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Refermés - Page 26

  • Rien n'est resté

    En lisant, en écrivant de Gracq. Quelles que soient la pertinence ou la résonance des jugements et des réflexions : des lectures de toute une vie, ne reste-t-il que cela ? "Le Dix-neuvième Siècle de Chateaubriand à Proust" mais réduit au panthéon Balzac, Stendhal, Flaubert, ou plutôt : à quelques-uns seulement de leurs romans. (La littérature allemande : Goethe ; la littérature russe : les noms uniquement de Dostoïevski et de Tolstoï). La poésie égrenée selon la table des matières d'un manuel. Le seul poème discuté un peu longuement est le fort médiocre Poison perdu.

  • The road, de McCarthy

    Un père et son fils, "seuls au monde", rescapés d'une catastrophe, échappent à la faim, au froid et à des prédateurs féroces. Il y a les éléments d'une robinsonnade moderne : on survit sur une terre inhospitalière par l'astuce et par la prudence et grâce à quelques objets de récupération, le bois flotté, les rares biens et provisions soustraits au désastre ; on échappe de peu aux cannibales ;  sur le point de mourir de faim, on est sauvé encore par une cargaison miraculeuse ou bien c'est une épave sur le rivage qu'on explore...

    Mais, ici, ce n'est pas un navire, c'est le monde qui a fait naufrage. L'île déserte est notre terre calcinée, après l'apocalypse, couverte de cendres. Le soleil disparaît sous les nuées perpétuelles. La nuit est absolument noire. Les villes ont presque toutes brûlé. Le réseau des routes est demeuré intact mais hanté par des maraudeurs qui se nourrissent de chair humaine (contrairement à toute la faune et à toute la flore, l'humanité est très longue à mourir). Il s'agit d'un temps qui "donne raison à tous les prophètes".

    Mais il manque au roman ce qui fait la force du Robinson Crusoe: quoi qu'il en ait, Robinson habite son île et s'en arrange ; ici les deux personnages paraissent trop souvent les hôtes passagers d'une vision ou d'un cauchemar (le petit garçon toujours terrifié et le père enclin à mourir pour terminer le mauvais rêve).

  • Théâtre à machines (Marly)

    À la fin, le roi, lassé du beau et de la foule, se persuada qu'il voulait quelquefois du petit et de la solitude. Il chercha autour de Versailles de quoi satisfaire ce nouveau goût. Il visita plusieurs endroits, il parcourut les coteaux qui découvrent Saint-Germain et cette vaste plaine qui est au bas, où la Seine serpente et arrose tant de gros lieux et de richesses en quittant Paris. On le pressa de s'arrêter à Lucienne, où Cavoye eut depuis une maison dont la vue est enchantée, mais il répondit que cette heureuse situation le ruinerait, et que, comme il voulait un rien, il voulait aussi une situation qui ne lui permit pas de songer à y rien faire.

    Il trouva derrière Lucienne un vallon étroit, profond, à bords escarpés, inaccessible par ses marécages, sans aucune vue, enfermé de collines de toutes parts, extrêmement à l'étroit, avec un méchant village sur le penchant d'une de ces collines qui s'appelait Marly. Cette clôture sans vue, ni moyen d'en avoir, fit tout son mérite. L'étroit du vallon où on ne se pouvait étendre y en ajouta beaucoup. Il crut choisir un ministre, un favori, un général d'armée. Ce fut un grand travail que dessécher ce cloaque de tous les environs qui y jetaient toutes leurs voiries, et d'y apporter des terres. L'ermitage fut fait. Ce n'était que pour y coucher trois nuits, du mercredi au samedi, deux ou trois fois l'année, avec une douzaine au plus de courtisans en charges les plus indispensables.

    Peu à peu l'ermitage fut augmenté; d'accroissement en accroissement les collines taillées pour faire place et y bâtir, et celle du bout largement emportée pour donner au moins une échappée de vue fort imparfaite. Enfin, en bâtiments, en jardins, en eaux, en aqueducs, en ce qui est si connu et si curieux sous le nom de machine de Marly, en parc, en forêt ornée et renfermée, en statues, en meubles précieux, Marly est devenu ce qu'on le voit encore; tout dépouillé qu'il est depuis la mort du roi. En forêts toutes venues, et touffues qu'on y a apportées en grands arbres de Compiègne, et de bien plus loin sans cesse, dont plus des trois quarts mouraient, et qu'on remplaçait aussitôt; en vastes espaces de bois épais et d'allées obscures, subitement changées en immenses pièces d'eau où on se promenait en gondoles, puis remises en forêts à n'y pas voir le jour dès le moment qu'on les plantait, je parle de ce que j'ai vu en six semaines; en bassins changés cent fois; en cascades de même à figures successives et toutes différentes; en séjours de carpes, ornés de dorures et de peintures les plus exquises, à peine achevées, rechangées et rétablies autrement par les mêmes maîtres, et cela une infinité de fois; cette prodigieuse machine, dont on vient de parler, avec ses immenses aqueducs, ses conduites et ses réservoirs monstrueux, uniquement consacrée à Marly sans plus porter d'eau à Versailles; c'est peu de dire que Versailles tel qu'on l'a vu n'a pas coûté Marly.

    (Saint-Simon)

  • Ecrit sur le front

    - Enfant ! vous êtes à l'entrée de la vie, reprit-elle en saisissant la main d'Eugène (de Rastignac), vous trouvez une barrière insurmontable pour beaucoup de gens, une main de femme vous l'ouvre, et vous reculez ! Mais vous réussirez, vous ferez une brillante fortune, le succès est écrit sur votre beau front.

    Ici un jeune homme ne devient riche que grâce à sa maîtresse ou par un mariage. Vautrin offre à Rastignac de réussir par la seconde voie. Pour cela il suffit que l'étudiant réponde à l’amour de la pauvre demoiselle Taillefer, obscure et sans dot. Un complice tuera en duel le frère unique de la jeune fille. Alors, le père se réconciliera avec la  fille qu’il a reniée et celle-ci deviendra un parti considérable.
    Rastignac n’accepte pas la proposition mais il fait tout de même un brin de cour à mademoiselle Taillefer. Cependant :

    - L'affaire est faite, dit Vautrin à Eugène. Nos deux dandies se sont piochés. Tout s'est passé convenablement. Affaire d'opinion. Notre pigeon a insulté mon faucon. A demain, dans la redoute de Clignancourt. A huit heures et demie, mademoiselle Taillefer héritera de l'amour et de la fortune de son père, pendant qu'elle sera là tranquillement à tremper ses mouillettes de pain beurré dans son café. N'est-ce pas drôle à se dire ? Ce petit Taillefer est très-fort à l'épée, il est confiant comme un brelan carré ; mais il sera saigné par un coup que j'ai inventé, une manière de relever l'épée et de vous piquer le front. Je vous montrerai cette botte-là, car elle est furieusement utile.

    Comme Rastignac veut avertir la victime, Vautrin lui verse un somnifère.

    En plaçant la tête de l'étudiant sur la chaise, pour qu'il pût dormir commodément, il le baisa chaleureusement au front, en chantant :
       Dormez, mes chères amours !
       Pour vous je veillerai toujours.

    (Balzac – Le Père Goriot).

  • Tresse

    Eugène approcha son oeil de la serrure, regarda dans la chambre, et vit le vieillard occupé de travaux qui lui parurent trop criminels pour qu'il ne crût pas rendre service à la société en examinant bien ce que machinait nuitamment le soi-disant vermicellier. Le père Goriot, qui sans doute avait attaché sur la barre d'une table renversée un plat et une espèce de soupière en vermeil, tournait une espèce de câble autour de ces objets richement sculptés, en les serrant avec une si grande force qu'il les tordait vraisemblablement pour les convertir en lingots. - Peste ! quel homme ! se dit Rastignac en voyant le bras nerveux du vieillard qui, à l'aide de cette corde, pétrissait sans bruit l'argent doré, comme une pâte. Mais serait-ce donc un voleur ou un recéleur qui, pour se livrer plus sûrement à son commerce, affecterait la bêtise, l'impuissance, et vivrait en mendiant ? se dit Eugène en se relevant un moment. L'étudiant appliqua de nouveau son oeil à la serrure. Le père Goriot, qui avait déroulé son câble, prit la masse d'argent, la mit sur la table après y avoir étendu sa couverture, et l'y roula pour l'arrondir en barre, opération dont il s'acquitta avec une facilité merveilleuse.

    Je n'avais pas ouvert le Père Goriot depuis le lycée mais, comme le marchand de journaux me l’a mis entre les mains, je l’ai relu ces derniers jours. Après plus de vingt ans, bien des choses m’ont paru nouvelles (soit que je n’en aie pas gardé le souvenir, soit que je ne les aie pas même remarquées à l’époque). D’autres en revanche m’étaient restées en mémoire : les apparitions fugitives des filles de Goriot, habillées comme des reines, dans les escaliers sordides de la Pension Vauquer ; et surtout la scène-énigme fameuse où Rastignac surprend par le trou de la serrure Goriot en train de tordre une vaisselle précieuse à la force du poignet.

    Le secret est vite découvert. L’origine et la destination du métal ne sont pas bien mystérieuses. On suit bientôt le lingot jusque chez l’usurier ; et la somme réalisée finit chez l’une ou l’autre des filles Goriot. On devine que le  trésor est celui que Goriot avait conservé de son ancienne vie, malgré son déménagement. (Ceci, [avait  dit alors Goriot] à madame Vauquer en serrant un plat et une petite écuelle dont le couvercle représentait deux tourterelles qui se becquetaient, est le premier présent que m'a fait ma femme, le jour de notre anniversaire. (…) j'aimerais mieux gratter la terre avec mes ongles que de me séparer de cela.)

    Ne reste donc que le pétrissage à main nue du métal par un vieillard, image de démesure, signe de l’amour titanesque que Goriot voue à ses filles. Mais pourquoi la vaisselle doit-elle absolument être broyée ? Le métal tordu rappelle peut-être le dernier trésor du vieillard (dont il ne sépare pas et qu’il emporte dans la tombe). C’est un médaillon avec les noms gravés des deux filles Goriot et il est attaché à un fil fait des cheveux tressés de leur mère défunte.

  • Lointains

     (On passe) de la disposition centrale, représentée par la cour centrale à la disposition longitudinale (...). On ménage pour l'oeil une perspective sur ce qui est au delà de la cour, et on entraîne ainsi l'imagination vers de lointains horizons. (...) Michel-Ange projette pour le Palais Farnèse une perspective ouvrant sur le jardin, avec le taureau Farnèse utilisé dans le groupe de la fontaine ; dans le fond il voulait jeter sur le Tibre un pont qui aurait conduit au domaine des Farnèse situé de l'autre côté du fleuve. (...)

    Le baroque stylise la nature pour lui donner l'attitude de la grandeur et la dignité mesurée que cette époque exige ; le parc cependant n'est pas absorbé par la loi architecturale : l'informel et l'infini sont introduits dans la composition (...) Le parc se perd dans la nature sauvage, il passe peu à peu à la nature sans forme et sans liens ; puis la perspective ouverte sur le paysage est considéré comme essentielle, on dispose des allées de façon que le lointain constitue leur conclusion (...).

    (Wölfflin - Renaissance et Baroque)

  • Like a séance in hell

    (Plus tard : Keith est de plus en plus longtemps absent, gagnant petitement sa vie au poker, suivant de ville en ville, d'hôtel en hôtel, le circuit des tournois. Un jour, Lianne assiste à une retransmission d'un tournoi ("like a séance in hell") - où Keith pourrait apparaître, tel un spectre dans le temps circulaire et la lumière sans jour des enfers :)

    (Lianne) came across a poker tournament on TV. (...) She saw three or four tables, in long shot, with spectators seated among them, clustered in pockets, in spooky blue light. The tables were slightly elevated, players immersed in a fluorescence glow and bent in mortal tension. (...) She hit the mute button and looked at the players seated around the tables as the camera slowly swept the room and she realized that she was waiting to see Keith.