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Refermés - Page 8

  • Conseils littéraires

    Avant d'oublier, peut-être définitivement, Paris ne finit jamais d'Enrique Vila-Matas, notons ici (on ne sait jamais, ça pourrait servir) les instructions à un romancier débutant que Marguerite Duras aurait données en 1974 au jeune littérateur espagnol :

    1. Problèmes de structure. 2. Unité et harmonie. 3. Thème et histoire. 4. Le facteur temps. 5. Effets textuels. 6. Vraisemblance. 7. Technique narrative. 8. Personnages. 9. Dialogues. 10. Cadres. 11. Style. 12. Expérience. 13. Registre linguistique.

  • La Chine

    (Par Vila-Matas et son Paris ne finit jamais, je lis l'article de Roland Barthes "Alors, la Chine ?", paru dans Le Monde du 24 mai 1974,  qui rend compte du séjour dans le pays "avec le groupe Tel Quel". C'est un petit chef-d'oeuvre d'incongruité ; ce pourrait être la relation écrite par le professeur Tournesol à son retour de Bordurie. Le passage sur le thé et la campagne semble avoir été recopié de Bouvard et Pécuchet ou été composé en vue de son inclusion dans le Dictionnaire de la bêtise.)

    Hormis ses palais anciens, ses affiches, ses ballets d'enfants et son Premier Mai, la Chine n'est pas coloriée. La campagne (du moins celle que nous avons vue, qui n'est pas celle de l'ancienne peinture) est plate ; aucun objet historique ne la rompt (ni clochers, ni manoirs) ; au loin, deux buffles gris, un tracteur, des champs réguliers, mais asymétriques, un groupe de travailleurs en bleu, c'est tout. Le reste, à l'infini, est beige (teinté de rose) ou vert tendre (le blé, le riz) ; parfois, mais toujours pâles, des nappes de colza jaune ou de cette fleur mauve qui sert, paraît-il, d'entrais. Nul dépaysement.

    Le thé vert est fade ; servi en toute occasion, renouvelé régulièrement (etc.)

  • Bartók, Mahler

    Concert salle Pleyel.

    (Cela faisait des années que je n'avais pas entendu le premier concerto pour violon de Bartók. Je l'ai beaucoup écouté, il y a bien longtemps, avec une dilection particulière pour le premier mouvement. Celui-ci fait partie de ces morceaux, j’en pourrais donner trois ou quatre autres exemples, dont l’audition appelle immédiatement à la mémoire un texte avec lequel il s'est un jour rencontré. J'avais la mauvaise habitude, je l'ai encore, de laisser la musiquer jouer tout en lisant ; comme, en général, la musique requiert l'attention moins fortement que le livre, on finit par ne plus guère l’entendre, ravalée, sinon par intervalles, au rôle subsidiaire de fond sonore. Mais  quelquefois elle s'insinue entre les lignes et le hasard ou une secrète affinité font qu'elle devienne indissociablement mêlée à un passage marquant du livre lu. On s’en rend compte ultérieurement, à la réécoute (dans l’éternelle répétition, les sons reviennent plus souvent que les mots). Et le rapprochement se renforce alors par la remémoration, qui achève de trouver des ressemblances, inventées ou réelles, entre les deux éléments amalgamés.

    Loin des intentions élégiaques du compositeur (un portrait de la femme aimée), il s’agit ici d’un passage de Kafka, dans l’Amérique. Au chapitre trois, Karl Rossman, le jeune émigrant, passe outre les réticences de son oncle et accepte l’invitation d’un ami de celui-ci à venir dîner dans sa maison de campagne. Il fera connaissance là-bas de la fille de son hôte. Comme l’endroit est assez éloigné de la ville, Karl doit également y passer la nuit. Mais la soirée se déroule moins heureusement que prévu et l’atmosphère s’imprègne peu à peu des teintes du cauchemar. Délaissé de tous, Karl se retrouve seul dans la chambre qu’on lui a préparée, avant d’en ressortir pour explorer les lieux. La scène suivante appartient (si pareille catégorie existe) au genre des déambulations nocturnes dans une maison inconnue. La musique commence alors : le héros marche dans un long corridor,  le fil du violon est ténu comme la bougie tremblotante qu’il tient à la main, cependant l’orchestre, plus vague et plus vaste, figure les ténèbres incertaines qui s’étendent autour de lui. La villa se prolonge au-delà du raisonnable, un courant d’air improbable et constant trahit sans doute quelque communication avec l’extérieur. Le passage n’est pas si long à lire que ne dure la musique mais il culmine avec elle dans un élargissement imprévu de l’espace, que je fais coïncider avec le climax orchestral.)

    Soudain le mur, d'un côté du couloir, cessa pour faire place à une balustrade de marbre glacial. Karl posa la bougie près de lui et se pencha prudemment par-dessus. Il sentit l'haleine d'un vide obscur. Si c'était là le grand hall de la maison – à la lueur de la bougie apparaissait un morceau de plafond traité en voûte –,  pourquoi  n'était-il pas entré en passant par ce hall ? A quoi pouvait servir cette grande salle profonde ? On était penché là comme sur la galerie d'une église.

    (Kafka, Amerika ou Le Disparu – trad. B Lortholary)

  • Un mariage

    Les Mémoires de la Margrave de Bayreuth : un frère et une sœur grandissent entre un père cruel et une mère chimérique, ils sont les victimes de leurs lubies et mauvais traitements. Mais, plus tard, quand elle en fait le récit, la mémorialiste ne voit pas dans ses malheurs d'enfance et de jeunesse les détraquements du système familial. Non la cause de tout cela est à chercher dans le grand jeu des alliances étrangères et dans l'équilibre européen. Nous sommes à la cour de Prusse. La politique matrimoniale est un des moyens primordiaux de la diplomatie. Par elle les enfants royaux accèdent au statut de puissances que se disputent les diverses coteries. La reine est la fille du roi d'Angleterre, également électeur de Hanovre. Toute son ambition est dans le double mariage de ses enfants avec leurs cousins : il faut que Wilhelmine épouse le Prince de Galles et Frédéric la sœur de celui-ci. Le roi de Prusse, ou son ministre Grumkow, soutiennent des partis différents ou émettent des exigences irrecevables. Ce désaccord fondamental explique la guerre domestique. Certes la mère est inconséquente et bavarde ; le père est coléreux et à moitié fou. (Rappelons que :)

    Son occupation principale était de discipliner un régiment qu'il avait commencé à former pendant la vie de Frédéric I., et qui était composé de colosses de 6 pieds de hauteur.

    Il n'y avait que deux moyens de s'insinuer auprès de lui; l'un était de lui fournir de grands hommes, l'autre de lui donner à manger avec une compagnie, composée de ses favoris, et de lui faire boire rasade. Le premier de ces expédients m'était impossible, les grands hommes ne croissant pas comme les champignons, leur rareté même était si grande, qu'à peine en trouvait-on trois dans un pays qui pussent convenir.

    L'affrontement prend un tour dramatique, lorsque, fatigué des humiliations que lui fait subir son père, le prince royal cherche à fuir ; il est arrêté, emprisonné, jugé comme déserteur et peu s'en faut qu'il ne soit décapité à l'exemple de son ami Katt (le roi l'oblige à assister à cette exécution, selon une mise en scène qu'il a élaborée avec tous les raffinements de la pulsion sadique). Wilhelmine elle-même est surveillée, enfermée dans son appartement, sommée d'accepter un mariage inégal. Pour gagner du temps, la faction de la reine suggère un autre nom, celui de l'héritier du Margravat de Bayreuth, espérant que dans l'intervalle l'alliance anglaise se conclura. Mais le stratagème dépasse son but : non seulement le roi accepte le nouveau parti, mais le mariage va se faire tout de suite. La défaite de la reine tourne à la comédie. Jusqu'à la veille de la cérémonie, et le jour même, elle espère un renversement. Elle croit entendre le galop d'un messager ; il apporte la concession ultime de la cour d'Angleterre que le roi ne pourra pas récuser. La reine va jusqu'à conseiller à sa fille de ne pas consommer un mariage qui pourra alors, ultérieurement, être déclaré nul. Cependant le jour des noces :

    Dès que nous eûmes dîné, le roi ordonna à la reine de commencer à me parer. Il étoit quatre heures et je devois être prête à sept. La reine voulut me coiffer. Comme elle n'étoit pas habile au métier de femme de chambre elle n'en put venir à bout. Ses dames y suppléèrent; mais aussitôt que mes cheveux étoient accommodés d'un côté elle les gâtoit, et tout cela n'étoit que feinte pour gagner du temps, dans l'espérance que le courrier arriveroit. Elle ignoroit qu'il étoit déjà en ville, et que Grumkow en avoit les dépêches. On peut bien s'imaginer qu'il ne les donna au roi qu'après que la bénédiction fut donnée. Tout cela fut cause que je fus attifée comme une folle. A force de manier mes cheveux, la frisure en étoit sortie; j'avois l'air d'un petit garçon, car ils me tomboient tous dans le visage. On me mit la couronne royale et 24 boucles de cheveux, grosses comme un bras. Telle étoit l'ordonnance de la reine. Je ne pouvois soutenir ma tête, trop foible pour un si grand poids. Mon habit étoit une robe d'une étoffe d'argent fort riche avec un point d'Espagne d'or, et ma queue étoit de douze aunes de long. Je faillis de mourir sous cet accoutrement. 

  • Certes

    L'âcre fraîcheur de l'herbe et des feuilles profondes

    n'est pas un vers de Rimbaud (les refrains du Chasseur noir non plus) et :

    Aux sons d'une fanfare amoureuse et lointaine

    ne se trouve pas dans les Fleurs du Mal.

  • Un portrait

    Nous retournâmes enfin le 5 de Novembre à Berlin. La duchesse de Saxe-Meinungen, ma grande tante, fille de l'électeur Frédéric-Guillaume y arriva deux jours après nous. Cette princesse étoit veuve de son troisième mari, ayant épousé en premières noces le duc de Courlande, et s'étant remariée après sa mort au Margrave Christian Ernest de Bareith. Elle avait trouvé moyen de ruiner totalement les pays de ces deux princes. On dit qu'elle avait fort aimé à plaire dans sa jeunesse ; il y paraissait encore par ses manières affectées. Elle aurait été excellente actrice pour jouer les rôles de caractère. Sa physionomie rubiconde et sa taille d'une grosseur si monstrueuse qu'elle avait peine à marcher lui donnaient l'air d'un Bacchus femelle. Elle prenait soin d'exposer à la vue deux grosses tétasses flasques et ridées qu'elle fouettait continuellement avec ses mains pour y attirer l'attention. Quoiqu'elle eût soixante ans passés, elle était requinquée comme une jeune personne ; coiffée en cheveux marronnés tout remplis de pompons couleur de rose, qui faisaient la nuance claire de son visage, et si couverte de pierres de couleur qu'on l'eut prise pour l'arc-en-ciel.

    (Mémoires de Wilhelmine, Margrave de Bayreuth)

  • Fer contre fer

    (...) la main de la solitude elle-même s'est dessaisie
    Et me laisse comme le jour où sous la pluie, après votre départ,
    J'ai vu dans un cercle du temps qui n'est pas mesurable 
    Battre, fer contre fer, la petite porte du square.

    (Réda, Hôtel Continental