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La couleur des ténèbres à la lueur d'une flamme

(...) je ne sais plus quand, il y a des années de cela, j'avais mené un visiteur venu de Tôkyô dans la Maison Sumiya de Shimabara, et c'est là que j'ai aperçu, une seule fois, certaine obscurité dont je ne puis oublier la qualité. C'était dans une vaste salle qu'on appelait, je crois, la "salle des Pins", détruite depuis par un incendie ; les ténèbres qui régnaient dans cette pièce immense, à peine éclairée par la flamme d'une unique chandelle, avaient une densité d'une tout autre nature que celles qui peuvent régner dans un petit salon. A l'instant où je pénétrai dans cette salle, une servante d'âge mûr, aux sourcils rasés, aux dents noircies, s'y trouvait agenouillée, en train de disposer le chandelier devant un grand écran ; derrière cet écran qui délimitait un espace lumineux de deux nattes environ, retombait, comme suspendue au plafond, une obscurité haute, dense et de couleur uniforme, sur laquelle la lueur indécise de la chandelle, incapable d'en entamer l'épaisseur, rebondissait comme sur un mur noir. Avez-vous jamais, vous qui me lisez, vu "la couleur des ténèbres à la lueur d'une flamme" ? Elles sont faites d'une matière autre que celle des ténèbres de la nuit sur une route, et si je puis risquer une comparaison, elles paraissent faites de corpuscules comme d'une cendre ténue, dont chaque parcelle resplendirait de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Il me sembla qu'elles allaient s'introduire dans mes yeux et, malgré moi, je battis des paupières.

(Tanizaki, Eloge de l'ombre - trad. Sieffert)

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