ses villes n'obéit pas aux Lois des foules cadastrées ni aux besoins locataires des gens qui mangent et qui peuplent. La capitale du plus grand Empire sous le ciel a donc été voulu pour elle-même ; dessinée comme un échiquier tout au nord de la plaine jaune ; entourée d'enceintes géométriques ; tramée d'avenues, quadrillées de ruelles à angles droits et puis levée d'un seul jet monumental ... - habitée, ensuite, et enfin débordée dans ses faubourgs interlopes par ses parasites les sujets chinois. - Mais le carré principal, la ville tartare-mandchoue fait toujours un bon abri aux conquérants, - et à ce rêve : (...)

    (étrange roman dont le narrateur (qui s'appelle Segalen), tout à son rêve d'inaccessible, s'aveugle, ou feint de s'aveugler, et entraîne dans son délire le jeune et impressionnable René - cela finit mal.)

  • Emeutes

    (Le 1er Décembre 1921) Les rues se gonflèrent comme des torrents furieux et les parties les plus fragiles des façades immobiles furent enfoncées et détruites (...)

    Ainsi commence le Divertimento n°1 de Doderer (trad P Deshusses) et pour les deux protagonistes de cette nouvelle, c'est le point de départ de l'épanchement du songe dans la vie réelle.

    Il est question d'une autre journée d'émeute à Vienne (le 15 Juillet 1927) dans le grand livre de Doderer Les Démons ; mais ici comme là il s'agit de révéler la trajectoire de vies humaines soumises aux puissances redoutables de « l'intérieur » (obsessions presque inconscientes, frayeurs oubliées de l'enfance) et de « l'extérieur » (l'Histoire, la Société).