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Refermés - Page 11

  • Le voyage d'Astolphe dans la lune

    Les fleuves, les lacs, les campagnes sont là-haut tout autres que ceux qu'on voit chez nous. Les plaines, les vallées, les montagnes sont toutes différentes. Il en est de même des cités et des châteaux. Le paladin n'avait jamais rien vu jusqu'alors, et depuis ne vit jamais rien de si beau. Il y a de vastes et sauvages forêts, où les nymphes chassent éternellement les bêtes fauves.

    Le duc ne s'arrêta pas à examiner tout ce qu'il voyait car il n'était point venu pour cela. Le saint Apôtre le conduisit dans un vallon resserré entre deux montagnes. Là, ô merveille ! était rassemblé tout ce qui se perd par notre faute, ou par la faute du temps ou de la Fortune. Tout ce qui se perd ici-bas, se retrouve là-haut.

    (...) Là-haut sont accumulées les réputations que le temps dévore à la longue comme un ver rongeur ; les prières et les voeux que nous, pécheurs, nous adressons à Dieu.

    Les larmes et les soupirs des amants, le temps inutilement perdu au jeu, la longue oisiveté des hommes ignorants, les vains projets qui ne se réalisent jamais, les désirs inassouvis, sont en si grand nombre qu'ils encombrent la plus grande partie de ces lieux. En somme, ceux qui montent là-haut peuvent y retrouver tout ce qu'ils ont perdu.

    (...)

    Astolphe retrouva là de nombreux jours perdus par lui, de nombreuses actions qu'il avait oubliées. (...)

    (L'Arioste, Roland Furieux -- trad. F Reynard).

  • La couleur des ténèbres à la lueur d'une flamme

    (...) je ne sais plus quand, il y a des années de cela, j'avais mené un visiteur venu de Tôkyô dans la Maison Sumiya de Shimabara, et c'est là que j'ai aperçu, une seule fois, certaine obscurité dont je ne puis oublier la qualité. C'était dans une vaste salle qu'on appelait, je crois, la "salle des Pins", détruite depuis par un incendie ; les ténèbres qui régnaient dans cette pièce immense, à peine éclairée par la flamme d'une unique chandelle, avaient une densité d'une tout autre nature que celles qui peuvent régner dans un petit salon. A l'instant où je pénétrai dans cette salle, une servante d'âge mûr, aux sourcils rasés, aux dents noircies, s'y trouvait agenouillée, en train de disposer le chandelier devant un grand écran ; derrière cet écran qui délimitait un espace lumineux de deux nattes environ, retombait, comme suspendue au plafond, une obscurité haute, dense et de couleur uniforme, sur laquelle la lueur indécise de la chandelle, incapable d'en entamer l'épaisseur, rebondissait comme sur un mur noir. Avez-vous jamais, vous qui me lisez, vu "la couleur des ténèbres à la lueur d'une flamme" ? Elles sont faites d'une matière autre que celle des ténèbres de la nuit sur une route, et si je puis risquer une comparaison, elles paraissent faites de corpuscules comme d'une cendre ténue, dont chaque parcelle resplendirait de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Il me sembla qu'elles allaient s'introduire dans mes yeux et, malgré moi, je battis des paupières.

    (Tanizaki, Eloge de l'ombre - trad. Sieffert)

  • Dictionnaire abrégé de la fable

    (Cingria, "Vair et Foudres", in Bois sec Bois vert)

    C'est bien agréable, quand on revient dans ce patelin (...), de passer des après-midi entières à se vautrer sur des paillasses -- des sortes de lits de congressistes, il y en a vingt ou trente -- tout en s'intéressant à des lambeaux par-ci par-là d'un immense tas de livres ou de brochures qu'à fait dégringoler la foudre. (...)

    Voici une vieille mythologie minuscule et concise (...) L'ouvrage s'appelle : Dictionnaire abrégé de la fable pour l'intelligence des poètes, des tableaux et des statues dont les sujets sont tirés de l'histoire poétique.

    On lit :

    "Pygmés. Peuple de Lybie. Ils n'avaient qu'une coudée de hauteur ; leur vie était de huit ans ; les femmes engendraient à cinq et cachaient leurs enfants dans des trous de peur que les grues ne les leur vinssent enlever. Ils osèrent attaquer Hercule qui avait tué leur roi, appelé Antée..."

    (Tiens ! Le hasard fait que j'ai ce même ouvrage dans ma bibliothèque. Cela permet de vérifier l'exactitudes des citations. Celle-ci est irréprochable. Ce n'est pas le cas de la suivante:)

    Voici Alcmène, fille d'Electron, roi de Mycènes :

    "Cette princesse avait promis d'épouser celui qui tuerait un renard qui désolait les environs de Thèbes, Amphitryon entreprit de le faire et, pour réussir, il emprunta de Céphale un chien nommé Lélaps" (quand j'aurais un chien, je l'appelerai comme ça) "qui n'avait jamais manqué sa proie. Ce chien poursuivant le renard, Jupiter les pétrifia l'un et l'autre. On les apporta à Thèbes dans cet état, où ils furent honorés dans un musée."

    (Dans mon dictionnaire, il n'y a que:)

    ALCMENE, fille d'Electryon, roi de Mycènes, et de Lysidice. Elle épousa Amphitryon, à condition qu'il vengerait la mort de son frère, que les Thélébéens avaient fait mourir. Tandis d'Amphitryon était occupé à la guerre (etc.)

     

     

  • Tissu d'or

    [...] Léonard a bouleversé la conception du dessin préparatoire et donc de l'invention formelle [aussi] en opérant ce qu'Ernst Gombrich a appelé "un divorce entre le motif et la signification" au terme duquel certaines "images" persisteraient dans son oeuvre et recevraient des noms différents selon le contexte où elles sont utilisées. [...]

    [Ce peut être] une configuration ponctuelle qui revient, en ayant presque l'air d'être un attribut du personnage auquel elle correspond. C'est le cas du pan de tissu doré qui orne la robe de Marie : présent, au niveau du ventre, dès L'Annonciation des Offices, il se retrouve, transformé et décentré, quelques années plus tard dans La Madone à l'oeillet, puis encore autrement, dans les deux versions de La Vierge aux rochers. On serait tenté de lui chercher une valeur iconographique particulière, liée par exemple à la notion de Diva Matrix. Mais celle-ci risquerait fort d'être arbitraire, car si ce tissu d'or a un sens, celui-ci a dû être conçu de façon très personnelle par Léonard.

    (Arasse, Léonard de Vinci)

  • Le voile noir

    Pline rapportait surtout qu'une des inventions inimitables du grand Apelle, le maître incontesté de la "grâce", résidait dans le voile d'atramentum (ou noir) qu'il passait sur le tableau achevé : atténuant l'éclat des couleurs même de près, ce voile, de loin, "donnait, sans que l'on s'en aperçût, un ton plus sombre aux couleurs trop éclatantes". Il se pourrait que la comparaison de Léonard et d'Apelle ait été plus qu'un simple lieu commun et qu'il ait, lui-même, conçu comme un "programme d'action" consistant à tenter de réinventer la science antique de la peinture, en en recréant les attitudes et la technique.

    (Arasse, Léonard de Vinci)

  • Absent et plein d'encre

    Au début – cinq, six villages – c’est un train de rentrée d’écoles. Le compartiment et les autres sont pleins de collégiens aux forts roulants accents, qui arrachent des branches, s’assomment, se pilent, s’écrasent. Les sacs volent. « Il faudrait, dit le conducteur (qui les aime), les chloroformer pendant le trajet. »
    Un à un, ils descendent. C’est chaque fois un imperturbable village. A la fin, il n’y en a plus que deux : ils sont moins gais ; plus qu’un : il est absent et plein d’encre.
    Il reste, le temps encore de deux villages, puis il descend.

    (Cingria, Bois sec Bois vert, "Recensement")

  • Lumière palladienne

    The transcendent feature of Palladio's church interiors is a light that penetrates every corner with its warmth – a light as unique and as Venetian as that created on canvas by his contemporaries Titian and Veronese. It is produced partly by the large number and size of windows, by the orientation of the plan toward the path of the sun and by the dominance of the church over surrounding buildings; but above all, it is the nature of the reflecting surface that endows it with a special cast of humanity, even of sensuality, and differentiates it from the austere effects of equally well-lit late Gothic interiors.

    Whatever is not architecture in these churches is set apart in niches and panels; no sculpture or painted ornament invades the surfaces of walls, vaults or domes. Those surfaces, and most of the half columns, pilasters, and entablatures, except for the parts requiring detailed carving, are stucco over brick, and must perforce be painted. Palladio could control in this way the colour and quality as well as the quantity of light. The matt stucco surfaces reflect the light candidly, and unevenly enough to reveal the human touch, as brush-strokes do in a painting (...) Actually, Palladio's interiors were closer to the spirit of contemporary Venetian painting than if they had been decorated ; both architecture and painting created artificial theatres for the play of natural light.

    (J. S. Ackerman, Palladio)