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Refermés - Page 13

  • "Emmenez-moi"

    (Veltchaninov a enlevé Lisa à son père qui la maltraite pour la confier une famille amie, où elle est accueillie avec bonté et sollicitude, "dans une magnifique maison de campagne". Cependant la fillette tombe malade. En visite, Veltchaninov vient dans sa chambre lui dire au-revoir :)

    Lisa était couchée les yeux fermés, elle dormait sans doute ; elle allait mieux, semblait-il. Lorsque Veltchaninov se pencha doucement vers sa tête, pour, en lui faisant ses adieux, embrasser ne serait-ce qu'un petit coin de sa robe, elle ouvrit brusquement les yeux, comme si elle l'attendait, et elle lui chuchota : "Emmenez-moi d'ici."

    (Dostoïevski, L'Eternel Mari - trad. A Markowicz)

  • La dernière incarnation du baron Hulot

    Le baron reste inamendable malgré son grand âge. Dans les dernières pages, justement fameuses, de la Cousine Bette, son épouse le surprend après qu’il a quitté la chambre conjugale et rejoint dans sa mansarde une horrible fille de cuisine qui lui marchande ses charmes :

    — Ma femme n’a pas longtemps à vivre, et, si tu veux, tu pourras être baronne.

     

    (Dans la postérité du baron Hulot, il y a peut-être le M. de Charlus du Temps retrouvé : )

    (…) au moment où j’approchais de la chambre du baron, j’entendis une voix qui disait : « Quoi ? — Comment, répondit le baron, c’était donc la première fois ? » J’entrai sans frapper, et quelle ne fut pas ma frayeur. Le baron, trompé par la voix qui était, en effet, plus forte qu’elle n’est d’habitude à cet âge-là (et à cette époque-là le baron était complètement aveugle), était, lui qui aimait plutôt autrefois les personnes mûres, avec un enfant qui n’avait pas dix ans.

  • Le démon de l'anagramme

    (Balzac, La Cousine Bette)

    — Voici ce que je désire, mon enfant. Ton duc d’Hérouville a d’immenses propriétés en Normandie, et je voudrais être son régisseur sous le nom de Thoul.

    Alors que le baron Hector Hulot d’Ervy va enfouir sa déchéance de plus en plus profond dans les cercles de la misère parisienne, où il cache ses amours, il est saisi semble-t-il par la manie de l’anagramme, et se fait appeler successivement, changeant de nom et de bonne amie à chaque dégringolade, le père Thoul, le père Thorec puis M. Vyder, écrivain public.

  • Le système Bette

    Après bientôt trois ans, Lisbeth commençait à voir les progrès de la sape souterraine à laquelle elle consumait sa vie et dévouait son intelligence. Lisbeth pensait, Mme Marneffe agissait. Mme Marneffe était la hache, Lisbeth était la main qui la manie, et la main qui démolissait à coups pressés cette famille qui, de jour en jour, lui devenait plus odieuse, car on hait de plus en plus, comme on aime tous les jours davantage, quand on aime. L’amour et la haine sont des sentiments qui s’alimentent par eux-mêmes ; mais, des deux, la haine a la vie la plus longue. L’amour a pour bornes des forces limitées, il tient ses pouvoirs de la vie et de la prodigalité ; la haine ressemble à la mort, à l’avarice, elle est en quelque sorte une abstraction active, au-dessus des êtres et des choses. Lisbeth, entrée dans l’existence qui lui était propre, y déployait toutes ses facultés ; elle régnait à la manière des jésuites, en puissance occulte. Aussi la régénérescence de sa personne était-elle complète. Sa figure resplendissait. Lisbeth rêvait d’être Mme la maréchale Hulot.

     

    Deux personnages-forces propulsent la Cousine Bette de Balzac : le premier animé, si l'on veut, par l'amour, le second par la haine ; d'un côté, le baron Hulot va irrésistiblement de maîtresse en maîtresse ; de l'autre, Lisbeth Fischer, le rôle titre, s’emploie à ruiner moralement et matériellement les Hulot sur qui elle veut asseoir sa domination. Les deux principes agissants du roman ne sont, à première vue, pas antagonistes : la cousine Bette profite du moteur Hulot qui brûle, comme combustible, la fortune, la position sociale et l’honneur de sa famille. Les dynamiques sont néanmoins différentes et une énergie l’emporte : Hulot mène une course inexorable qui ne s’arrête pas avec le roman ; Bette couve longtemps sous la cendre, croît peu à peu, passe par un maximum avant de diminuer et de s’éteindre (Lisbeth n’a pu triompher comme elle l’espérait en épousant le maréchal Hulot, frère aîné du baron ; disons qu’elle n’a pas su maîtriser le brasier Hulot dont les turpitudes finissent par détruire la position qu’elle espérait atteindre).

    Deux personnages complètent le système d’oppositions et d’attractions à l’œuvre dans le roman. La baronne Hulot est l’objet de l’exécration cachée de Lisbeth. Epouse exemplaire et  bafouée, elle figure le pôle domestique que le baron fuit dans ses amours centrifuges mais qui le tient attaché, jusqu’à l’ultime libération, par une obscure force de rappel. Le perpétuel tressaillement nerveux qui afflige la baronne est ainsi comme le signe rentré des divagations de son mari et de ce lien qui les unit. — Mme Marneffe est l’instrument de la vengeance de Lisbeth et les deux femmes forment également une espèce de couple, peut-être lesbien. Elle représente le pendant femelle du type Hulot : si Hulot a n femmes successives (Jenny Cadine, Josépha, la Marneffe, la petite Bijou, Elodie Chardin, Atala Judici, Agathe Piquetard), Mme Marneffe à son apogée cumule cinq maris (M. Marneffe, le comte Wenceslas Steinbock, le Brésilien, le baron Hulot, le père Crevel), dont une bonne partie des mâles de la parentèle Hulot. — Mme Marneffe et la baronne Hulot, les deux puissances passives de l’intrigue, ne se rencontrent pas (Lisbeth et Hulot vont et viennent de l’une à l’autre). Une fois, cependant, elles échangent leur rôle, à distance et sans y réussir. La baronne entreprend une pitoyable tentative de séduction du père Crevel. Mme Marneffe épouse bourgeoisement ce même Crevel et elle en meurt, empoisonnée par un amant jaloux.

  • On vient chercher Wenceslas Steinbock

    (Balzac, la Cousine Bette)
    Le surlendemain, à quatre heures et demie du matin, au moment où le comte Steinbock dormait du plus profond sommeil, il entendit frapper à la porte de sa mansarde ; il alla ouvrir, et vit entrer deux hommes mal vêtus, accompagnés d’un troisième, dont l’habillement annonçait un huissier malheureux.
    — Vous êtes M. Wenceslas, comte Steinbock ? lui dit ce dernier.
    — Oui, monsieur.
    — Je me nomme Grasset, monsieur, successeur de M. Louchard, garde du commerce…
    — Eh bien ?
    — Vous êtes arrêté, monsieur, il faut nous suivre à la prison de Clichy… Veuillez vous habiller… Nous y avons mis des formes, comme vous voyez : je n’ai point pris de garde municipal, il y a un fiacre en bas.
    — Vous êtes emballé proprement… dit un des recors ; aussi comptons-nous sur votre générosité.
    Steinbock s’habilla, descendit l’escalier, tenu sous chaque bras par un recors (...)

    (La suite, avec plus de détails, chez Kafka :)
    Mais à peine franchie la porte de l'immeuble, ils s'accrochèrent à lui d'une façon que K. n'avait encore jamais expérimentée. Ils le tenaient leurs épaules collées derrière les siennes ; au lieu de plier les bras, ils les entouraient autour de ceux de K. sur toute la longueur et, au bout, lui enserraient les mains dans une prise imparable, qui était le fruit d'un enseignement et de tout un entraînement. K. marchait raide entre eux deux et ces trois hommes formaient maintenant une unité telle qu'en en brisant l'un, on les eût brisés tous. C'était une unité comme ne peut guère en constituer que la matière inanimée.

    (Le Procès, trad. B. Lortholary)

  • Le cheval turc

    (Fait prisonnier à Pavie, François Ier est libéré le 18 mars 1526 après de longs mois de captivité à Madrid. L'accord passé avec Charles Quint implique la remise comme otages des deux fils aînés du roi. L'échange a lieu sur la Bidassoa.)

    Au milieu du fleuve, se trouvait une grande barque, solidement amarrée, sur laquelle il n'y avait personne. Le roi s'approcha de cette barque sur un bateau où avaient pris place avec lui le vice-roi, Alarcon et huit autres hommes, tous armés d'armes courtes ; de l'autre côté de la barque, accosta un autre bateau avec Lautrec, les otages et huit autres compagnons, semblablement armés. (...) tout se passa si promptement que cet échange fut accompli en un seul et même mouvement. A peine eut-il atteint la rive, le roi, comme s'il craignait un guet-apens, monta sur un cheval turc, d'une étonnante vélocité, préparé tout exprès, puis sans s'arrêter galopa jusqu'à Saint-Jean-de-Luz, ville qui lui appartenait, à quatre lieux de là : après s'être promptement restauré, il se rendit, tout aussi vite, à Bayonne où il fut accueilli dans une incroyable allégresse de toute la Cour.

    (Guichardin, Histoire d'Italie, XVI)

  • "Charles"

    (... Il semblait au roi d'Angleterre) que César commençait à le mépriser : alors qu'il avait l'habitude, avant la bataille de Pavie, de n'envoyer que des lettres écrites de sa main et signées "Votre fils et cousin Charles", il commença, après avoir remporté cette victoire, à lui faire écrire des lettres dans lesquelles il n'y avait plus, de sa main, que la signature, qui était dépourvue de toutes ces marques de révérence et de soumission et où ne figurait que son seul nom "Charles".

    (Guichardin, Histoire d'Italie, XVI)