Dans Instants de Grèce, de Hofmannsthal (Poésie/Gallimard - trad. JC Schneider), surtout la deuxième partie (plus que l'extase mystique de la fin face aux visages rangés en demi-cercle des Korês du Musée de l'Acropole, « je suis un dieu puisque c'est par mon regard que ces figures sont éternelles »).
Entre Delphes et Thèbes, les voyageurs croisent un vagabond, nus pieds dans ce pays où même le plus humble chausse des semelles de bois, tête nue sous le soleil implacable. Il dit son nom : Franz Hofer, de Lauffen sur la Salzach - en route pour Trieste, rentrant chez lui. Manifestement c'est un fou. Il est malade, il va à la mort. Mais les voyageurs ne parviendront pas malgré tous leurs efforts à lui faire rebrousser chemin. Ils offrent de payer son passage sur un bateau au départ d'Athènes, pour peu qu'il les accompagne jusque là. Non : il est celui qui ne revient pas sur ses pas.
Après avoir quitté le vagabond, le confiant à un guide, les voyageurs arrivent au point d'eau où l'homme s'était arrêté avant eux. H. s'agenouille pour boire et un sentiment s'empare de lui : sentiment de solitude, identification au vagabond en tant qu'étranger, confronté aux regards de tous ces visages étrangers. C'était là qu'il s'était agenouillé, lui aussi, quelques heures plus tôt, ce naufragé : une vie humaine qui errait, nue ; et alentour le monde entier épiait, comme un seul ennemi. Un souvenir d'enfance : d'avoir été un garçon devant qui défile la troupe, d'avoir vu la multitude des visages, chacun unique et inoubliable dans son individualité. Une question lancinante : qui suis-je ? Puis le trouble passe : je me redressai et ce geste ne fut rien d'autre que se relever après qu'on a bu à longs traits en trempant ses lèvres dans une eau courante.
(Pour ajouter à la paraphrase : suivre l'imbrication des images. Le double comme le reflet dans un miroir - celui qu'on ne peut voir que de face. La surface de l'eau comme un miroir. Le défilement des visages comme l'écoulement de l'eau).