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Refermés - Page 10

  • AXE

    (Le supplice qui attend Cincinnatus C. est la décapitation. Le prisonnier reçoit la visite de sa famille. Son beau-frère n’est pas la moitié d’un homme d’esprit : )

    "Take the word ‘anxiety’," Cincinnatus’s brother-in-law, the wit, was saying to him. “Now take away the word ‘tiny’, Eh ? Comes out funny, doesn’t it ? Yes, friend, you’ve really got yourself into a mess. In truth, what made you do such a thing ?"

    (Nabokov, Invitation to a beheading).

  • Claudel, selon Auden

    Auden, In Memory of WB Yeats

    (... Time)

    Worships language and forgives
    Everyone by whom it lives;
    Pardons cowardice, conceit,
    Lays its honours at their feet.

    Time that with this strange excuse
    Pardoned Kipling and his views,
    And will pardon Paul Claudel,
    Pardons him for writing well.

  • Un catalogue de bibliothèque

    Left alone, Cincinnatus went to work on the soup, simultaneously leafing through the catalogue. Its nucleus was carefully and attractively printed; amid thre printed text numerous titles were inserted in red ink, in a small but precise hand. It was difficult for someone who was not at specialist to make sense of the catalogue, since the titles were arranged not in alphabetical order, but according to the number of pages in each, with notations as to how many extra sheets (in order to avoid duplication) has been pasted into this or that book.

    (Nabokov, Invitation to a beheading.)

    (Cincinnatus C. vient d’être condamné à mort. Dans l’intervalle, l’administration pénitentiaire met à sa disposition une bibliothèque (une des plus riches du pays, nous dit-on), dont il choisit les livres dans un catalogue. Mais s'y repérer n'est pas facile car les volumes ne sont pas classés alphabétiquement mais en fonction du nombre de pages qu’ils contiennent.
    J’imagine sans preuve que l’ordre choisi est décroissant ; l'amenuisement est semblable à la brutale diminution du nombre des jours que Cincinatus a encore à vivre : d’ailleurs ce compte n’a-t-il pas été identifié fort judicieusement, au début du roman, avec la liasse des pages ultérieures que le lecteur peut à tout moment jauger, dans le livre qu’il tient à la main, évaluant orthogonalement l’étendue qu’il lui reste à parcourir ?)

  • Evasions faciles

    Je relis le Hussard sur le toit

    (Au chapitre 11, la libre chevauchée de Pauline et d’Angelo s’interrompt brutalement quand des soldats embusqués dans un village les entourent ; les deux héros sont appréhendés et conduits, selon les règles de la quarantaine, jusqu’à la petite ville voisine pour y être enfermés dans le lazaret (un ancien château fort occupé par un couvent). La prison est un gros donjon qui s’élève haut au dessus du bourg et où sont tenus à l’écart quelques dizaines de voyageurs attrapés. Les relégués occupent la plate-forme au sommet, sous le toit : un espace sans cloison, largement ouvert sur le vide et les horizons lointains. Si le décor rappelle la tour Farnèse de la Chartreuse de Parme, il n'y a point ici d’ « altitude spirituelle » en proportion avec les « lieux élevés » chers à Stendhal. C’est au contraire un moment de dépression : Pauline, accablée par la promiscuité et la bassesse des autres prisonniers, manque succomber à la même résignation ; or s'abandonner à cette faiblesse morale équivaut à être contaminé par le choléra (sur le plan allégorique où la maladie marche quelquefois). Mais Angelo insensible à la contagion l'emmène ; il a déjà machiné un plan, posé des amorces auprès des soldats, préparé l'évasion... Cependant l'obstacle se dénoue bien plus facilement. Dans la pièce du bas, un verrou saute avec un peu de poudre, la porte cède ; un long boyau, un colimaçon étroit mènent jusqu'au potager des bonnes soeurs : de là, on peut se laisser glisser dans la rue en contrebas. C'est beaucoup du charme du roman : cette désinvolture avec laquelle il traite les conventions du réalisme en littérature. La forteresse patiemment décrite, armée et peuplée s'évanouit comme un mauvais rêve, comme un enchantement dans l'Arioste quand le sortilège est brisé. "L'âme italienne" du Hussard a pris la place de l'anneau de Bradamante, déjouant les mirages de la servitude volontaire, de la peur et de la méchanceté humaines. Pauline et Angelo reprennent leur galop dans le pays ouvert.)

     

  • Eléments d'un conte

    Martin Salander de Gottfried Keller.

    (Comment douter qu'il n'ait existé à Zürich dans les années soixante-dix du dix-neuvième siècle une entreprise commerciale, du type de celle de Martin Salander, fondée sur l'importation de denrées exotiques ? et  qu'à la même époque le développement économique et financier de la Suisse ne se soit accompagné de scandales liés à d'inévitables malversations ;  et, encore, que ceux-ci n'aient trouvé un écho particulier dans les débats sur l'organisation politique du pays, alors en pleine évolution, et n'aient servi d'arguments dans les rivalités entre courants politiques nouveaux et anciens ?

    Tout cela trouve sa place dans le roman de Keller mais sa couleur et son charme particuliers viennent d'ailleurs. Ce sont les éléments d'un conte : un père revient d'un long voyage après des années d'absence ; il rencontre un jeune garçon, au bord d'une fontaine, en proie à l'hostilité d'autres enfants mais il ne reconnaît pas son propre fils ; le voyageur est à quelques pas de sa maison et, pourtant, se laisse détourner d'y rentrer avant le soir (il apprend dans l'intervalle que toute la fortune qu'il a acquise dans son exil a été réduite à néant) ; au même moment, la mère de famille n'a plus le sou et ses dernières provisions sont dévorées par ces mêmes jumeaux qui tourmentaient son fils ; elle trouve toutefois dans un tiroir une minuscule pièce d'or aux bords relevés, étrangement semblable à l'écuelle où les nains festoient au moment de quitter leur patrie, selon l'histoire qu'elle vient d'imaginer pour endormir ses enfants. (C’est une figure du conte : un objet impossible, apparu dans le  rêve, est encore là au petit matin et témoigne de la réalité du songe nocturne).  

    Bien des années plus tard, Martin Salander a reconstitué sa richesse ; un soir il marche longuement dans les collines et parvient dans une clairière où une fête bat son plein. Il a la surprise d'y voir ses filles danser avec les jumeaux : comment les distinguent-elles ? l'un a le bord de l'oreille gauche "un peu ourlé comme un morceau de beignet", l'autre "a le lobe droit comme une petite nouille". Un autre soir, le père surprend ses deux filles dans leur jardin auprès de la fontaine : les jumeaux sont à leurs pieds ; il s'interpose mais, dans la confusion qui suit, et avec la pénombre, les deux soeurs ne savent plus lequel est leur fiancé. Cependant les jumeaux parviennent à leur fin, épousent les filles Salander et les emportent, l'une dans une maison bâtie sur une éminence, l'autre dans une combe au milieu des bois. De nouvelles épreuves attendent le patriarche : son faux ami Wohlwend suscite une femme jeune et belle pour le séduire. Salander se promène toute une après-midi avec elle dans la neige, trop troublé pour savoir lui parler. Plus tard, quand l'enchantement sera dissipé, il saura qu'il ne s'agissait que d'un simulacre, Hélène statue suscitée par un mage, et que la belle inconnue a la tête fêlée et les yeux vides. La famille Salander est à nouveau réunie ; l'envoûtement des deux filles a été brisé ; le chapeau de madame Weidelich, mère des jumeaux Isidor et Julian, attribut de leur puissance, est jeté dans le fleuve où peu à peu il prend l'eau et se noie.)

  • Nielsen, Chostakovitch, Grieg

    Musique de scène pour Peer Gynt, à la salle Pleyel.

    (Ah ! le chœur mélancolique chanté par les plus humbles choses à Peer Gynt, alors qu'il revient, vieux et seul, au pays natal :)

    LES PELOTES
    Nous sommes les pensées que tu devrais avoir eues… Des petites menottes que tu devais nous offrir !
    Nous devions nous élever, voix émouvantes… et il faut que nous roulions, pelotes de fil gris.

    UN BRUISSEMENT DANS L’AIR
    Nous sommes les chansons que tu aurais dû chanter !... Mille fois, tu nous a réprimées et contraintes. Dans le creux de ton cœur, nous sommes restées, attendant… Jamais on n’est venu nous chercher. Qu’il y ait du poison dans ta gorge !

    DES BRINS DE PAILLE BRISEES
    Nous sommes des œuvres que tu devais accomplir. Le doute qui étrangle nous a estropiés et fendus. Au jour suprême, nous arriverons en bandes et annoncerons la chose… et cela suffira pour toi !

    (Ibsen, Peer Gynt – trad. R Boyer)

     

  • Encore Arabella

    Je lis Yvette de Maupassant.

    Servigny amène son ami Saval chez la marquise Obardi. Qui est cette marquise ?

    "Une parvenue, une rastaquouère, une drôlesse charmante, sortie on ne sait d'où, apparue un jour, on ne sait comment, dans le monde des aventuriers, et sachant y faire figure. (...) Moi, je vais surtout dans la maison pour la fille. (...) Une merveille, mon cher. C'est aujourd'hui la principale attraction de cette caverne. Grande, magnifique, mûre à point, dix-huit ans, aussi blonde que sa mère est brune, toujours joyeuse, toujours prête pour les fêtes, toujours riant à pleine bouche et dansant à corps perdu. Qui l'aura ? ou qui l'a eue ? On ne sait pas. Nous sommes dix qui attendons, qui espérons. 
    Une fille comme ça, entre les mains d'une femme comme la marquise, c'est une fortune. (...)
    Cette fille, Yvette, me déconcerte absolument, d'ailleurs. C'est un mystère. Si elle n'est pas le monstre d'astuce et de perversité le plus complet que j'aie jamais vu, elle est certes le phénomène d'innocence le plus fameux qu'on puisse trouver (...)"

    Voici que la lecture de ces phrases fait se lever devant moi le fantôme d'une autre jeune fille, création géminée de Hofmannsthal : l'Arabella d'Arabella (qui a comme Yvette une belle série des prétendants) et celle de Lucidor (mélange bizarre, comme l'autre, de dévergondage et de froideur, figure du dédoublement, ici figuré, là réel).

    La marquise a loué une maison à Bougival où elle invite Servigny et Saval. Servigny poursuit la fille et Saval couche avec la mère. Ce soir-là Servigny emmène Yvette se promener sur une île de la Seine (Maupassant n'est jamais meilleur que lorsqu'il vient hanter ces rives). Mais les tentatives du jeune homme échouent et la scène se termine par une sorte de moderne métamorphose.

    Elle glissa entre ses bras par une rapide ondulation de tout le corps, plongea le long de sa poitrine, et, sortie vivement de son étreinte, elle disparut dans l'ombre avec un grand froissement de jupes, pareil au bruit d'un oiseau qui s'envole.