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Refermés - Page 44

  • 4/4/4

    Pas du tout obsédé de métrique, mais je me fais alors la réflexion (pour plus tard) qu'un des alexandrins que j'aime le plus est en 4-4-4 (Mallarmé, Don du Poème) :

    O la berceuse, avec ta fille et l'innocence

  • la perduta strada

    Ouf ! après pareil effort, j'ai bien le droit de citer trois vers de Dante :

    Noi andavam per lo solingo piano
    com' om che torna a la perduta strada,
    che 'nfino ad essa li pare ire in vano.

  • Le Voyageur

    Dans Instants de Grèce, de Hofmannsthal (Poésie/Gallimard - trad. JC Schneider), surtout la deuxième partie (plus que l'extase mystique de la fin face aux visages rangés en demi-cercle des Korês du Musée de l'Acropole, « je suis un dieu puisque c'est par mon regard que ces figures sont éternelles »).

    Entre Delphes et Thèbes, les voyageurs croisent un vagabond, nus pieds dans ce pays où même le plus humble chausse des semelles de bois, tête nue sous le soleil implacable. Il dit son nom : Franz Hofer, de Lauffen sur la Salzach - en route pour Trieste, rentrant chez lui. Manifestement c'est un fou. Il est malade, il va à la mort. Mais les voyageurs ne parviendront pas malgré tous leurs efforts à lui faire rebrousser chemin. Ils offrent de payer son passage sur un bateau au départ d'Athènes, pour peu qu'il les accompagne jusque là. Non : il est celui qui ne revient pas sur ses pas.

    Après avoir quitté le vagabond, le confiant à un guide, les voyageurs arrivent au point d'eau où l'homme s'était arrêté avant eux. H. s'agenouille pour boire et un sentiment s'empare de lui : sentiment de solitude, identification au vagabond en tant qu'étranger, confronté aux regards de tous ces visages étrangers. C'était là qu'il s'était agenouillé, lui aussi, quelques heures plus tôt, ce naufragé : une vie humaine qui errait, nue ; et alentour le monde entier épiait, comme un seul ennemi. Un souvenir d'enfance : d'avoir été un garçon devant qui défile la troupe, d'avoir vu la multitude des visages, chacun unique et inoubliable dans son individualité. Une question lancinante : qui suis-je ? Puis le trouble passe : je me redressai et ce geste ne fut rien d'autre que se relever après qu'on a bu à longs traits en trempant ses lèvres dans une eau courante.

    (Pour ajouter à la paraphrase : suivre l'imbrication des images. Le double comme le reflet dans un miroir - celui qu'on ne peut voir que de face. La surface de l'eau comme un miroir. Le défilement des visages comme l'écoulement de l'eau).

  • Slow man, de Coetzee

    (Aussitôt dit, aussitôt fait. Je ne suis encore qu'au milieu de ma lecture du nouveau roman de Coetzee. Il n'est pas bien épais. Demain ou après-demain, sauf imprévu, j'aurai fini. Je saurai si ça m'a plu. J'en dirai peut-être alors à nouveau quelque chose. Mais la manie du dédoublement qui possède l'auteur est contagieuse. Alors un personnage fugace prend la parole, ce lecteur que j'ai de bonnes chances de ne plus être dans quelques jours, qui n'a lu que la moitié du dernier Coetzee).

    Un homme, Paul Rayment, est victime d'un accident de la circulation. Dans les moments de semi-lucidité qui suivent, sur un lit d'hôpital, s'insinuent comme une pointe les paroles du médecin : il va falloir amputer la jambe blessée. Paul est maintenant un infirme ; il prend conscience avec désespoir de sa nouvelle condition d'homme diminué, déjà vieux, seul, sans descendance, traité de façon humiliante par la société, etc. Va-t-il reprendre goût à la vie ? Une nouvelle infirmière vient s'occuper de lui, une mère de famille croate (tiens ! comme l'héroïne du chef-d’œuvre de Roth, Sabbath's Theater). Paul commence à s'intéresser à la belle et solide Marijana et à ses enfants.

    Tel est le début du roman (qui vaut mieux que ce résumé) sérieusement mené et développé jusqu'ici sans trop de surprise. Je n'en tire aucun jugement hâtif : le début de Disgrace également était convenu ; l'histoire d'un professeur d'université qui couche avec une de ses étudiantes donnait une impression de déjà lu, avant que le livre ne prenne une toute autre ampleur. Dans ces premières pages, je retrouve l'art de Coetzee : la prédilection pour les autoportraits cruels non dépourvus de dérision, qu'il partage avec Kafka. Je songe à la Métamorphose (le héros de Disgrace faisait penser à Joséphine la cantatrice). Je suis pris par l'alliance entre l'allégorie et un réalisme chevillé au corps (et à ses misères) ; j'apprécie les allusions à l'art (la Photographie), l'interrogation sur l'histoire, les racines, ce que veut dire recommencer sa vie, ailleurs ou tardivement. Mais la question reste ouverte : où cela va-t-il nous mener ?

    Surprise ! un nouveau personnage vient alors sonner à la porte de Paul. Elizabeth Costello, herself, fameux écrivain australien, doppelgänger féminin et très fatigué de Coetzee, héroïne progressivement aphasique de son précédent roman. Il l'avait laissée (dans mon souvenir) perdue dans les limbes d'une station balnéaire d'Autriche-Hongrie, ni vivante ni morte (avatar du Chasseur Gracchus) pendue parmi les fantômes des créations de Kafka et de Hofmannsthal.

    J'en suis là : j'ai peur que le livre se perde dans la gratuité d'un jeu littéraire mais je ne désespère pas. A suivre.

  • Deux images

    Deux images du Poète et l'époque présente de Hofmannsthal (Poésie / Gallimard - trad. Albert Kohn) :

    Le maître au retour d'une très longue absence se voit imposer l'épreuve d'entrer chez lui comme un mendiant et d'habiter sa propre maison sous l'escalier, sans être reconnu. Il entend sa famille le pleurer, qui le croit mort ; dans le même temps, il est maltraité, repoussé, ignoré. Mais il possède tout cela comme jamais maître ne possède sa maison - car possède-t-il les ténèbres qui reposent la nuit sur l'escalier, l'insolence du cuisinier, la morgue de l'écuyer, les soupirs de la servante la plus basse ?

    Un homme endormi se réveille à moitié en pleine nuit. Il porte alors sur lui-même un terrible regard d'acier, un regard plein de tourments. Comment survivre à ce regard ? Cela paraît impossible, même le matin ne pourra pas l'en délivrer. Et pourtant l'homme se rendort et l'oubli le sauve ; à ce regard personne, ni aujourd'hui, ni ultérieurement ne devra de réponse.

     

  • What the thrush said

    Conférence de Hofmannsthal sur la poésie (Le Poète et l'époque présente). Il commence par annoncer qu'il ne fera pas de philosophie de l'art. Je me rappelle a contrario avoir assisté à une conférence d'Yves Bonnefoy où il était paradoxalement surtout question de « concepts ». Sauf à la fin, pendant les questions : quelqu'un lui demande « des paroles qui ne soient pas destinées à des élèves d'hypokhâgne ». Je ne me souviens ni des mots, ni du sens de sa réponse, mais c'était la première fois que s'effaçait l'impression d'un discours récité cent fois. J'ai confondu depuis ce qu'il disait avec le vers de Keats (What the thrush said) :

    O fret not after knowledge - I have none

    (« Cite en entier ou ne cite pas du tout » dit un personnage d'Hofmannsthal ; et j'obtempère avec bonheur :)

    O thou whose face hath felt the Winter's wind
    Whose eye has seen the snow-clouds hung in mist,
    And the black elm-tops 'mong the freezing stars,
    To thee the Spring will be a harvest-time.
    O thou, whose only book has been the light
    Of supreme darkness which thou feddest on
    Night after night when Phoebus was away,
    To thee the Spring shall be a triple morn.
    O fret not after knowledge - I have none,
    And yet my song comes native with the warmth.
    O fret not after knowledge - I have none,
    And yet the Evening listens. He who saddens
    At thought of idleness cannot be idle,
    And he's awake who thinks himself asleep.

  • Encore Arabella

    Il y a chez Hofmannsthal un motif qui, semble-t-il, lui tient à cœur : la défloration. Des images ou des situations s'y apparentent dans Andréas (j'en ai indiqué quelques unes ; je n'explicite pas). L'essai Les Chemins et les rencontres s'ouvre par une citation prise dans le Spicilège de Schwob : Je me souviens des paroles d'Agur, fils d'Iaké, et des choses qu'il déclare les plus incompréhensibles et les plus merveilleuses : la trace de l'oiseau dans l'air et la trace de l'homme dans la vierge.

    A ce propos un mot de Lucidor. C'est, dans un arrangement différent, les personnages et l'intrigue du livret d'Arabella. D'une œuvre à l'autre, Arabella garde le même nom et le même rôle mais le portrait est complètement changé (lumineux ici, froid et sombre là).

    Dans la nouvelle, l'héroïne est l'adolescente travestie en garçon Lucile/Lucidor (comme Zdenka/Zdenko) ; elle tombe amoureuse de Vladimir un soupirant malheureux (comme Matteo) de sa sœur aînée (toujours Arabella). La jeune fille commence par lui écrire des lettres où elle se fait passer pour sa sœur puis, à la fin d'un délire croissant de sacrifice et d'amour, accueille le jeune homme dans l'obscurité de sa chambre. Affolé par le contraste entre la froideur diurne d'Arabella et les nuits qu'il croit passer avec elle, Vladimir fait des rêves étranges, où il s'identifie à un cygne. (Zeus et Léda, autre façon d'associer étreinte et volatile.)