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Refermés - Page 24

  • Le dernier espoir d'Amélia

    Amélia, enceinte de neuf mois, est réfugiée chez sa marraine à la campagne. Elle ne sort pas ; le père de l'enfant est le curé de la petite ville à côté et personne n'en doit rien savoir. Elle regarde cependant passer sur la route un jeune homme, Joao Edoardo, à qui elle fut un temps fiancée mais que son rival finit par chasser.

    Tout le temps qu'elle pouvait rester debout, elle le passait maintenant à sa fenêtre, pomponnée de la tête jusqu'à la ceinture, parce que c'était ce qu'on pouvait apercevoir de la route, mais en conservant une jupe sale au-dessous.

    (Eça de Queiroz, Le Crime du Padre Amaro, trad. J. Girodon).

  • Les Buddenbrook

    Relu les Buddenbrook. L'autre fois, c'était il y a vingt ans : le seul souvenir précis que j'en avais gardé s'est révélé faux. Je n'y ai donc pas retrouvé ceci : par dureté de coeur, un personnage refuse d'aider des parents qu'un malheur vient de frapper. Les conséquences sont désastreuses pour eux. Le personnage en question n'en sort ni blâmé ni particulièrement honteux mais, dans le cours du roman, à chaque fois qu'il apparaît, on l'entend répéter à tout propos : "je ne suis pas un monstre". (Cela rappelle justement la façon dont Mann compose ses personnages : le plus souvent, ils sont accompagnés, telle une épithète, d'un court motif qui retentit à presque chacune de leur apparition. Il peut s'agir d'un trait physique, les yeux cernés et rapprochés de Gerda, ou bien d'une phrase, le "alors je n'étais qu'une sotte" de la Tante Antonie. Dans le premier cas, le caractère est inné ; dans le second, il est acquis et renvoit à un épisode du roman).

    (Le roman est la chronique, sur un bon demi-siècle, d'une famille de riches négociants mais c'est aussi le roman d'un jeune homme tourné vers son bref passé : et la courbe du récit, la déchéance d'une famille, figure d'une certaine façon le congé donné au monde de l'enfance. Les grands personnages de ce monde-là, ce sont les grands-parents, les oncles et tantes, les cousins ou les fréquentations des parents. Il n'est d'autres histoires que leur histoire, c'est à dire les anecdotes qu'on raconte à leur propos ; les grands événements sont d'abord les repas de famille, Noël ou les vacances au bord de la mer.  Le cercle centré sur la famille  est un petit univers mais il représente pour l'enfant une extension considérable de sa propre expérience et prend un temps pour lui une importance extraordinaire. Puis l'enfant grandit ; ce monde-là s'éloigne et s'amenuise.) 

  • Bruits à l'aube

    La quinzième nuit du huitième mois, le clair de lune entrait largement par les fentes du toit de planches ; ce qui étonnait Genji qui n'avait jamais connu pareille habitation. L'aube était proche, car il pouvait entendre des hommes du commun s'éveillant alentour s'interpeller d'une maison à l'autre.
    - Dame, ce qu'il fait froid !
    - Rien pour les affaires, cette année ! je passerai mon tour à la campagne. Chienne de vie !
    - Eh toi, au nord, mon voisin, tu m'écoutes ?
    Elle était terriblement gênée par cette rumeur autour d'eux de gens qui se levaient et s'arrangeaient pour leurs misérables travaux. L'endroit aurait donné envie à toute personne un peu distinguée de disparaître sous terre mais elle restait sereine et paraissait ne rien entendre de ces bruits aussi pénibles, inconvenants ou blessants soient-ils ; ses manières gardaient une grâce si naïve qu'on aurait pu croire que le sinistre scandale n'était rien pour elle. Un mortier grondait, semblait-il, presqu'à leur chevet : Genji comprenait enfin ce que signifiait un tintamarre affreux. Le désordre des sons n'était pour lui qu'un fatras incompréhensible. (...) Des insectes de toutes sortes bruissaient dans le jardin et, pour Genji, qui rarement entendait même un grillon chanter dans le mur, ce concert de crissements était une étrange nouveauté (...).

    (Murasaki Shikibu, Le Dit du Genji. Trad. d'après R. Tyler)

    (Genji voulant échapper au tapage, et à sa vulgarité, emmène sa conquête dans une propriété plus conforme à son rang. Mais alors, la mort, sous la forme d'un esprit, comme une nouvelle manifestation du monde inférieur, vient saisir sa bien-aimée.)

     

  • Déesse H

    Il y a toujours une certaine surprise à lire les textes un peu anciens qui s'intéressent à la personne de Rimbaud ou à celle de Lautréamont (dernièrement un texte de Gracq à propos de celui-ci dans Préférences) ; ils font se pencher sur le berceau de leur favori des figures solennelles, une petite troupe de fées, bonnes ou mauvaises : la Famille, le Catholicisme, la Province, la Révolution, l'Institution scolaire... mais ils oublient de convier, comme dans le conte, l'une d'entre elles, non la moindre.

  • Tout est rétrospectif

    (...) nous sommes à même de poser, presque absolument, cet axiome : que toute invention ayant cessé, dans les arts décoratifs, à la fin du siècle dernier, le rôle critique de notre siècle est de collectionner les formes usuelles et curieuses nées de la Fantaisie de chaque peuple et de chaque époque. Quant à l'Industrie, qui est la préoccupation visible de ce temps, son but, actif et généreux, sera la multiplication populaire de ces merveilles, célèbres ou uniques, enfouies longtemps dans quelques résidences héréditaires. Tout est rétrospectif (...)

    (Mallarmé - Lettres de Londres)

  • Politesses posthumes

    On ne s'étonnerait peut-être pas de lire en épigraphe des Poésies de Machado (dans l'édition Poésie/Gallimard) une Oraison pour Antonio Machado signée Rubén Darío, au ton funèbre et conjuguée à l'imparfait, si on ne trouvait plus loin, dans le texte lui-même, un poème intitulé A la mort de Rubén Darío.

  • 2666

    2666, de Roberto Bolaño.

    Le roman n'existe que dans sa partie mexicaine. Les épisodes européens manquent de substance, sont fastidieux, d'une fantaisie inconsistante ; mais s'acheminent vers la région terrible : dans la ville de Santa Teresa, dans le nord du Mexique, des femmes sont sauvagement assassinées. Les cadavres sont retrouvés aux abords de la ville ; les mots de la médecine légiste décrivent avec précision les tortures que les corps ont subies. A ces morts constatées correspondent (ou ne correspondent pas) des disparitions, presque aussi nombreuses, des êtres manquants. D'impossibles enquêtes, toujours recommencées, interrompues, douteuses, trouvent là leur origine et ici leur fin (ou réciproquement).

    J'ai dit (à Loya) que je voulais qu'il continue ses recherches. Pendant un moment, il a eu l'air de réfléchir à ma proposition, ou plutôt il a eu l'air de chercher les mots qu'il avait à me dire. Ensuite il a dit qu'il ne souhaitait pas que je perde ni mon argent ni mon temps. Que, telle qu'il la voyait, l'affaire était classée. Vous voulez dire que vous croyez que Kelly est morte, lui ai-je crié. Plus ou moins, a-t-il dit sans rien perdre de son calme. Comment ça plus ou moins ? ai-je crié. On est mort ou on n'est pas mort, putain de Dieu ! Au Mexique, on peut être plus ou moins mort, m'a-t-il répondu très sérieusement. Je l'ai regardé avec l'envie de le gifler. Comme ce type était froid et distant. Non, lui ai-je dit, presque en détachant chaque syllabe, ni au Mexique ni nulle part ailleurs sur la planète quelqu'un peut être plus ou moins mort. Arrêtez de parler comme un guide touristique (...). J'en ai marre des Mexicains qui parlent et se comportent comme si tout ceci était Pedro Paramo, lui ai-je dit. C'est peut-être bien cela, a dit Loya.

    Ailleurs des livres sont l'indice ou la preuve elle-même que nous avons perdu celui que nous cherchons (ou que nous devons continuer à le chercher) :

    (...) j'ai été chez lui, et j'ai rien vu qui me fasse penser qu'on l'aurait enlevé. Il est parti parce qu'il a voulu s'en aller. Non, entendit-elle dire au jeune homme. S'il était parti de lui-même, il aurait emporté ses livres. Les livres pèsent lourds, dit Mary-Sue, et puis on peut toujours les racheter. Il y a plus de librairies en Californie qu'à Sonoita, dit-elle, voulant faire une plaisanterie, mais elle s'aperçut immédiatement que cette affirmation manquait de tout sens de l'humour. Non, je ne fais pas allusion à ces livres-là, mais aux siens, dit le jeune homme. Aux siens ? dit Mary-Sue. A ceux qu'il a écrits et qu'il a publiés. Ceux-là, il ne les aurait pas abandonnés, même si ç'avait été la fin du monde. (...) Mary-Sue pensa que les livres signés d'Hernandez Mercado ne devaient pas peser bien lourd et qu'il n'aurait jamais pu les racheter en Californie.

    (Trad. Robert Amutio)