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Refermés - Page 25

  • Mort obscure

    Dans le Palazzo Principe, villa bâtie pour Andrea Doria aux portes de Gênes. Un beau portrait attribué à Salviati donne un visage à l'un des héros sans gloire de la Conjuration du comte de Fiesque du Cardinal de Retz : Gianettino Doria, fils d'un cousin, était l'héritier choisi par Andrea Doria. Il est tué par les conjurés, presque par mégarde, dans la nuit où ceux-ci lancent leur assaut contre les maîtres de Gênes.

    Jannetin Doria, éveillé ou par le buit qui se fit à cette porte ou par les cris qui se faisaient en même temps dans le port, se leva en grande hâte, et, sans être suivi d'autre personne que d'un page qui portait un flambeau devant lui, il accourut à la porte de Saint-Thomas, où, ayant été reconnu par les conjurés, il fut tué en arrivant.

    La mort de Jannetin est décrite quelques lignes avant celle de son adversaire, Fiesque. L'escamotage du personnage principal détermine alors l'échec de la conjuration et fait un contrepoint presque burlesque aux graves considérations de politique et de stratégie qui l'ont précédé :  

    (...) craignant que, dans cette confusion, la chiourme ne relevât la capitane, sur laquelle il entendait beaucoup de bruit, (Fiesque) courut en diligence pour y donner ordre, et, comme il était sur le point d'y entrer, la planche sur laquelle il passait venant à se renverser, il tomba dans la mer ; la pesanteur de ses armes et la vase, qui était profonde en cet endroit, l'empêchèrent de se relever, et l'obscurité de la nuit jointe au bruit confus qui se faisait de toutes parts ôtèrent aux siens la connaissance de cet accident, en sorte que, sans s'apercevoir de la perte qu'ils avaient faite, ils achevèrent de s'assurer du port et des galères.

    (...) Le corps du comte fut trouvé au bout de quatre jours, et ayant été laissé quelque temps sur le port sans sépulture, il fut enfin jeté dans la mer par le commandement d'André Doria.

  • Le barcaruol et l'arquebuse de roda

    Pour Venise, l'immigrant arrive des villes voisines (...) et des campagnes et montagnes proches (le Titien est de Cadore). Si les gens du Frioul - les Furlani - sont de bonnes recrues pour la domesticité et les gros travaux, voire, hors de la ville, les tâches agricoles, les mauvais garçons, il y en a, viennent tous, ou presque tous, des Romagnes et des Marches. Tutti li homeni di mala qualità, dit un rapport de mai 1587, o la maggior parte di loro che capita in questa città sono Romagnoli e Marchiani. Visiteurs indésirables et d'ordinaires clandestins, ils pénètrent de nuit dans la ville, par des filières régulières, s'adressent à quelque barcaruol qui ne peut refuser l'accès de sa barque à des hommes armés souvent de l'arquebuse à rouet, de roda, et qui, à l'amiable ou non, se font conduire jusqu'à la Giudecca, à Murano ou à telle autre île.

    (Braudel, La Méditerranée)

  • Neiges d'été

    Qui ne connaît aussi ces neiges attardées jusqu'au coeur de l'été et qui "font frais aux yeux", dit un voyageur ? Elles zèbrent de leurs traits blancs le sommet du Mulhacen tandis qu'à ses pieds, Grenade meurt brûlée de chaleur ; elles s'accrochent au Taygète, au-dessus de la plaine tropicale de Sparte ; elles se conservent au creux des montagnes libanaises ou dans les "glacières" de Chréa... C'est elles qui expliquent, en Méditerranée, la longue histoire de "l'eau de neige" que Saladin offrait à Richard Coeur de Lion et dont le prince Don Carlos abusa jusqu'à en mourir, pendant le chaud mois de juillet 1568, dans sa prison du Palais de Madrid. (...)

    Ailleurs, en Egypte, où des relais de chevaux rapides l'apportaient de Syrie au Caire ; à Lisbonne où on la faisait venir de fort loin ; à Oran, le préside espagnol, où la neige arrive d'Espagne par les brigantins de l'Intendance ; à Malte où les Chevaliers, à les en croire, mourraient faute des arrivages de neige en provenance de Naples, leurs maladies exigeant "ce remède comme souverain", c'était, au contraire, denrée de luxe. Cependant, en Italie comme en Espagne, l'eau de neige semble assez répandue. Elle explique, en Italie, l'art précoce des glaces et des sorbets. A Rome, si fructueuse est sa vente qu'elle est l'objet d'un monopole. En Espagne, la neige est tassée dans des puits et conservée jusqu'en été. Des pélerins occidentaux, en route vers la Terre Sainte, ne s'en étonnent pas moins lorsqu'en 1494 ils voient, sur la côte syrienne, le patron de leur navire recevoir en cadeau "un sac rempli de neige dont la vue en ce pays et au mois de juillet remplit tout l'équipage du plus grand étonnement". Sur cette même côte de Syrie, un Vénitien, en 1553, s'émerveille que les "Mores", ut nos utimur saccharo, item spargunt nivem super cibos et sua edilia, "répandent de la neige sur leurs mets et leurs nourritures comme nous y mettons du sucre".

    (Braudel, La Méditerranée).

  • Fin de Gabriel Nash

    Dans les dernières pages de The Tragic Muse, Miriam Rooth suggère plaisamment à Nick de faire poser Gabriel Nash pour un portrait : ce serait une bonne façon de se débarrasser de lui.

     Gabriel consented to sit; (...) and he came back three times for the purpose. Nick promised himself a deal of interest from this experiment, for with the first hour of it he began to feel that really as yet, given the conditions under which he now studied him, he had never at all thoroughly explored his friend. His impression had been that Nash had a head quite fine enough to be a challenge, and that as he sat there day by day all sorts of pleasant and paintable things would come out in his face. This impression was not gainsaid, but the whole tangle grew denser. It struck our young man that he had never seen his subject before, and yet somehow this revelation was not produced by the sense of actually seeing it. What was revealed was the difficulty--what he saw was not the measurable mask but the ambiguous meaning. He had taken things for granted which literally were not there, and he found things there--except that he couldn't catch them--which he had not hitherto counted in or presumed to handle.

    Pour la première fois, Nash se tait ou plutôt apparait autrement que selon sa conversation brillante et bavarde. Le personnage n'est pas démasqué, il change de sens et se charge d'ambiguïté. Mais Nash se renfrogne et semble goûter fort peu cette expérience - si bien qu'après la troisième séance, il manque le rendez-vous. Les jours passent, Nash ne revient pas. Son portrait reste inachevé. Nick a l'étrange impression que les lignes qu'il a tracées peu à peu s'effacent et que la toile redevient blanche.

  • Personnages de roman (2)

    Tous les personnages d'un roman ne sont pas égaux entre eux. De même, au théâtre, il y a un monde entre le premier rôle et des comparses qui lui donnent la réplique.  Celui-là est tenu par Miriam Rooth (fille de Mrs Rooth), fameuse comédienne dont personne ne soupçonne qu'elle commence dans la carrière tant son jeu est imposant, varié et subtil ; ceux-ci sont joués par des acteurs subalternes à qui on demande seulement de rendre toujours à peu près le même son quand le drame les sollicite. L'un ne quitte pour ainsi pas le plateau du début à la fin, c'est à lui que quelque chose arrive ;  les autres vont et viennent.

    Les personnages principaux de The Tragic Muse: Peter Sherringham, Nick Dormer, Miriam Rooth évoluent dans une dimension que les autres ignorent : le temps ; ils sont sujets à variation, ils changent d'état ; mais ils payent cette complexité par une certaine indétermination : en quelque sorte, plus on les fréquente, moins on est sûr de les connaître. Leur être profond est incertain : un vide, une absence, un suspens. La grande affaire de Nick est sa vocation contrariée de peintre, mais sa décision ne s'oppose pas aux événements, elle est au contraire emportée par eux, son esprit est comme le fléau d'une balance qui penche d'un côté ou de l'autre. Peter Sherringam hésite entre le théâtre et sa carrière ; sa passion pour Miriam Rooth est alternativement brûlante et éteinte. Sa parole est sans force : trois, quatre fois, il fait sa déclaration, sans qu'il en sorte rien. Certes Miriam Rooth décide de son destin : comme elle l'a voulu, elle sera une "grande comédienne". Mais le fond de ses sentiments demeure un mystère. Peter la soupçonne  de ne jamais cesser de jouer, de n'être qu'un masque. L'aime-t-elle, est-elle éprise de Nick ? Comme le fait remarquer malicieusement le narrateur, on en est réduit en ce qui la concerne aux interprétations des uns et des autres ; c'est le plus jamesien des personnages.

  • Personnages de roman

    A propos de The Tragic Muse. Son originalité, parmi les romans de James, réside peut-être dans sa plaisante collection de personnages secondaires (dont la peinture rappelle Dickens). Outre Gabriel Nash, l'homme-sirène, je pense par exemple à :

    Mrs Rooth. Veuve d'un antiquaire, elle prétend appartenir à la bonne société anglaise, étant apparentée aux très inconnus Neville-Nugent, de Castle Nugent. Elle ne les fréquente cependant pas du tout car, étant désargentée, elle vit "sur le continent". Fort préoccupée de convenances, elle a  néanmoins entrepris de faire de sa fille une actrice et la promène de capitale en capitale, la confiant aux soins d'obscurs professeurs. En accord avec ses moyens limités, sa principale qualité est de pouvoir rester indéfiniment assise en tous lieux où la demeure est une économie :

    She gave (Peter) the measure of her power to sit and sit--an accomplishment to which she owed in the struggle for existence such superiority as she might be said to have achieved. She could out-sit everybody and everything; looking as if she had acquired the practice in repeated years of small frugality combined with large leisure--periods when she had nothing but hours and days and years to spend and had learned to calculate in any situation how long she could stay. "Staying" was so often a saving--a saving of candles, of fire and even (as it sometimes implied a scheme for stray refection) of food.

    Mrs Gresham. Cette dame est, elle, introduite dans la bonne société où elle rend d'appréciables services ; on ne peut dire cependant si elle fait partie du personnel ou des invités :

    Mrs. Gresham was a married woman who was usually taken for a widow, mainly because she was perpetually "sent for" by her friends, who in no event sent for Mr.Gresham. (...) Her figure was admired--that is it was sometimes mentioned--and she dressed as if it was expected of her to be smart, like a young woman in a shop or a servant much in view. She slipped in and out, accompanied at the piano, talked to the neglected visitors, walked in the rain, and after the arrival of the post usually had conferences with her hostess, during which she stroked her chin and looked familiarly responsible. It was her peculiarity that people were always saying things to her in a lowered voice. She had all sorts of acquaintances and in small establishments sometimes wrote the menus. Great ones, on the other hand, had no terrors for her--she had seen too many. No one had ever discovered whether any one else paid her. People only knew what they did.

     Mr Carteret. Ce vieillard est un politicien à la retraite qui reste très attentif aux péripéties de la vie parlementaire et aux événements internes de l'appareil du parti libéral. Il ne conçoit d'ailleurs pas qu'il puisse exister autre chose au monde. Son grand principe est de ne jamais se mettre en retard, c'est à dire de ne pas négliger un seul jour la correspondance et la lecture des comptes-rendus des journaux. (Mais plus sévère que Mr Carteret, son majordome :

    When (Nick) paid a visit to his father's old friend there were in fact many things--many topics--from which he instinctively kept his hands. Even Mr. Chayter, the immemorial blank butler, who was so like his master that he might have been a twin brother, helped to remind him that he must be good. Mr. Carteret seemed to Nick a very grave person, but he had the sense that Chayter thought him rather frivolous.)

  • Gabriel Nash, the merman

    [Gabriel Nash :] (...) "What we like, when we're unregenerate, is that a new-comer should give us a password, come over to our side, join our little camp or religion, get into our little boat, in short, whatever it is, and help us to row it. It's natural enough; we're mostly in different tubs and cockles, paddling for life. Our opinions, our convictions and doctrines and standards, are simply the particular thing that will make the boat go-- our boat, naturally, for they may very often be just the thing that will sink another. If you won't get in people generally hate you."

    "Your metaphor's very lame," said Nick. "It's the overcrowded boat that goes to the bottom."

    "Oh I'll give it another leg or two! Boats can be big, in the infinite of space, and a doctrine's a raft that floats the better the more passengers it carries. A passenger jumps over from time to time, not so much from fear of sinking as from a want of interest in the course or the company. He swims, he plunges, he dives, he dips down and visits the fishes and the mermaids and the submarine caves; he goes from craft to craft and splashes about, on his own account, in the blue, cool water. The regenerate, as I call them, are the passengers who jump over in search of better fun. I jumped over long ago."

    "And now of course you're at the head of the regenerate; for, in your turn"--Nick found the figure delightful--"you all form a select school of porpoises."

    "Not a bit, and I know nothing about heads--in the sense you mean. I've grown a tail if you will; I'm the merman wandering free. It's the jolliest of trades!"

    (James - The Tragic Muse)