Désespérant de faire accepter ses manuscrits par les libraires, Lucien se tourne vers les journalistes.
En proie aux émotions du pressentiment écouté, combattu, qu’aiment tant les hommes d’imagination, il arriva rue Saint-Fiacre auprès du boulevard Montmartre, devant la maison où se trouvaient les bureaux du petit journal et dont l’aspect lui fit éprouver les palpitations du jeune homme entrant dans un mauvais lieu.
Dans les bureaux du journal il est confronté à un "manchot invalide" puis au "cerbère du journal", un ancien officier de l’Empire. Sur une porte, une pancarte avec ces mots : "Bureau de Rédaction, et au-dessous : Le public n’entre pas ici."
— Je viens pour parler au rédacteur en chef.
— Il n’y a jamais personne ici avant quatre heures.
Lucien sort se promener, revient à quatre heures. En l’absence du cerbère, il décide de pousser la porte interdite. Il trouve une pièce déserte : une table ronde, quelques chaises, des papiers éparpillés : "quelques articles d’une écriture illisible", des caricatures ; l’une d’elle "sembla très impudique à Lucien, mais elle le fit rire".
Cinq heures sonnent. Le vieil officier a réapparu.
— Monsieur, je suis là depuis une heure, dit le poète d’un air assez fâché.
— Ils ne sont pas venus, dit le vétéran napoléonien en manifestant un émoi par politesse. Ca ne m’étonne pas. Voici quelque temps que je ne les vois plus. Nous sommes au milieu du mois, voyez-vous. Ces lapins-là ne viennent que quand on paye, entre les 29 et les 30.
(…)
— Où se fait donc le journal ? dit Lucien en se parlant à lui-même.
— Le journal ? dit l’employé (…) Le journal, monsieur, se fait dans la rue, chez les auteurs, à l’imprimerie, entre onze heures et minuit.
(…)
— Je viens pour être rédacteur (…)
— Bien dit, mon petit pékin, reprit l’officier en frappant sur le ventre de Lucien ; mais dans quelle classe de rédacteurs voulez-vous entrer ? répliqua le soudard en passant sur le ventre de Lucien et descendant l’escalier. (…) Or donc, mon petit, nous avons différents corps dans les rédacteurs : il y a le rédacteur qui rédige et qui a sa solde, le rédacteur qui rédige et qui n’a rien, ce que nous appelons un volontaire ; enfin le rédacteur qui ne rédige rien et qui n’est pas le plus bête, il ne fait pas de fautes celui-là, il se donne les gants d’être un homme d’esprit, il appartient au journal, il nous paye à dîner, il flâne dans les théâtres, il entretient une actrice, il est très-heureux. Que voulez-vous être ?
(Tout ceci est une blague, bien sûr, mais ce sont déjà les démêlés de Joseph K. avec le tribunal ou de l’arpenteur K avec l'administration du Château.)