(Par Vila-Matas et son Paris ne finit jamais, je lis l'article de Roland Barthes "Alors, la Chine ?", paru dans Le Monde du 24 mai 1974, qui rend compte du séjour dans le pays "avec le groupe Tel Quel". C'est un petit chef-d'oeuvre d'incongruité ; ce pourrait être la relation écrite par le professeur Tournesol à son retour de Bordurie. Le passage sur le thé et la campagne semble avoir été recopié de Bouvard et Pécuchet ou été composé en vue de son inclusion dans le Dictionnaire de la bêtise.)
Hormis ses palais anciens, ses affiches, ses ballets d'enfants et son Premier Mai, la Chine n'est pas coloriée. La campagne (du moins celle que nous avons vue, qui n'est pas celle de l'ancienne peinture) est plate ; aucun objet historique ne la rompt (ni clochers, ni manoirs) ; au loin, deux buffles gris, un tracteur, des champs réguliers, mais asymétriques, un groupe de travailleurs en bleu, c'est tout. Le reste, à l'infini, est beige (teinté de rose) ou vert tendre (le blé, le riz) ; parfois, mais toujours pâles, des nappes de colza jaune ou de cette fleur mauve qui sert, paraît-il, d'entrais. Nul dépaysement.
Le thé vert est fade ; servi en toute occasion, renouvelé régulièrement (etc.)
Commentaires
Souvent (toujours) je lis Barthes comme un poète. Ce qu'il écrit me semble déconnecté de toute réalité, n'avoir de raisons qu'associatives.
En lisant Platon, je songe à Barthes: qui donc autre que lui aura suscité chez ses disciples autant d'amour que l'amour porté à Socrate?
Je crois me souvenir que Barthes se pose la question dans la préface de l'Empire des Signes : sera-t-il poète ? nommera-t-il Grande Garabagne le Japon dont il a rêvé ? Il fait le choix inverse. En l'occurrence, c'est sans doute fort pertinent : mais dans cette Chine le hiatus entre l'impression et la réalité est impossiblement béant.