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Refermés - Page 20

  • Autour de la Lune

    Au lieu de percuter comme prévu la surface lunaire, le projectile est entraîné dans une courbe qui fait le tour de l’astre. Il dépasse l’hémisphère visible et commence à survoler la face cachée. Par les hublots, les trois voyageurs cherchent à contempler pour la première fois cette portion toujours dissimulée aux observateurs terrestres. Mais, parce qu’ils ont choisi la Pleine Lune pour leur tentative, la face cachée est plongée dans le noir. Ils désespèrent de rien voir quand soudain :

      Ce point de repère fut un éclat lumineux que Nicholl signala tout à coup sur la limite de l’horizon formé par le disque noir. Ce point ne pouvait être confondu avec une étoile. C’était une incandescence rougeâtre qui grossissait peu à peu, preuve incontestable que le projectile se déplaçait vers lui et ne tombait pas normalement à la surface de l’astre.
      "Un volcan ! c’est un volcan en activité ! (…)"

    Mais le volcan disparaît et un nouveau phénomène vient traverser la course aveugle des trois voyageurs. L’explosion d’un « bolide » à peu de distance de leur vaisseau.

      C’était comme l’épanouissement d’un cratère, comme l’éparpillement d’un immense incendie. Des milliers de fragments lumineux allumaient et rayaient l’espace de leurs feux. Toutes les grosseurs, toutes les couleurs, toutes s’y mêlaient. C’étaient des irradiations jaunes, jaunâtres, rouges, vertes, grises, une couronne d’artifices multicolores. Du globe énorme et redoutable, il ne restait plus rien que ces morceaux emportés dans toutes les directions, devenus astéroïdes à leur tour, ceux-ci flamboyants comme une épée, ceux-là entourés d’un nuage blanchâtre, d’autres laissant après eux des traînées éclatantes de poussière cosmique.
    (…)
      "L’invisible Lune, visible enfin !"
      Et tous trois, à travers un effluve lumineux de quelques secondes, entrevirent ce disque mystérieux que l’œil de l’homme apercevait pour la première fois.
      Que distinguèrent-ils à cette distance qu’ils ne pouvaient évaluer ? Quelques bandes allongées sur le disque, de véritables nuages formés dans un milieu atmosphérique très restreint, duquel émergeaient non seulement toutes les montagnes, mais aussi les reliefs de médiocre importance, ces cirques, ces cratères béants capricieusement disposés, tels qu’ils existent à la surface visible. Puis des espaces immenses, non plus des plaines arides, mais des mers véritables, des océans largement distribués, qui réfléchissaient sur leur miroir liquide toute cette magie éblouissante des feux de l’espace. Enfin, à la surface des continents, de vastes masses sombres, telles qu’apparaîtraient des forêts immenses sous la rapide illumination d’un éclair…

    (N’est-ce pas à peu près le même dispositif que reprend Gracq dans le Rivage des Syrtes ? La navigation nocturne d’Aldo est fixée sur le volcan qui domine la capitale ennemie. Arrivé au pied de la montagne, le navire vient frôler les abords de son port. Les voiles de nuages s’écartent "comme au théâtre" et le rivage inconnu du Farghestan apparaît aux agents d’Orsenna alors qu’éclatent les tirs des batteries de l’adversaire).

  • De la Terre à la Lune

    – Savez-vous, mes amis, à quoi ressemble cette plaine vue de la hauteur où nous sommes ? dit Michel.
    – Non, répondit Nicholl.
    – Eh bien, avec tous ces morceaux de laves allongés comme des fuseaux, elle ressemble à un immense jeu de jonchets jetés pêle-mêle. Il ne manque qu’un crochet pour les retirer un à un.
    – Sois donc sérieux ! dit Barbicane.
    – Soyons sérieux, répliqua tranquillement Michel, et au lieu de jonchets, mettons des ossements. Cette plaine ne serait alors qu’un immense ossuaire sur lequel reposeraient les dépouilles mortelles de mille générations éteintes.

    (Verne – Autour de la Lune).

    Malgré la fantaisie, il y a quelque chose de funèbre dans ce voyage extraordinaire vers la Lune… Un silence sinistre sur un point crucial : tout au long des préparatifs de l'opération, après qu’il a été décidé que le projectile emporterait des passagers, jamais il n’est question de retour… Il faudra attendre bien longtemps après le départ pour que l’hypothèse soit envisagée (et puis réalisée, par accident). Non : dans le plan initial, il n’est question que de rejoindre la Lune et les précautions prises ne visent qu’à garantir les chances de l’atteindre. Le mouvement prévu est un envol sans retombée : Michel Ardan, venu de l'Orient, survient sur le chantier de la Columbiad, interrompt la rivalité mortelle entre Barbicane et Nicholl, et, psychopompe, les enrôle dans son ascension…

    (Ne parlons pas du chien mort dont le cadavre, expulsé de l’aéronef, reste fixé sur la même trajectoire que lui, l'escortant à travers l'espace, memento mori déterminé par les lois de la mécanique).

  • Emblème

    Je remplis d'un beau nom ce grand espace vide

     

    (Du Bellay Les Regrets, CLXXXIX)

  • Racinismes

    Relu les Ailes de la colombe (ou plutôt lu The Wings of the dove).

    Que, pour Mrs. Stringham, Milly Theale soit "une princesse" et qu’elle-même se considère comme "sa confidente" n’épuise pas les nombreuses allusions au théâtre du roman. Le nombre restreint des personnages (trois ou cinq), le ressort qui les anime, la symétrie des arrangements renvoient formellement à la tragédie classique. Combien de fois nous décrit-on les entrées  ou les sorties de Kate Croy comme si elles avaient lieu sur la scène ? (Et les sorties peuvent être plus déterminantes que les entrées, dans un roman où l’absence est plus agissante que la présence ; le progrès de l’intrigue n’est-il pas une suite d’éloignements : absence de Merton, absence de Kate, quittant Venise, absence – définitive et donc triomphante – de Milly, qui est morte.) 
     
    Mais aussi : dans les longs et épuisants dialogues où les interlocuteurs s’affrontent à coups d’ambiguïtés et de réticences, j’entends Phèdre :
    – Tu connais ce Fils de l’Amazone / Ce Prince si longtemps par moi-même opprimé ?
    – Hippolyte ? Grands Dieux !
    – C’est toi qui l’as nommé !

  • Crépuscule

    ........................................................

    Est-il mort ? Qu'il se lève, dans le noir,
    Et entrouve sa porte, et sorte. Ne sachant
    Si c'est le jour qui point ou la nuit qui tombe.

     

    (Yves Bonnefoy Raturer outre, le pianiste I.)

  • Deux oreillers

    Deux fois l’usurier Gobsek entre chez les Restaud. Il pénètre dans la chambre de l’un ou de l’autre époux. Il y voit Madame de Restaud et l’empreinte qu’elle vient de laisser dans un oreiller.

    La première fois, madame de Restaud espère séduire l’usurier par le spectacle de son intimité dévoilée :

    Elle était vêtue d’un peignoir garni de ruches blanches comme neige et qui annonçait une dépense annuelle d’environ deux mille francs chez la blanchisseuse en fin. Ses cheveux noirs s’échappaient en grosses boucles d’un joli madras négligemment noué sur sa tête à la manière des créoles. Son lit offrait le tableau d’un désordre produit sans doute par un sommeil agité. Un peintre aurait payé pour rester pendant quelques moments au milieu de cette scène. Sous des draperies voluptueusement attachées, un oreiller enfoncé sur un édredon de soie bleue, et dont les garnitures en dentelle se détachaient vivement sur ce fond d’azur, offrait l’empreinte de formes indécises qui réveillaient l’imagination.

    Mais la seconde empreinte trahit  la noirceur du caractère de la belle comtesse. Madame de Restaud piétine le lit d’agonie de son époux, à la recherche de papiers qu’elle veut détruire.

    (Maître Derville raconte : ) A peine le comte était-il expiré, que sa femme avait forcé tous les tiroirs et le secrétaire, autour d’elle le tapis était couvert de débris, quelques meubles et plusieurs portefeuilles avaient été brisés, tout portait l’empreinte de ses mains hardies. Si d’abord ses recherches avaient été vaines, son attitude et son agitation me firent supposer qu’elle avait fini par découvrir les mystérieux papiers. Je jetai un coup-d’oeil sur le lit, et avec l’instinct que nous donne l’habitude des affaires, je devinai ce qui s’était passé. Le cadavre du comte se trouvait dans la ruelle du lit, presque en travers, le nez tourné vers les matelas, dédaigneusement jeté comme une des enveloppes de papier qui étaient à terre ; lui aussi n’était plus qu’une enveloppe. Ses membres raidis et inflexibles lui donnaient quelque chose de grotesquement horrible. Le mourant avait sans doute caché la contre-lettre sous son oreiller, comme pour la préserver de toute atteinte jusqu’à sa mort. La comtesse avait deviné la pensée de son mari, qui d’ailleurs semblait être écrite dans le dernier geste, dans la convulsion des doigts crochus. L’oreiller avait été jeté en bas du lit, le pied de la comtesse y était encore imprimé (...).

    (Balzac - Gobseck).

  • Sans cesse

    Sans cesse le rêve et la vie mêlent leurs eaux, sans cesse cette confluence est une séduction qu’il est impossible de percer à jour, sans cesse il s’agit de retenir le rêve afin de pouvoir par là retenir la vie et sans cesse par là surgit la menace du danger de voir la vie se métamorphoser en rêve.

    (Broch – Hofmannsthal et son temps, trad. A Kohn).