Je relis le Hussard sur le toit
(Au chapitre 11, la libre chevauchée de Pauline et d’Angelo s’interrompt brutalement quand des soldats embusqués dans un village les entourent ; les deux héros sont appréhendés et conduits, selon les règles de la quarantaine, jusqu’à la petite ville voisine pour y être enfermés dans le lazaret (un ancien château fort occupé par un couvent). La prison est un gros donjon qui s’élève haut au dessus du bourg et où sont tenus à l’écart quelques dizaines de voyageurs attrapés. Les relégués occupent la plate-forme au sommet, sous le toit : un espace sans cloison, largement ouvert sur le vide et les horizons lointains. Si le décor rappelle la tour Farnèse de la Chartreuse de Parme, il n'y a point ici d’ « altitude spirituelle » en proportion avec les « lieux élevés » chers à Stendhal. C’est au contraire un moment de dépression : Pauline, accablée par la promiscuité et la bassesse des autres prisonniers, manque succomber à la même résignation ; or s'abandonner à cette faiblesse morale équivaut à être contaminé par le choléra (sur le plan allégorique où la maladie marche quelquefois). Mais Angelo insensible à la contagion l'emmène ; il a déjà machiné un plan, posé des amorces auprès des soldats, préparé l'évasion... Cependant l'obstacle se dénoue bien plus facilement. Dans la pièce du bas, un verrou saute avec un peu de poudre, la porte cède ; un long boyau, un colimaçon étroit mènent jusqu'au potager des bonnes soeurs : de là, on peut se laisser glisser dans la rue en contrebas. C'est beaucoup du charme du roman : cette désinvolture avec laquelle il traite les conventions du réalisme en littérature. La forteresse patiemment décrite, armée et peuplée s'évanouit comme un mauvais rêve, comme un enchantement dans l'Arioste quand le sortilège est brisé. "L'âme italienne" du Hussard a pris la place de l'anneau de Bradamante, déjouant les mirages de la servitude volontaire, de la peur et de la méchanceté humaines. Pauline et Angelo reprennent leur galop dans le pays ouvert.)